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Le cas Marthaler ébranle le théâtre suisse

«Merci Zurich!»… En juin dernier, Christoph Marthaler (à g.) présentait sa saison 2002/2003. Keystone

Après le limogeage du directeur du Schauspielhaus de Zurich, certains intellectuels alémaniques donnent de la voix.

L’affaire Marthaler, psychodrame zurichois ou changement d’attitude général du monde politique? Réactions latines.

Appelé à la tête du Schauspielhaus en septembre 2000, le célèbre metteur en scène devra quitter la direction artistique du théâtre zurichois à la fin de la saison.

Motif officiel: une baisse du nombre des spectateurs et des abonnements. Une décision qu’il aura apprise par voie de presse avant d’en être informé personnellement.

Le limogeage de Marthaler ne passe pas inaperçu, c’est le moins qu’on puisse dire.

Rappelons que la semaine dernière, le magazine allemand «Theater Heute» nommait le Schauspielhaus de Zurich «Théâtre de l’année» pour la deuxième fois consécutive.

Et qu’il y a quelques mois, les Zurichois acceptaient une augmentation de subventions pour le théâtre en question. Pas étonnant donc que les réactions soient nombreuses et musclées.

Ainsi, à Zurich même, l’écrivain Adolf Muschg et le journaliste Roger de Weck ont apporté leur soutien au metteur en scène déchu.

De Zurich à Genève

Christoph Marthaler licencié pour raison économique? Oui, bien sûr. Pourtant, on pouvait bien imaginer qu’en nommant l’un des champions du théâtre contemporain et provocateur, un certain nombre d’abonnés du très institutionnel Schauspielhaus allaient s’en aller…

François Rochaix, qui a repris cette année les rênes du Théâtre de Carouge, est choqué: «Je trouve erroné de porter un jugement aussi définitif après deux années de fonction. Le théâtre de Marthaler est de très haute qualité, c’est indéniable. Il aurait donc fallu lui laisser davantage de temps afin que le contact puisse s’établir entre ce théâtre de qualité et le public.»

Engager un nom célèbre et sulfureux pour s’en débarrasser dès les premiers revers, la démarche, il est vrai, peut étonner.

«Cela me fait penser à un caprice. On se paie Marthaler, et puis après on décide que ça ne va pas. Tout cela me semble extraordinairement superficiel», ajoute le metteur en scène du spectacle d’ouverture d’Expo.02.

Gestionnaire ou créateur?

Qui ou que doit donc être un directeur de théâtre? Un découvreur flamboyant ou un gestionnaire rigoureux?

Les deux, car on ne peut occulter une réalité bien pragmatique, comme le constate le critique Giorgio Thoeni: «La culture doit de plus en plus s’adapter au marché. Dès qu’un projet s’éloigne du grand public, il risque d’être pénalisé».

Avis corroboré par François Rochaix: «Les questions d’argent sont devenues plus importantes. Il y a une sorte de réflexe qui est de gérer les théâtres comme si c’était des théâtres privés. On parle du succès d’un théâtre quand il fait 100% de fréquentation. C’est un piège.»

Yvette Jaggi connaît la culture et la politique. Actuellement présidente de la Fondation Pro Helvetia, elle a longtemps œuvré en tant que syndique de Lausanne. C’est notamment sous son égide que Maurice Béjart est devenu résident lausannois.

Si elle admet que le cas de Zurich est très particulier, elle constate également que nulle part l’argent n’arrive en masse et spontanément en direction de la culture. Mais que la clé d’une politique culturelle réside dans «l’effet de démonstration et surtout d’ambition» que manifeste l’exécutif d’une ville.

Et de préciser: «Les signaux qu’on donne sont décisifs, et celui qui vient d’être envoyé par cette décision, à laquelle manifestement adhère le nouveau président de la Ville de Zurich, est désastreux. Il signifie l’abandon d’une certaine ambition»

René Gonzales, patron du théâtre de Vidy-Lausanne, s’exprimant sur les ondes de la RSR, place le débat sur un autre registre: «C’est une atteinte à la démocratie (…) Il est clair que ça n’a rien à voir avec l’argent et le public. C’est ailleurs que ça se passe».

De l’opposition au dialogue

Créateurs géniaux d’un côté et politiciens mesquins de l’autre? L’opposition est un peu simple. D’autant plus que les temps ont changé.

Aux débats politiques virulents des années 70 a succédé une époque plus floue, moins bipolarisée, aux contours moins tranchés.

«J’ai l’impression qu’aujourd’hui, rien n’est très clair, remarque François Rochaix. Comme la situation politique générale, d’ailleurs. Il n’y a plus d’opposition franche gauche-droite, et tout est plus sournois, d’une certaine manière.»

A la provocation pure et dure, dont il a également usé lors de sa première période carougeoise, François Rochaix préfère désormais le dialogue: «J’ai pris le parti, après mes expériences à l’étranger, de dialoguer et d’expliquer. Dans une démocratie comme la nôtre, c’est peut-être quelque chose qu’on néglige trop».

Le risque n’est-il pas alors le consensus mou? «Le dialogue ne signifie pas qu’on doive s’interdire de produire une pièce provocante», conclut François Rochaix.

swissinfo

Christoph Marthaler est né en 1951 à Zurich.
Début de carrière à Zurich, puis longue étape allemande.
Il travaille notamment à Berlin et à Hambourg.
Il obtient de nombreuses distinctions, dont le Europäischer Theaterpreis.
Septembre 2000: il prend la direction du Schauspielhaus de Zurich.
Sous son égide, la fréquentation du théâtre passe de 170 000 spectateurs par saison à 120 000 en 2001/2002.
Samedi 31 août 2002: son limogeage est annoncé à la presse.
Le monde culturel est outré. Une manifestation est prévue mardi soir.

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