La Suisse a-t-elle mal à son image?
La Suisse est-elle dans l’impasse? Face à la pression constante sur le secret bancaire, gouvernement et pouvoirs publics helvétiques se posent toujours plus cette question. Faut-il appeler les professionnels de la communication à la rescousse? Interview de Iwan Rickenbacher, spécialiste en communication politique.
«The End of Switzerland». C’est ainsi que Newsweek, l’un des magazines américains les plus réputés, titrait en février. Ajoutant sa note de provocation au concert entonné par la presse étrangère sur le thème de la Suisse, pays refuge pour les capitaux du monde entier.
Pour l’auteur de cet article, la crise économique et une xénophobie croissante mettent à mal les grands mythes helvétiques. Et, dans la foulée, l’image de nation-modèle de la Suisse.
Dans d’autres médias américains et européens, on retrouve des opinions guère plus tendres avec la Suisse. Dans quelle mesure de tels gros titres nuisent-ils durablement à l’image du pays? Comment Présence Suisse, l’agence de relations publiques de la Confédération, peut-elle ou doit-elle agir face à cette situation?
swissinfo.ch a recueilli l’avis d’Iwan Rickenbacher, 66 ans, spécialiste en relations publiques, professeur honoraire à l’Université de Berne et ancien secrétaire général du Parti démocrate-chrétien suisse (PDC / centre-droit).
swissinfo.ch: La Suisse est-elle cet animal blessé que la meute des chasseurs ne va plus lâcher?
Iwan Rickenbacher: On peut en effet faire une telle lecture. Une autre interprétation consiste à dire que la Suisse – même en 2009, l’une des pires années de la crise – a continué à présenter un bilan positif, qu’elle est moins touchée par le chômage que ses voisins et qu’elle présente un secteur financier en phase de rétablissement, voire même éclatant de santé. La Suisse fait donc des jaloux.
swissinfo.ch: Où la Suisse a-t-elle mal à son image? Les étrangers sont venus comme par le passé dans les stations de ski et le commerce extérieur repart à la hausse.
I. R. : Les attaques massives contre la Suisse, ses autorités et la place financière dans une partie des médias ont des effets très contradictoires. Car, au-delà de ces attaques, ce sont les avantages du pays qui sont aussi implicitement rappelés, comme sa stabilité ou sa fiscalité relativement basse.
Les destinataires du message dans les différents pays vont réagir diversement. Les politiciens auront tendance à durcir leur discours et montrer à leurs électeurs qu’ils n’hésitent pas à clouer les fraudeurs au pilori.
Dans les opinions publiques, au contraire, c’est l’image d’une Suisse qui incarne tout ce que l’on aimerait voir dans son propre pays, qui en sort renforcée.
swissinfo.ch: Que peut faire Présence Suisse face à cette situation? Alors que, pendant des années, la Suisse a été perçue comme le pays hôte des capitaux en fuite du monde entier, n’est-il pas illusoire de vouloir changer cette image par une simple campagne pour montrer que la Suisse est devenue tout à coup le pays de l’argent propre?
I. R. : Il faut distinguer deux choses. Il y a d’une part la réaction à la crise. Des organisations comme Présence Suisse n’ont pas vraiment la latitude suffisante pour pouvoir intervenir directement. Il s’agit plutôt d’une affaire qui regarde le monde politique et les pouvoirs publics. C’est à eux de chercher des solutions au contact direct avec les autorités étrangères.
De telles crises sont aussi révélatrices des vieux clichés qui ont la vie dure contre notre pays ou de malentendus qui refont surface. Des organisations comme Présence Suisse ont pour mission d’analyser les images fausses ou déficits de connaissances sur notre pays, comme cela a été le cas dans les années 1990 dans le contexte des fonds juifs en déshérence.
A moyen terme, il s’agit d’organiser des campagnes dans des pays clefs, auprès de publics bien ciblés. Mais Présence suisse n’est pas vraiment armée pour jouer les pompiers. Pour un pays, soigner son image relève éminemment de l’action sur le long terme.
swissinfo.ch: En d’autres termes, le gouvernement suisse a-t-il une autre alternative que celle de l’argent propre, une stratégie adoptée par son voisin, le Liechtenstein?
I. R. : Vu la façon dont la situation se présente actuellement, il n’y a visiblement pas d’autre voie possible. Mais il est encore trop tôt pour l’affirmer avec certitude.
Ce qui est évident, c’est que ce sont les banques et les pouvoirs publics qui, par leurs décisions, doivent redéfinir le rôle de la Suisse comme place financière et créer les conditions favorables à une éventuelle mutation.
swissinfo.ch: La situation qui a prévalu lors de la question des fonds en déshérence est-elle en train de se répéter avec l’évasion fiscale?
I. R. : Votre question sous-entend qu’en agissant suffisamment tôt, la potion serait plus facile à trouver et à avaler plutôt que de laisser pourrir la situation et attendre que des solutions radicales nous soient imposées.
On ne doit surtout pas sous-estimer le fait que la Suisse est un petit pays. Lorsque des intérêts fondamentaux de grands Etats, comme les Etats-Unis ou les pays de l’Union européenne sont vraiment en jeu, la Suisse n’a pas d’autre alternative que de s’adapter aux exigences de ses partenaires.
Selon toute vraisemblance, la Suisse devra s’orienter vers une solution satisfaisante pour ses partenaires proches ou plus lointains; sa marge de manoeuvre est plutôt réduite.
swissinfo.ch: A la fin 2009, Présence suisse a lancé une campagne aux Etats-Unis, interrompue entretemps pour des raisons financières. Avons-nous encore les moyens de mener à bien de telles campagnes?
I. R. : Certaines voix affirment que la Suisse dispose toujours d’un grand capital de confiance auprès de leaders d’opinion et de l’économie aux Etats-Unis. Mais rien n’est éternel.
Cette image doit être continuellement nourrie en nouant des contacts et en donnant aux Etats-Unis le statut de pays prioritaire de Présence Suisse. Dans cette perspective, lancer une campagne pour l’interrompre brutalement, quels qu’en soient les motifs, n’est certainement pas la meilleure solution.
Mais les Etats-Unis ne sont pas le seuls pays à être l’objet des attentions de la Suisse. Je pense en particulier que la Chine et l’Inde méritent tout autant notre intérêt et que nous devons travailler à notre image dans ces pays.
swissinfo.ch: Quelles formes de telles campagnes devraient-elles adopter?
I. R. : On ne peut bien entendu pas faire surgir une stratégie d’image d’un coup de baguette magique. Dans le monde d’aujourd’hui, où toutes les informations peuvent être obtenues par Internet, le contact personnel reprend ses droits. Véritable contrepoids au monde virtuel d’aujourd’hui, les relations personnelles, dans lesquelles on s’implique, retrouvent toute leur importance.
Mettre en relation les décideurs en Suisse avec d’autres décideurs à l’étranger redevient une tâche tout à fait prioritaire: un réseau relationnel qui se construit et s’approfondit au travers de manifestations ou d’events bien ciblés et fructueux, tant pour la Suisse que pour ses partenaires à l’étranger.
Renat Künzi, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand: Bertrand Baumann)
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