Parler du suicide pour mieux l’éviter
Les Eglises organisent le premier Congrès national sur le suicide. Elles lancent le débat sur un sujet encore trop largement tabou.
Psychiatres, spécialistes de l’éthique ou encore aumôniers ont rendez-vous demain et mercredi à Berne, à l’occasion d’un Congrès interdisciplinaire sur le suicide organisé par les Eglises.
Cette mobilisation nationale – la première du genre – est une réponse à ce qui est devenu un véritable problème de santé publique: chaque année dans notre pays, entre 1200 et 1500 personnes mettent fin à leurs jours.
«Les Eglises sont très touchées par ce phénomène», explique Andreas Stauffer, porte-parole de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse.
Par exemple, souligne-t-il, «nos aumôniers sont toujours plus souvent confrontés à des personnes qui ont violemment perdu un proche et qu’il faut accompagner».
Un travail d’autant plus compliqué que, dans notre société, le sujet est tabou. Difficile, donc, d’en parler, que ce soit pour faire de la prévention ou pour aider les personnes touchées par un décès. Et les Eglises ne sont évidemment pas les seules à se heurter à ce silence.
Parler de la mort dans les écoles
«La principale réponse que l’on peut donner à un être humain qui souffre, c’est de l’écouter». Ce conseil de François Ladame, responsable des unités pour adolescents et jeunes adultes du département de psychiatrie des Hôpitaux universitaires genevois (HUG), peut sembler évident. Et pourtant, beaucoup de jeunes en difficulté ne peuvent même pas en discuter avec leurs parents.
L’école devrait aussi en parler. Et faire de la prévention. C’est l’avis de Florian Irminger, membre de l’association Stop suicide. «Il ne s’agit pas forcément d’aborder le suicide dès le plus jeune âge, mais de parler de la mort. Car il y a une perte totale de repères par rapport à ce concept».
Une discussion d’autant plus nécessaire que, comme le souligne François Ladame, elle n’incite pas les jeunes à se suicider: «ceux qui ne présentent aucun danger recevront une information qui pourra peut-être les aider dans la suite de leur vie. Et les autres seront soulagés de voir qu’un dialogue peut être ouvert».
Mais le silence domine. Et les proches des personnes dites à risque en souffrent aussi. Parents, amis, collègues, professeurs ou même médecins-généralistes se retrouvent trop souvent seuls et impuissants face à la détresse de l’autre. D’où la nécessité de mettre en place ce que François Ladame appelle des «chaînes de solidarité».
Aide psychologique pratiquement absente
Autre signe du tabou qui entoure cette question: une famille confrontée à un suicide ne rencontre pratiquement que la police. Ces proches auraient évidemment besoin d’un soutien bien plus important. Et ils ne sont pas les seuls dans cette situation.
En réalité, un geste suicidaire a des répercussions. Dans la famille au sens large du terme, mais aussi dans une école, dans un foyer. Impossible, en fait, de savoir où vont s’arrêter les effets induits par ce geste définitif. Pour François Ladame, une seule chose est sure: «il faut mettre en place des mesures pour aider tous ceux qui vont recevoir ces contre-coups.»
Concrètement, une aide psychologique devrait être organisée immédiatement. Aujourd’hui, un tel soutien est prévu lors d’un désastre, d’une catastrophe, mais pratiquement jamais après un suicide.
Aucune structure nationale
Et pourtant, le silence autour du suicide s’effrite. Tous les spécialistes sont unanimes: des progrès énormes ont été réalisés ces dernières années. Pour preuve, ce premier Congrès national, organisé par les Eglises.
Autre exemple: à Genève, une structure a été mise en place il y a cinq ans pour lutter contre le suicide des adolescents. Et depuis souligne Florian Irminger, le nombre de suicides enregistrés dans le canton a nettement diminué.
Mais cela ne suffit pas. Plus encore que le tabou social, les professionnels montrent du doigt l’inaction des instances officielles, en particulier au niveau fédéral. Ainsi, l’initiative genevoise n’a été possible que grâce à une collaboration entre une institution privée, l’hôpital cantonal et le Conseil d’Etat.
Pour l’instant, il n’existe aucune structure nationale de lutte contre le suicide. Seul un groupe de travail a été créé il y a quelques mois. Il devrait terminer ses travaux à la fin de l’année et déboucher sur la constitution d’un comité.
Mais François Ladame est catégorique: «une volonté politique très ferme de soutenir une initiative au plan national est indispensable».
swissinfo/Caroline Zuercher
Un numéro de téléphone: ligne d’aide 24 heures sur 24 du Centre d’étude
et de prévention du suicide, à Genève: 022/382 42 42
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