Les exoplanètes sonnent le glas des Martiens
Lancé à la Maison d’Ailleurs d’Yverdon, le Dictionnaire visuel des mondes extraterrestres propose un voyage dans l’imaginaire scientifique, un inventaire des rêves et des cauchemars du monde occidental. Rencontre avec Yves Bosson, un des auteurs de l’ouvrage, un Suisse de France.
C’est au cœur du quartier bohème du Plateau à Marseille qu’Yves Bosson a conçu, écrit et réalisé avec Farid Abdelouahab, basé lui en Normandie, le Dictionnaire visuel des mondes extraterrestres. Un inventaire qui propose 170 entrées et 304 illustrations couvrant 25 siècles d’histoire des mondes extraterrestres.
Neuchâtelois d’origine, Yves Bosson vit depuis plus de 20 ans dans l’antique port méditerranéen où il a fondé l’Agence martienne, une incroyable et riche photothèque (50’000 documents environ) née de ses deux passions: la photographie et l’imaginaire scientifique.
swissinfo.ch: A quand remonte le concept d’extraterrestre ?
Yves Bosson: L’idée de pluralité des mondes habités date du 5e siècle avant notre ère avec les philosophes atomistes de la Grèce antique, une école de pensée qui concevait un monde fait de vide et d’atomes en interaction, créant la matière et le vivant. Comme les mêmes causes devaient produire ailleurs dans l’univers les mêmes effets que ceux constatés sur Terre, d’autres mondes étaient donc possibles – y compris même avec «des races d’hommes et des bêtes sauvages différentes» –, selon ces précurseurs de la pensée scientifique.
A la suite d’Aristote et ses disciples, relayés ensuite par l’Eglise, s’est imposé pendant 1500 ans une conception de la Terre au centre d’un univers unique et fermé qui excluait de facto l’idée même que d’autres mondes puissent exister.
Une conception qui a commencé à se lézarder dès le 13e siècle avec la scolastique médiévale, puis la Renaissance. En plaçant le Soleil au centre du monde et en rétrogradant la Terre au rang de simple planète, Nicolas Copernic provoque un big bang pour l’imaginaire de l’époque qui se développera jusqu’à aujourd’hui en épousant les contours de l’histoire des sciences et des idées. Très vite, les autres planètes deviennent, pour mains auteurs, des mondes habitables. Ce qui ouvre la voie à l’invention, plus tard, du concept d’extraterrestre.
swissinfo.ch: Justement, comment est née la représentation des extraterrestres en tant que personnages ?
Y.B.: A ma connaissance, la toute première représentation d’un extraterrestre remonte à 1835-1836. Il s’agit d’hommes chauve-souris habitants la Lune, observés au moyen d’un prétendu super-télescope. Des sélénites censés ridiculiser certains savants de l’époque qui pensaient avoir observé des constructions artificielles sur la Lune.
Ce récit inspira une série de gravures et fut compris à ses débuts comme un reportage sur les habitants de la Lune, avant d’être qualifié de canular – on parla de «Moon hoax» – alors que son auteur, Richard Adams Locke, pensait produire un texte satirique.
C’est un peu la même destinée qu’a connu en 1938 Orson Welles et sa célèbre adaptation radiophonique de la Guerre des mondes de H.G.Wells, pourtant annoncée comme telle à la radio. Présentée sous la forme d’un vrai-faux reportage sur l’arrivée des Martiens au New-Jersey, avec flashs d’informations hyper-réalistes à l’appui, certains auditeurs ont là aussi cru qu’il s’agissait d’une information réelle pour ensuite la considérer comme une mystification, plutôt qu’une fiction.
swissinfo.ch: Quel est le fil rouge de votre dictionnaire ?
Y.B.: Notre livre a comme axe central l’imaginaire scientifique à l’œuvre dans la science-fiction ou les anomalies parascientifiques, comme les ovnis. Avec une double dynamique: pour prendre l’exemple de la science-fiction, elle est à la fois nourrie par les découvertes scientifiques, tout en inspirant en retour les chercheurs.
Récemment encore, un programme lancé par l’Agence spatiale européenne avait précisément pour but de dénicher dans la science-fiction des idées nouvelles susceptibles d’alimenter la recherche spatiale.
Reste que cet imaginaire a besoin du frémissement des idées, non de leur accomplissement. La découverte des exoplanètes et l’admission de plus en plus large de la possibilité de formes de vie extraterrestre constitue donc un tournant. Enfin accréditée par des découvertes astronomiques majeures (des exoplanètes telluriques à la bonne distance de leur étoile), les extraterrestres semblent fuir désormais les représentations imaginaires.
En cela, les extraterrestres sont bien le reflet de leur époque. Ainsi, vers 1840, le naturaliste Pierre Boitard publie une série d’articles sur les habitants de chaque planète du système solaire, une création imprégnée par les théories évolutionnistes et le colonialisme ambiant. Les habitants de ces planètes sont aussi l’occasion pour Boitard de s’adresser à ses contemporains, avec la description d’une utopie sociale en vigueur sur les autres mondes.
Les extraterrestres sont aussi des représentations de nous-mêmes dans le futur, au stade ultime de notre évolution biologique. Ainsi, les Martiens macrocéphales de H. G. Wells (1897) ne sont plus que de grands cerveaux dotés de huit paires de tentacules et rien d’autre. Incapables de se déplacer par eux-mêmes, ils agissent via des machines, un peu comme nous aujourd’hui avec nos multiples prothèses et appareils de toute nature.
Dictionnaire visuel des mondes extraterrestres
Yves Bosson et Farid Abdelouahab, Editions Flammarion, 2010.
330 pages moyen format, avec plus de 300 illustrations
Créée en 1999, l’Agence Martienne contient actuellement plusieurs dizaines de milliers d’images et de photos originales.
Photothèque indépendante spécialisée dans les représentations liées à l’imaginaire scientifique et technique, l’Agence Martienne compte parmi ses partenaires l’ESA (Agence Spatiale Européenne) pour le projet ITSF (Innovative Technologies from Science Fiction for Space Applications).
En Suisse, l’Agence martienne collabore avec la Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains (seul musée public au monde consacré à la science-fiction) et le Musée de Zoologie de Lausanne (département de cryptozoologie).
En descendant de la fusée
Je t’ai trouvée presque aussitôt
Et je suis resté médusé
Tu m’avais pris comme au lasso
Je t’ai suivie sur la pelouse
Tes tentacules autour du cou
Et avec tes petites ventouses
Tu m’as fait des baisers partout
Les musiciens soufflaient sans trêve
Dans leurs bazouks et leurs strapons
Et cette musique de rêve
Me perforait jusqu’au trognon
J’évoquais des orgies superbes
Des bacchanales dans les canaux
Et pendant qu’on s’aimait sur l’herbe
Je fredonnais ces quelques mots
C’est la java martienne
La java des amoureux
En fermant mes persiennes
Je revois tes trois grands yeux
Boris Vian (1955) tiré du Dictionnaire visuel des mondes extraterrestres
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