Peu de femmes médecins aux postes à responsabilité
Les étudiants en médecine sont en majorité ... des étudiantes. Mais, aux échelons supérieurs de la profession, elles ne sont plus qu'une petite minorité. Un magazine médical appelle à combler cette lacune.
Dans sa dernière édition de l’année 2008, le Bulletin de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) a publié une «Feuille de route» pour la «promotion de la relève féminine en médecine». Trois auteurs y dressent un état des lieux et formulent des propositions pour améliorer la position des femmes.
Il faut notamment augmenter le nombre de postes à mi-temps, estiment les auteurs de la feuille de route. Les femmes médecins, mais aussi leurs collègues masculins, souhaitent en effet mieux combiner travail et vie de famille.
En 2006, les femmes formaient 57% des effectifs estudiantins, contre 30% en 1980. Or, en 2007 toujours, il n’y avait que 32% de médecins femmes parmi les praticiens.
Selon une étude réalisée parmi les étudiants en médecine de Zurich, les désirs de carrière diffèrent très tôt entre hommes et femmes, mais pas d’emblée. «Au tout début, les objectifs sont assez similaires concernant la carrière, mais leur opinion change en cours d’études», explique Anita Riecher, professeure de psychiatrie à l’Hôpital universitaire de Bâle, interrogée par swissinfo.
Autres disciplines choisies
Co-auteure de l’article du bulletin de l’ASSM, la psychiatre explique qu’en fin d’études, les femmes souhaitent trouver un emploi qui leur permet d’avoir une vie de famille. «Elles choisissent donc des disciplines qui requièrent moins de gardes de nuit ou qui sont, globalement, moins exigeantes, note Anita Riecher. Les hommes, de leur côté, ne changent pas leurs plans initiaux.»
Ainsi, 47% des pédiatres sont des femmes. Mais seulement 9% des chirurgiens sont des chirurgiennes. Pour beaucoup d’entre elles, les obstacles à certains choix de carrière sont d’ordre structurel.
«Lorsque vous êtes de service et que vous avez une opération à faire, vous ne pouvez pas tout arrêter parce que c’est l’heure d’aller chercher les enfants à la crèche», lance Anita Riecher, qui est aussi médecin-chef de la policlinique psychiatrique universitaire.
Les stéréotypes sont toujours très répandus. Ainsi, de nombreuses femmes médecins pensent qu’elles doivent assumer seule l’éducation des enfants. C’est ce qui ressort du bulletin de l’ASSM.
Le fait que les hommes choisissent des disciplines médicales permettant de gagner plus d’argent et fournissant plus de prestige n’améliore pas la situation des femmes, ajoutent les auteurs. La combinaison de ces faits explique la rareté des femmes aux échelons supérieurs des professions médicales.
Aussi parmi les enseignants
Ainsi, dans les Hôpitaux universitaires bâlois, 55% des médecins-assistants étaient des femmes en 2008, mais seulement 38% des chefs de clinique et 17% des médecins dirigeants.
Le déséquilibre se retrouve dans l’enseignement. En 2007, 16% des privats-docents étaient des femmes. Ces dernières comptaient pour 14% des professeurs titulaires et des assistants et 10% des professeurs extraordinaires.
Elles n’étaient que 6% des professeurs titulaires d’une chaire, soit 2 sur 35. Anita Riecher est l’une d’elles et elle était la première titularisée.
Catalogue de mesures
Les auteurs de la Feuille de route préconisent notamment davantage de postes à temps partiel, de même que des heures de travail fixes. «Il faudrait pouvoir créer des emplois à temps partiel dans la recherche pour ne pas devoir effectuer ces heures-là pendant le temps de travail clinique», explique Anita Riecher.
Selon elle, beaucoup de médecins effectuent leurs recherches le soir et les week-ends. C’est actuellement le seul moyen de faire carrière.
Doter les institutions médicales de crèches est une autre mesure proposée dans la Feuille de route. Les auteurs suggèrent aussi d’intégrer des programmes structurés de mentorat dans les processus universitaires et hospitaliers.
«Féminisation?»
Comme dans d’autres pays tels que l’Angleterre et l’Allemagne, la crainte est née en Suisse que la «féminisation» des professions médicales puisse provoquer une diminution de confiance du grand public et faire pression sur les salaires. C’est pourquoi l’ASSM a commandé l’enquête publiée dans son bulletin.
Anita Riecher, qui a deux enfants, explique avoir réussi à combiner travail et vie de famille parce qu’elle était convaincue que c’était possible. Elle souhaite néanmoins que ce soit désormais plus facile pour les jeunes générations.
Les femmes critiquent la situation depuis longtemps, rappelle la psychiatre. Un article similaire a déjà été publié il y a 25 ans et il ne s’est pas passé grand-chose depuis.
Les hommes doivent aussi s’engager davantage dans la prise en charge des enfants à la maison. C’est la revendication de nombreuses femmes.
«Sans mesures spécifiques, nous continuerons à perdre de nombreux jeunes gens très doués, souvent spécialement talentueux pour les contacts humains et qui feraient d’excellents médecins», avertit Anita Riecher.
«Beaucoup de jeunes médecins ne veulent pas devoir prendre une décision quant à fonder une famille ou non. Ils abandonnent la recherche et ouvrent un cabinet privé. Et ce problème touche aussi de plus en plus de jeunes hommes», conclut la chercheuse.
swissinfo, Isobel Leybold-Johnson
(traduction: Ariane Gigon)
Suisse
Pourcentage d’étudiantes en médecine 30% en 1980, 57% en 2006.
Pourcentage de femmes pratiquant la médecine: 1% en 1960, 32% en 2007.
Allemagne
Pourcentage d’étudiantes en médecine: 63% en 2006.
Pourcentage de femmes pratiquant la médecine: 40%
Pourcentage de femmes à des positions à responsabilité: 11-12%.
Angleterre
Pourcentage de diplômées en médecine: 58% en 2006.
Pourcentage de femmes pratiquant la médecine généraliste: 40% en 2005.
Pourcentage de femmes médecins dans les hôpitaux: 25%.
La Suisse a été pionnière dans l’accès des femmes aux études de médecine. Marie Vögtlin (1845-1916) a été la première femme à étudier la médecine à l’Université de Zurich en 1868, peu d’années après la toute première étudiante dans ce domaine, qui a suivi sa formation à Paris.
Marie Vögtlin écrira plus tard: «Je savais quelles difficultés et quels préjugés se dresseraient sur ma route mais j’y étais préparée. Ils ont disparu devant mon profond désir d’étudier la science.»
Après avoir obtenu l’autorisation de pratiquer, Marie Vögtlin avait ouvert la première clinique gynécologique de Suisse. Elle a épousé le géologue Albert Heim et a eu trois enfants, dont l’un que le couple avait adopté.
L’enquête de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) a été publiée dans le Bulletin 04/2008 sous le titre de «Promotion de la relève féminine en médecine: une feuille de route».
L’enquête a été réalisée par Anita Richer, professeur ordinaire de psychiatrie et de psychothérapie à l’Université de Bâle, Regine Landmann, professeur titulaire en médecine expérimentale à l’Université de Bâle et Anne von Gunten, assistante de recherche et doctorante à la Haute Ecole pédagogique de Berne.
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