La Suisse a mal à sa latinité
Les italophones s’inquiètent pour l’avenir de leur langue en Suisse. Mais le français semble aussi menacé, notamment au sein de la Suisse officielle.
Une récente étude a montré que la représentation des Latins aux postes de cadres supérieurs de l’administration a reculé entre 2000 et 2003.
Le vice-chancelier de la Confédération Achille Casanova a annoncé sa démission à la mi-janvier. Avec lui, la Suisse officielle perd son dernier grand commis de langue italienne.
Mais c’est plus généralement la représentation des Latins aux postes de cadre supérieur de l’administration qui est en recul.
Hégémonie germanique
Dans une étude publiée à fin 2004, Helvetia Latina – institution de défense des intérêts des communautés linguistiques minoritaires – mettait en lumière la prééminence toujours plus marquée, en Suisse, de la langue de Goethe sur celles de Dante et de Molière.
Un exemple parmi d’autres: «Dans quelques Secrétariats généraux, les postes les plus importants sont occupés à plus de 90% par des personnes de langue maternelle allemande, dénonce Philippe Zahno, secrétaire général de Helvetia Latina. Dans les cas les plus éclatants, cette part atteint 100%.»
Théoriquement, la Confédération devrait refléter la diversité des cultures. Mais dans les faits, «l’équilibre souhaité n’est pas du tout atteint», dénonce Philippe Zahno.
La position de l’Office fédéral du personnel est en revanche beaucoup plus optimiste, d’autant que ses données ne correspondent pas à celles de Helvetia Latina.
Pour Vasco Dumartherey, coordinateur du plurilinguisme au sein de l’Administration fédérale, «l’objectif d’une représentation équitable des langues est globalement réalisé, même s’il subsiste encore quelques disparités parmi les postes dirigeants».
Le plurilinguisme, un mythe
Lors de la soirée annuelle de Helvetia Latina, le 30 novembre dernier, Joseph Deiss avait déclaré: «Dans un Etat plurilingue, la connaissance de l’autre est intimement liée à la connaissance de sa langue».
Le président de la Confédération de l’époque rappelait également que «chacun a le droit de l’exprimer dans sa propre langue au sein de l’administration fédérale». Il s’agit d’un principe établi à partir des instructions sur le plurilinguisme promulguées par le gouvernement.
Dans la réalité, cela reste toutefois un mythe. Surtout pour les italophones, qui seraient condamnés à un dialogue de sourds s’ils devaient s’exprimer dans leur langue maternelle sur leur place de travail.
Des politiques différentes
Dans les différents offices fédéraux, les normes sur la représentation équitable des communautés linguistiques restent parfois lettre morte.
Un phénomène dû notamment à la décentralisation du pouvoir décisionnel en ce qui concerne la répartition linguistique. «Chaque office est en fait libre de décider sa propre stratégie et les objectifs à atteindre», rappelle Vasco Dumartherey.
En remettant ainsi la résolution du problème aux diverses politiques des départements, on obtient des résultats souvent différents d’un office à l’autre.
Changer les mentalités
Sensible à cette problématique, l’Office fédéral du personnel a les mains liées. «Notre office édicte des directives-cadre sur l’application de la règle de l’égalité linguistique, mais n’a pas l’autorité pour les imposer aux autres offices», admet Vasco Dumartherey.
Pour faire observer les normes, l’Office fédéral du personnel doit donc intervenir à un niveau stratégique.
«La communication est le meilleur moyen d’atteindre notre but, poursuit le fonctionnaire. Nous sommes en train de tenter d’harmoniser les différentes cultures départementales dans ce domaine au moyen d’une vaste campagne de sensibilisation.»
Mais cette situation est inacceptable pour le secrétaire général de Helvetia Latina. «Les secrétaires généraux décident à leur guise de leur plan d’action pour arriver à une juste représentation des minorités linguistique», déplore Philippe Zahno.
La solution dans la loi
Il manque actuellement une base législative pour obliger les offices fédéraux à donner leur juste place aux différentes communautés linguistiques.
Bien que Joseph Deiss considère que «nous disposions de divers instruments pour promouvoir le plurilinguisme et la compréhension réciproque», le secrétaire général de Helvetia Latina les juge insuffisants et réclame une intervention plus radicale.
«Il est nécessaire d’adopter des mesures plus sévères, déclare Philippe Zahno. Il faut une modification de la Loi sur le personnel fédéral ou l’introduction d’une Loi sur les langues».
Un tel projet existe. Le gouvernement l’a toutefois ajourné au début de l’année 2004 pour des raisons budgétaires.
Il n’en reste pas moins que le melting-pot culturel suisse doit pouvoir s’exprimer également au niveau institutionnel. Si l’Administration fédérale ne respecte pas cette caractéristique, elle risque bien de perdre de sa crédibilité aux yeux des citoyens.
swissinfo, Anna Passera
(Traduction de l’italien : Olivier Pauchard)
Le rapport présenté par Helvetia Latina montre que les minorités latines sont sous-représentées dans les organes dirigeants de l’administration
Les francophones représentent 20% de la population et occupent 17,1% des postes de direction
Les italophones sont 4,1% et occupent 2% des postes
Les romanches représentent 0,7% de la population et occupent 0,6% des postes
– Les langues latines ne sont pas seulement en recul dans l’administration. Leur enseignement pose également problème.
– Au niveau universitaire, l’Université de Neuchâtel vient de renoncer à sa chaire d’italien. Celle de Fribourg pourrait faire de même.
– Au niveau scolaire, certains cantons alémaniques ont décidé d’enseigner l’anglais comme première langue étrangère, avant une autre langue nationale. C’est Zurich qui, le premier, c’est engagé sur cette voie controversée.
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