Quand la Suisse tremblera…
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La Suisse n’est pas le Japon mais le risque sismique y est aussi réel que négligé. Sismologues et assureurs veulent sensibiliser la population pour limiter une catastrophe programmée.
A Fribourg, une exposition est dédiée à ceux qui ont perdu la vie ou un proche dans un séisme.
«La Suisse n’est ni la Californie, le Japon ou la Turquie mais elle n’est pas à l’abri puisque le séisme le plus dévastateur de l’histoire européenne a eu lieu à Bâle en 1536.» Le constat est dressé par André Fasel, conservateur du Musée d’histoire naturelle de Fribourg.
Musée qui, en collaboration avec l’Etablissement Cantonal d’Assurance des Bâtiments (ECAB) de Fribourg présente une exposition sur les aspects géologique, historique, technique et économique de la question.
Une exposition conçue de manière très didactique avec appareils de mesure, maquettes et panneaux explicatifs en français et en allemand
Un risque bien réel
Il s’agit de sensibiliser le public au risque sismique bien réel mais sous-estimé ces dernières décennies. Rappeler aussi aux architectes et aux pouvoirs publics que le (non-)respect des normes antisismiques peut avoir des conséquences.
«Des conséquences incalculables aussi bien sur la vie humaine que sur l’économie de ce pays», estime la Société suisse de réassurances.
Selon les calculs de cette dernière, aujourd’hui, un séisme comme celui de Bâle en 1356 ou du Valais en 1855 (5 sur l’échelle de Richter) causerait des dégâts aux bâtiments de plusieurs milliards de francs.
Sans parler des installations, des infrastructures, des coûts consécutifs par décès, blessures, pertes de productivité et dégâts à l’environnement.
«Ce sont des sommes que même la Suisse prospère ne peut absorber sans autre», ajoute André Fasel. Et de rappeler que la terre a tremblé à Fribourg en 1999 et à Bâle et Baden encore en juin dernier.
Ces secousses n’ont pas dépassé une magnitude de 4 sur l’échelle de Richter, mais elles ont été senties par la population, même si des dommages ne sont à craindre qu’à partir d’une magnitude de 4,5 à 5.
Catastrophe programmée
Le grand problème, c’est que la catastrophe est programmée mais pas prévisible. «On sait où auront lieu des tremblements de terre, mais pas quand», explique à swissinfo Gaëtan Rauber, commissaire de l’exposition.
«On peut estimer la probabilité d’une secousse d’intensité spécifique, car là où il y en a eu une, il y en aura une autre», ajoute le géologue. Ce dernier rappelle que la croûte terrestre est une sorte de «puzzle de plaques tectoniques qui s’éloignent, se rapprochent ou se frôlent, provoquant des chocs très brefs mais très intenses dans ces zones-là».
La Suisse est vulnérable à la fois au nord et au sud. D’une part, la plaque africaine pousse contre la plaque eurasienne au niveau des Alpes, qui sont du reste nées de ce phénomène il y a 30 à 40 millions d’années.
Et puis, au nord de Bâle, la plaque eurasienne, elle, est en train de se scinder en deux, ce qui provoque des frottements. C’est ce qui a causé le terrible séisme de 1356, dont l’onde de choc a été sentie jusqu’à 300 km de là. «Toutes les places-fortes ont été touchées dans un rayon de 30 km», précise Gaëtan Rauber.
6000 séismes en 25 ans
Sis à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, le Service sismologique suisse (SED) a enregistré plus de 6000 tremblements de terre en Suisse ces 25 dernières années.
Certes, plus de 95 % étaient trop faibles pour être sentis par la population. Et c’est bien là le problème, pour Nicolas Deichmann, qui combat la croyance erronée selon laquelle la Suisse est épargnée par les tremblements de terre violents.
Selon ce sismologue au SED, «l’analyse des données et les indications historiques confirment qu’il faut s’attendre à un tremblement de terre d’un ordre de grandeur similaire aux plus violentes secousses d’Umbria de 1997 tous les 100 ans en moyenne».
De son côté, Gaëtan Rauber note: «La répétition de petits tremblements de terre est statistiquement annonciatrice de la probabilité d’un séisme violent.»
En outre, un séisme léger peut provoquer des réponses locales du sous-sol, les vibrations provoquant à leur tour éboulements, raz-de-marée ou incendies.
Des études dites de «micro-zonage», menées systématiquement par le SED, permettent aux ingénieurs de dimensionner les bâtiments de manière à ce qu’ils résistent aux vibrations attendues.
La prévention s’impose
«Si on ne peut prévenir les tremblements de terre, on peut donc s’y préparer de manière à en réduire les conséquences», poursuit Gaëtan Rauber.
Si le risque sismique a augmenté, c’est aussi parce que la société industrielle moderne est très vulnérable en raison de l’augmentation massive de la population et des infrastructures.
Il faut donc adapter ces dernières au risque. A Zurich, Nicolas Deichmann poursuit: «Il faut convaincre les architectes de mieux respecter les normes antisismiques (non contraignantes) car trop de bâtiments sont insuffisamment protégés.»
Sur un bâtiment neuf, les normes parasismiques ne coûtent que de 1 à 2% du prix de la construction, alors qu’elles reviennent de 5 à 10% lorsqu’il faut adapter le bâtiment après-coup. C’est aussi ce qui pousse les assureurs à faire campagne en faveur de la prévention, car le tremblement de terre n’est pas un risque couvert par la loi.
Mais on ne sait jamais. Les 18 assureurs cantonaux des bâtiments de Suisse se sont regroupés en pool capable de débloquer jusqu’à 2 milliards, au cas où. Après tout, on est en Suisse, championne de l’assurance.
swissinfo, Isabelle Eichenberger
Le Musée d’Histoire Naturelle et l’Etablissement cantonal d’assurance des bâtiments de Fribourg présentent «Tremblements de Terre» pour sensibiliser le public aux risques sismiques.
Présentée jusqu’au 26 septembre au Musée d’histoire naturelle de Fribourg, cette exposition itinérante bilingue sera ensuite proposée ailleurs en Suisse.
– En Suisse, des dommages ne sont à craindre qu’à partir d’une magnitude de 4,5 à 5 sur l’échelle de Richter.
– Le Service Sismologique Suisse (SED) a recensé 6000 séismes depuis 1975 en Suisse.
– Seuls 5% sont importants, ce qui explique que l’on sous-estime souvent le risque d’un séisme majeur pourtant programmé.
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En conformité avec les normes du JTI
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