Le CERN gagne la bataille de l’antimatière
Après une lutte serrée avec un groupe concurrent, une équipe de physiciens du CERN a produit des milliers d'atomes d'antihydrogène.
Un résultat qui n’aura pas d’applications pratiques, mais qui permettra de contrôler quelques théories importantes.
Il n’est pas facile d’imaginer que notre monde, composé de matière avec laquelle nous sommes constamment en contact, pourrait avoir un double parfait fait d’antimatière.
Cette théorie a été établie il y a 70 ans, quand Paul A.M. Dirac a émis l’hypothèse qu’il existait pour chaque particule de matière une autre particule d’antimatière dont la masse est équivalente mais dont la charge électrique est opposée.
Les antiparticules ont été découvertes peu après l’établissement de cette théorie. Mais la question de l’existence réelle d’antiatomes restait ouverte.
Cette question a été résolue au CERN de Genève par une équipe d’étudiants en physiques provenant de six pays (dont la Suisse) et regroupés au sein du projet ATHENA (ApparaTus for High precision Experiments with Neutral Antimatter).
A la vitesse de la lumière
Tout à commencé en 1997, lorsque les chercheurs d’ATHENA et de son groupe rival ATRAP se sont mis à chasser l’antihydrogène. Certes, quelques laboratoires en Europe et aux Etats-Unis avaient déjà réussi à le produire, mais les atomes se déplaçaient à une vitesse proche de celle de la lumière.
Procédant tout autrement, les chercheurs d’ATHENA ont placé l’antihydrogène dans un conteneur. Pour y arriver, ils ont dû réussir à «mélanger» les positrons (c’est-à-dire les antiparticules des électrons) et les antiprotons. Une tâche difficile, vu que l’antimatière se détruit lorsqu’elle rencontre la matière ordinaire.
Les physiciens d’ATHENA ont ainsi créé deux «pièges», afin de contenir séparément les deux nuages d’antiparticules, respectivement les positrons et les antiprotons. Ils les ont ensuite réunis dans un troisième «piège» électromagnétique dit «de recombinaison».
Les physiciens y ont laissé refroidir la matière obtenue jusqu’à une température de 10 degrés au dessus du zéro absolu – ce qui a pour effet de diminuer leur énergie.
A ce stade, les positrons se sont mis en orbite autour des antiprotons, donnant ainsi naissance à l’antihydrogène.
Un ordinateur qui «voit» l’antimatière
Mais il ne suffit par de produire l’antihydrogène. Encore faut-il l’observer, ce qui nécessite un révélateur efficace.
Et c’est là que les physiciens de l’Université de Zurich ont apporté une contribution déterminante au projet ATHENA. Ils ont en effet développé un programme informatique capable d’observer le phénomène.
Lorsque quelques atomes sortent de la trappe «de recombinaison», ils heurtent de la matière ordinaire et libèrent des particules. Le programme informatique peut les observer et vérifier que toutes les particules ont été créées au même endroit et au même instant. C’est la preuve que de l’antihydrogène a été créé.
Le programme a ainsi permis d’observer environ 130 libérations de particules. Mais les physiciens du CERN estiment le nombre total d’antiatomes créés à au moins 50 000.
Les chercheurs de ATRAP avaient eux aussi annoncé avoir réussi à créer des antiatomes. Mais ils avaient finalement dû se rétracter, parce qu’ils n’avaient pas été en mesure de démontrer de façon irréfutable l’existence d’antihydrogène dans leur piège.
Une nouvelle théorie de la relativité?
Mais que faire de l’antihydrogène? Aucune application pratique n’est actuellement prévue.
Il pourrait, en revanche, permettre de prouver quelques théories importantes. Mais il conviendra d’abord de confiner cette antimatière et d’en étudier la spectroscopie, c’est-à-dire les niveaux des orbites des positrons.
Selon les théories actuelles, les niveaux des positrons seraient les mêmes que ceux des électrons de la matière ordinaire. Mais, jusqu’à présent, il n’a pas été possible de le vérifier en laboratoire. Et si, d’aventure, le résultat de l’expérience était différent, il faudra alors réviser toutes les théories qui sont actuellement unanimement reconnues.
Si le résultat était différent, cela voudrait dire que la matière et l’antimatière ont un rapport différent à la gravité. Dans un tel cas, il faudrait revoir la théorie de la relativité générale, qui affirme qu’il n’y a pas de différence.
Les théoriciens de la physique sont convaincus que la théorie de la relativité est juste. Il n’est cependant pas absolument exclu que la confrontation entre l’hydrogène et l’antihydrogène puisse prouver le contraire. Une preuve qui vaudrait certainement le Prix Nobel au CERN.
swissinfo/Marco Cagnoti
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