La face cachée du débat sur l’assurance invalidité
Une personne sur cinq bénéficiant des prestations de l’AI fait face à des gros problèmes financiers et souffre d’isolement.
Une étude suisse – présentée comme la première du genre en Europe – sur les conditions de vie des handicapés jette un éclairage nouveau sur la polémique alimentée par la droite dure.
Trop de gens profitent du robinet de l’assurance invalidité (AI), qui prend l’eau, estime en substance la droite dure. Laquelle entretient le débat.
Dans ce contexte, l’étude de la Haute école spécialisée d’Aarau apporte une touche de nuance que le porte-parole de l’Union démocratique du centre (UDC) balaie d’un revers de la main.
«Cette étude n’apporte rien, indique Roman Jäggi. Elle ne nous surprend pas sur le plan du contenu. Mais le problème pour l’UDC, ce n’est pas de définir mieux les invalides. Le problème est que nous avons beaucoup trop d’invalides. La population n’est pas aussi malade que les chiffres peuvent le laisser croire.»
Et Roman Jäggi de préciser: «L’AI a deux problèmes, ses finances, qui vont mal, et le nombre d’invalides. La situation est grave, nous devons changer de façon de travailler et trouver des solutions. Or, cette étude n’en apporte aucune».
Le principal enseignement de ladite recherche est qu’il n’existe pas de bénéficiaires-type de l’Assurance invalidité (AI).
Selon leur formation, leur revenu, leur cercle social ou leur état de santé, les handicapés vivent plus ou moins bien en Suisse.
Une partie des 405’000 rentiers AI ou bénéficiaires de prestations individuelles (2002) pris en considération par l’étude s’en sortent plutôt bien.
Bonne formation, revenu supérieur à la moyenne, aide du conjoint leur permettent souvent de vivre avec le sourire.
«Conditions désolantes»
Mais d’autres – pas moins d’un cinquième des rentiers, selon l’enquête menée auprès de 2000 bénéficiaires – vivent dans des «conditions désolantes», écrivent les auteurs.
Ces personnes vivent en dessous ou près du seuil de pauvreté. La moitié d’entre elles disposent d’un revenu mensuel inférieur à 2000 francs.
Au manque matériel vient souvent s’ajouter l’isolement social. Pas moins de 21,5% de ces rentiers disent ne pas avoir de personne de confiance.
Qui plus est, leur état de santé les rend fortement dépendantes d’une aide extérieure ou de médicaments.
Sans surprise, on trouve dans cette population de mal lotis une sur-représentation de femmes, de vieux et de personnes peu qualifiées et dont le handicap est lourd.
Injustices liées au sexe
La recherche argovienne souligne aussi le rôle des autres assurances sociales. Si certains handicapés s’en sortent moins bien que d’autres, c’est aussi le résultat d’injustices liées au sexe nées dans le système de la prévoyance professionnelle.
En clair: les femmes bénéficient nettement moins des prestations du 2e pilier. Notamment par le fait qu’elles interrompent souvent leur travail pour s’occuper de tâches familiales ou qu’elles sont employées à temps partiel.
Concrètement, les auteurs de l’étude proposent neuf catégories d’invalides (réparties entre «bénéficiaires de rentes AI» et «bénéficiaires de prestations individuelles»).
Cette nouvelle approche doit aider les professionnels sociaux et de la santé à mieux répondre aux besoins.
Une chose encore: l’étude relève l’ampleur des prestations individuelles (soins particuliers, aide, etc), fournies à 42% des bénéficiaires de l’AI. Une autre manière d’élargir la discussion.
Les pendules à l’heure
«Dans le cadre du débat actuel, où certains partis ont tout misé sur les abus, une telle étude peut remettre les pendules à l’heure», confie à swissinfo Liliane Maury Pasquier.
Selon la députée socialiste, «on a beaucoup parlé de chiffres, c’est logique, et beaucoup des abus, qui sont minimes. On a probablement occulté ce que concrètement veut dire pour ces personnes de vivre les situations de handicap».
«Dans ce sens, les prémices de la 5e révision de l’assurance AI – où il est question de renforcer la réinsertion – sont une très bonne chose. Il faudra voir maintenant si ces belles paroles se transforment en actes.»
Cela dit, Liliane Maury Pasquier n’est pas du tout surprise par le tableau dressé par l’étude, qu’elle qualifie de «bon outil à la décision».
A cet égard, face au désarroi des rentiers les moins bien lotis, la socialiste estime qu’en Suisse, «nous souffrons de ne pas avoir de revenu minimum. C’est vrai pour les handicapés comme pour d’autres».
Des postes de travail
Le vice-président de l’association Agile mise pour sa part sur une meilleure intégration des handicapés au marché du travail.
«On parle toujours de tailler dans les rentes, explique Roger Cosandey à swissinfo. Mais ce n’est pas la meilleure manière d’économiser. Il faut inciter à la création de davantage de postes de travail pour les handicapés».
Autrement dit, un handicapé qui travaille, même à temps partiel, n’a plus – ou a moins – besoin de l’AI.
swissinfo et les agences
En 2002, 465’000 personnes résident en Suisse bénéficiaient de l’aide de l’Assurance invalidité (AI).
L’étude de la Haute école spécialisée d’Aarau en prend 405’000 en considération.
Handicapés physiques: 55%
Handicapés psychiques: 39%
Handicapés mentaux: 13%
– La séparation entre «bénéficiaires de rentes AI» et «bénéficiaires de prestations individuelles» doit permettre aux professionnels des soins et du domaine social de mieux répondre aux besoins.
– Sur 2000 personnes suivies par l’étude, 63% n’avaient pas d’activité rémunérée, contre 10% qui travaillaient environ 37 heures par semaine.
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