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Neuchâtel recherche son plus bel accent

Les prétendants au titre peuvent participer au concours 'Dis Woir' en s'enregistrant dans une cabine qui sera déplacée d'un coin à l'autre du canton ou en s'inscrivant sur internet.

Par ce biais, les organisateurs veulent valoriser les richesses symboliques d’une communauté. Le projet présente aussi un intérêt scientifique souligne Raphaël Maître, dialectologue et membre du jury.

Lorsque la France a fait sa Révolution au XVIIIe siècle, elle a mené une véritable guerre aux patois. La Suisse a suivi, avec lenteur et application. Elle aussi a voulu remplacer ses «jargons barbares» par la langue de Paris.

Telle qu’elle est parlée en Suisse romande aujourd’hui, celle-ci reste cependant imprégnée des anciens dialectes sous-jacents. D’où les accents, intarissable sujet de discussion lorsque viennent à se croiser Fribourgeois, Vaudois, Genevois ou Neuchâtelois.

Ces derniers vont bientôt connaître l’Ambassadeur du parler cantonal. Un concours a en effet été lancé le 1er mars dernier. Depuis cette date, une cabine d’enregistrement – le cube à ‘Dis Woir’ – est posée au centre de la ville de Neuchâtel pour que les prétendants au titre puissent immortaliser leur accent. La cabine sera par la suite installée à divers endroits du canton.

But: revivifier le lien social

Un système d’enregistrement misant sur la simplicité a été privilégié. Quant au contenu des messages, des questions ont été inscrites sur les murs du cube à ‘Dis Woir’. Les personnes qui s’enregistrent peuvent y répondre ou dire ce qui leur passe par la tête, le but étant la spontanéité.

«A la base, l’idée était de faire quelque chose de plutôt ludique. Et puis on s’est rendu compte que l’idée recelait un potentiel identitaire. Il ne s’agit pas de défendre un accent, mais plutôt d’identifier des richesses symboliques pour revivifier le lien social», explique Jérôme Heim.

Anthropologue et membre de l’association Interface qui organise le concours, il considère que le patrimoine ne s’arrête pas aux pierres et aux œuvres d’art. «Il englobe aussi la culture partagée par un groupe, c’est-à-dire les idées, le langage.»

Le ‘r’ qui racle et le ‘o’ qui s’ouvre

Histoire de légitimer l’aspect sérieux du concours, deux linguistes ont ainsi été invités à faire partie du jury. Dialectologue à l’Université de Neuchâtel, Raphaël Maître y voit une démarche qui pourrait venir nourrir un futur projet dialectologique d’envergure. Celui de répertorier les accents de Suisse romande.

Réhabilités depuis la fin du XXe siècle, les dialectes locaux ont fait l’objet d’ouvrages comme le ‘Dictionnaire suisse romand’. Mais aucune typologie systématique des accents romands n’a jusqu’ici été établie.

Si bien que les connaissances linguistiques dans ce domaine se limitent à quelques points forts: par exemple le ‘r’ jurassien ou neuchâtelois qui racle, le ‘an’ vaudois qui chante, le ‘é’ de Genève et de certaines zones du Valais prononcé à la parisienne. Ou encore le ‘o’ final qui, en Suisse romande, se prononce plus ou moins ouvert.

Le gagnant du concours quant à lui présentera sans doute une ouverture du ‘o’ assez importante, ainsi qu’une tendance à faire traîner ces mêmes ‘o’ comme dans ‘môômie’. Autant de traits qui figurent parmi les caractéristiques phonétiques de l’accent neuchâtelois.

Un phénomène complexe

«Les patois neuchâtelois étaient assez différents d’un endroit à l’autre du canton. A La Béroche par exemple, le patois était proche des patois vaudois, alors qu’au Landeron, le patois avait une identité très forte. Il y avait aussi une différence entre les patois du Haut et ceux du Bas», explique Raphaël Maître.

A tel point qu’aujourd’hui encore, la légère dénasalisation des voyelles nasales (‘châtons’ pour ‘chantons’), qui existait déjà dans les patois de base, est plus perceptible dans le Haut que dans le Bas.

Mais l’accent est un phénomène complexe. S’il peut être décrit en fonction de la manière de prononcer certains sons, ainsi que du rythme et de la mélodie donnés à la phrase, il est également influencé par des facteurs de type sociologique.

Accents pas menacés

«Deux paramètres forts conditionnent l’accent d’une personne. Sa socialisation première, c’est-à-dire la langue parlée dans l’environnement dans lequel elle a grandi, et, la façon dont cette personne gère son accent tout au long de sa vie», indique Raphaël Maître.

Certains tendront donc à le gommer, alors que d’autres l’exagéreront. «Ce qu’il y a de nouveau aujourd’hui, c’est que chacun à un accès immédiat au français de toute la francophonie. Donc tout le monde a les mêmes modèles – Patrick Poivre d’Arvor, l’accent des banlieues, etc. – et chacun s’oriente par rapport à eux. Cela détermine la façon dont le français régional évolue à l’heure actuelle».

Une certaine uniformisation – qui n’aurait pas déplu aux révolutionnaires français désireux d’éradiquer les «dialectes corrompus» – est donc en cours. Mais la pérennité des accents n’est pas menacée. Leur dimension identitaire implique en effet une adaptation à l’évolution sociale, car, comme le rappelle le dialectologue, «tout ce qui fait partie de la langue évolue».

swissinfo, Carole Wälti

Le concours ‘Dis woir’ a été lancé le 1er mars, jour de l’indépendance neuchâteloise. Il est ouvert jusqu’au 30 juin.

Toutes les personnes intéressées peuvent y prendre part, indépendamment de leur âge, de leur origine ou de leur lieu d’habitation.

La finale aura lieu le 30 septembre 2007 lors de la Foire du livre du Locle.

Le jury est constitué du politicien Claude Frey et de l’entrepreneur et président d’honneur du club de football Xamax Gilbert Facchinetti, dont les accents sont emblématiques, ainsi que de l’humoriste Benjamin Cuche. Les linguistes Marinette Matthey et Raphaël Maître, et l’anthropologue Alain Monnier en font aussi partie.

Les mots uniquement neuchâtelois sont plutôt rares.

Certaines expressions nécessitent par contre une connaissance de la géographie du canton, comme par exemple ‘faire un chambrelien’, soit une conversion à ski. Chambrelien est en effet une gare où le train arrive dans un cul-de-sac et repart dans la direction opposée.

Le parler romand est quant à lui riche en termes qui ne sont pas recensés dans les dictionnaires de français standard. Parmi les plus connus : ‘keutche’ (couette de cheveux), ‘niolu’ (nigaud), ‘pive’ (pomme de pin) ou encore ‘schlampe’ (paresseuse).

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