La forêt est au bord de la catastrophe
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Le Nouveau programme forestier (PFS) suisse lance un défi aux professionnels de la branche.
Il s’agit non seulement de régénérer la forêt mise à mal par les accidents climatiques, mais surtout de re-dynamiser une industrie en perte de vitesse.
«J’ai continué d’exploiter la forêt plantée par mon père. Après le passage de Lothar , il y a cinq ans, j’en ai pleuré: vingt ans de perdus. L’année passée, la nouvelle épidémie de bostrytch et la canicule ont continué le travail.»
Linus Bucheli, agriculteur fribourgeois, ne cache pas son découragement. Mais il ne se laisse pas abattre puisqu’il vient de planter, avec sa femme, 5000 jeunes sapins dans les plaies béantes de sa forêt. Et pourtant, en comptant le travail, jamais il ne rentrera dans ses frais…
Cette histoire est celle des innombrables petits et grands propriétaires et exploitants forestiers suisses, qui se trouvent bien seuls.
Confrontés à des problèmes financiers croissants et à la multiplication des contraintes administratives, les propriétaires n’ont souvent eu d’autre choix que de laisser vieillir la forêt.
Ce qui, à moyen et long terme, représente un risque pour le développement durable. Mais menace aussi de ruiner définitivement un secteur économique qui occupe près de 100’000 personnes en Suisse, toutes activités confondues.
Bulletin de santé inquiétant
«En certains endroits, l’état de la forêt est catastrophique», s’inquiète Michel Monin, ingénieur forestier de l’Office jurassien des forêts.
La forêt a des fonctions multiples, de la production de bois à la protection de l’habitat, des infrastructures et de l’espace économique (surtout en altitude, où vivent plus d’un million de personnes).
Mais elle a aussi une importante fonction sociale et culturelle, afin que la population puisse profiter de la forêt. Quant à la fonction écologique, elle répond au besoin de préserver la biodiversité des espèces dans le pays, mais aussi ce bien précieux qu’est l’eau (40% de l’eau potable provient de la forêt).
«Donc il faut entretenir la forêt pour qu’elle puisse répondre à ces exigences diverses, explique Michel Monin. Le problème, c’est que ces fonctions multiples ne sont pas indemnisées.»
Et comme ils sont déjà dans les chiffres rouges… cela augure mal de l’avenir puisque le nouveau programme forestier suisse prévoit la suppression d’un tiers des subventions, économies obligent.
Un problème économique d’abord
Mais la forêt peut se régénérer car la nature ne manque pas de ressources. A l’Office fribourgeois de la Forêt, Walter Schwab se préoccupe surtout de l’aspect économique de la question. «Les coupes de bois ne sont plus que très rarement rentables, c’est un indice que c’est le système entier qui ne fonctionne plus.»
Bien sûr il a fallu écouler le bois abattu par Lothar, ce qui a provoqué une baisse des prix qui se ressent toujours aujourd’hui. «Mais les choses allaient déjà mal avant, relève Walter Schwab, car le prix du bois n’avait pas suivi la hausse du coût de la vie.»
Daniel Zimmermann, inspecteur vaudois des forêts, renchérit: «A la fin des années 70, les accords de libre-échange avec l’AELE et la CEE ont ouvert le marché, et le bois suisse a progressivement cessé d’être concurrentiel.»
Actuellement, le bois bon marché en provenance d’Europe de l’Est, souvent proposé par les grandes surfaces suisses, ne fait rien pour arranger la situation.
Que faire?
Pour redresser la situation, et garantir aussi l’avenir de la forêt elle-même par ricochet, Walter Schwab estime qu’il faut commencer par faire payer par exemple l’entretien et l’aménagement des forêts en fonction de leur utilisation (chemins de promenade, protection contre les avalanches, etc).
Et aussi dissocier les fameuses fonctions protectrice, sociale, écologique et productive en fonction de chaque type de forêt.
En un mot, pour redynamiser l’économie forestière, il faut rationaliser, estime le forestier fribourgeois «En Finlande, par exemple, on ne travaille pas parcelle par parcelle mais par massifs forestiers, par vallées entières. Nous devons renoncer au chacun pour soi qui est la règle chez nous et nous regrouper.»
Pour restructurer le secteur, plaide Walter Schwab, il faut le décloisonner: «Il est urgent de doter l’industrie forestière de structures concurrentielles qui lui font encore complètement défaut.»
Par exemple, il faudrait améliorer, simplifier et rendre plus transparente la collaboration entre producteurs et acheteurs de bois afin de contrôler les prix et de les aligner sur la concurrence étrangère. «Là aussi il y a trop de chacun pour soi», regrette Walter Schwab.
Voir à long terme
Dans le canton de Vaud, Daniel Zimmermann estime que le problème est politique: «La forêt, qui jouait autrefois un rôle économique important, ne représente plus aujourd’hui que 0,02% du Produit intérieur brut.»
C’est-à-dire rien, et c’est la raison du pessimisme de Daniel Zimmermann. Il est à craindre, selon lui, que le secteur ne tombe en désuétude totale: «On risque d’abandonner la forêt pour des considérations économiques à court terme.»
Avec le risque de voir les professionnels disparaître, et donc un savoir, et donc la formation qui est excellente en Suisse, jusqu’à ce que la nature ne se rappelle au bon souvenir des humains.
«Il est urgent, conclut Daniel Zimmermann, de changer les mentalités. Mais ça, ça prend autant de temps que de créer une forêt: c’est l’affaire d’une génération, sinon deux…»
swissinfo, Isabelle Eichenberger
– Le programme forestier suisse (PSF) constitue la base de la nouvelle politique du gouvernement jusqu’en 2015.
– Il veut répondre à la crise que traverse actuellement l’industrie du bois et il comporte cinq objectifs prioritaires sur les douze qui sont prévus.
– Le PSF propose notammnent que la Confédération ne subventionne plus que les prestations dans deux domaines: les forêts protectrices et la biodiversité.
– Une plus grande flexibilité devrait être garantie à l’industrie privée et la production en forêt ne devrait plus être subventionnée.
– Il sera débattu au Parlement entre 2005 et 2006.
– Il est budgété à 2,7 milliards de francs répartis entre la Confédération, les cantons, les communes et les privés.
– Dans ce cadre, l’OFEFP verserait quelque 95 millions de francs par an, soit 30 millions de moins qu’actuellement.
– L’industrie du bois offre 94’000 emplois. Et les pouvoirs publics sont propriétaires de 72% des forêts.
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