Les psychiatres apprendront comment marche le cerveau
En quelques années, notre connaissance du cerveau a fait des progrès fulgurants. Grâce à des précurseurs comme Pierre Magistretti, ce savoir devrait bientôt profiter à la psychiatrie. C’est le grand projet du professeur lausannois, aujourd’hui promu au rang de Pôle de recherche national.
Dès la fin de ses études de médecine, Pierre Magistretti s’est lancé dans la quête de sa vie: comprendre comment marche le cerveau. De son doctorat en neurobiologie à l’Université de Californie à San Diego, elle le mènera à son poste actuel de directeur du Brain Mind Institute de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
Avec le pédopsychiatre et psychanalyste François Ansermet, il est aussi l’auteur de A chacun son cerveau et Les énigmes du plaisir, deux ouvrages qui jettent des ponts entre neurosciences et théorie freudienne. Pierre Magistretti est en effet convaincu que l’inconscient est «un des modes de fonctionnement du cerveau».
swissinfo.ch: Vous dites que les liaisons entre neurosciences et psychiatrie sont encore rares. C’est étonnant. Est-ce qu’elles ne devraient pas aller de soi ?
Pierre Magistretti: C’est assez énigmatique en effet. Mais il y a à cela des raisons historiques. A la fin du 19e, début du 20e siècle, les psychiatres étaient très souvent ce qu’on appellerait aujourd’hui des neurobiologistes. Aloïs Alzheimer était un psychiatre avec un microscope. Il autopsiait les patients et regardait leur cerveau au microscope. Et c’est comme ça qu’il a décrit la maladie qui porte son nom.
Freud aussi était neurologue et voulait trouver une base biologique au psychisme. Simplement, il n’avait pas les outils nécessaires. Il a donc développé une théorie basée sur la clinique, qui s’est avérée tellement attractive et fascinante que des générations entières de psychiatres ont peut-être oublié que le psychisme est quand même basé sur le cerveau.
Puis, dans les années 50 et 60, on a découvert les antidépresseurs et les antipsychotiques, par hasard. Les antidépresseurs par exemple dérivent d’une molécule utilisée contre le bacille de la tuberculose, dont on a remarqué qu’elle mettait les patients de bonne humeur. L’arrivée de toutes ces molécules a permis la prise en charge des patients, même si ça ne guérit pas vraiment, et finalement la biologie en psychiatrie a été réduite à la psychopharmacologie.
Et puis, la troisième raison, c’était quand même les connaissances limitées que nous avions du fonctionnement du cerveau. A la fin des années 70, quand j’ai commencé mes recherches, le fossé entre ce qu’on en savait et la psychiatrie clinique était colossal.
swissinfo.ch: Aujourd’hui, en en sait nettement plus, notamment sur le rôle respectif des neurones et des cellules dites «gliales»…
P.M.: Nous avons une centaine de milliards de neurones dans notre cerveau. Chacune communique avec à peu près 10’000 autres, au travers de contacts que l’on nomme synapses. Mais nous avons aussi les cellules gliales, qui sont entre cinq et dix fois plus nombreuses. On les a nommées ainsi à la fin du 19e siècle parce qu’on pensait que c’était de la colle, (glu), qui servait à tenir les neurones en place.
Or, dans ces 25 à 30 dernières années, on a montré – c’est une des lignes de recherche principales de notre laboratoire – que ces cellules sont beaucoup plus dynamiques que ce que l’on croyait. Elles participent au dialogue avec les neurones et sont essentielles pour les nourrir, pour leur fournir de l’énergie, et aussi pour moduler la transmission entre elles.
Donc, le comportement et le psychisme ne sont pas seulement le fruit du fonctionnement des neurones, mais aussi du dialogue entre neurones et cellules gliales.
swissinfo.ch: Autre découverte, aussi surprenante que rassurante: le cerveau est capable de fabriquer de nouvelles cellules, même jusqu’à un âge avancé…
P.M.: Notre cerveau est tout sauf un ordinateur qui sortirait de l’usine avec des circuits intégrés et qui ne bougerait pas pour le reste de sa vie. Au contraire, les expériences que nous vivons le modifient en permanence. C’est ce que l’on nomme la plasticité.
Et il y a plus en effet: jusqu’à il y a une dizaine d’années, on était tous convaincus que l’on naissait avec un capital de neurones et que l’on perdait ces neurones au cours de la vie. C’était assez déprimant comme perspective.
Or on sait effectivement maintenant que certaines régions du cerveau sont capables de produire des neurones à partir de cellules souche. Mais ce n’est pas tout d’avoir de nouveaux neurones, encore faut-il qu’ils se connectent de manière correcte avec les autres neurones des circuits dans lesquels ils sont impliqués. Et là, il y a tout un domaine qui nécessite encore d’être exploré.
swissinfo.ch. En attendant, quand on dit que le cerveau est comme un muscle et qu’il faut le faire travailler pour le maintenir en forme, on est dans le vrai ?
P.M.: Absolument. Il est très important, si l’on veut vieillir de manière harmonieuse et agréable, de maintenir une activité cérébrale, d’être exposé à la nouveauté, de relever des défis. Apprendre une langue, apprendre un instrument, tout ce qui mobilise les neurones, tout ce qui évite de tomber dans la routine est bon. Et très vraisemblablement, cela stimule aussi la neurogenèse (production de nouveaux neurones).
On commence aussi à connaître des conditions qui inhibent cette neurogenèse. Et l’une d’elles est le stress chronique, également déjà bien connu pour aboutir le plus souvent à un état dépressif.
swissinfo.ch: A propos du stress justement, un des fléaux du siècle, sait-on pourquoi certains y résistent mieux que d’autres ?
P.M.: Des études génétiques sont en cours pour essayer d’identifier des populations qui par exemple seraient plus résistantes à certains stress, ou qui performeraient mieux même sous stress. Mais il faut toujours être prudent avec les résultats. Ce qu’on pourrait trouver ne sera pas LE gène de l’anti-stress, mais plutôt un gène ou quelques gènes qui sont présents sous une forme qui favorise une meilleurs résistance, par exemple au stress.
Ce qui est bien établi par contre, c’est que le nouveau-né soumis à des stress importants présentera une hyper réactivité au stress à l’âge adolescent et adulte. C’est pourquoi je pense que l’on ne sera jamais assez rassurant et apaisant avec un tout petit si l’on veut mettre les bonnes cartes dans son jeu.
Titre: PRN Mécanismes synaptiques de maladies mentales.
Contribution fédérale pour les quatre premières années: 17,5 millions de francs (renouvelable deux fois).
Réseau: Les institutions-hôtes sont l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et les Universités de Lausanne et de Genève. Le PRN concerne aussi le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) de Lausanne et l’Université de Bâle.
Directeur: Professeur Pierre Magistretti, «Brain Mind Institute» et Laboratoire de neuroénergétique et de dynamique cellulaire, EPFL.
Objectif: Explorer les mécanismes neurobiologiques des troubles psychiques et cognitifs.
Contenu: Les six sous-projets et les quatre projets cliniques de ce PRN font le lien entre les neurosciences et la psychiatrie, qui permettra d’éclairer le champ thérapeutique des «maladies mentales» d’une perspective encore inédite à ce jour. On explorera les mécanismes moléculaires ,cellulaires et synaptiques et leurs interdépendances respectives à la base des affections psychiques. Le PRN devra aussi finalement contribuer à former une nouvelle génération de psychiatres qui allieront compétences cliniques et connaissance des bases neurobiologiques des fonctions et des dysfonctions mentales.
Blue Brain. La presse l’a déjà baptisé «le CERN du cerveau». Sous la direction du professeur Henry Markram, l’EPFL est en train de construire un ordinateur géant qui simulera le fonctionnement du cerveau humain à partir de données réelles, biologiques et non théoriques.
Aussi important que le séquençage du génome humain, ce projet fera, avec d’autres centres d’excellence comme le PRN de Pierre Magistretti, de la région lémanique une véritable capitale mondiale de la recherche sur le cerveau.
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