Remous autour de «Swiss-Swiss Democraty»
Une exposition de l’artiste suisse Thomas Hirschhorn au Centre culturel Suisse de Paris (CCSP) provoque la polémique dans la mère-patrie.
Des politiciens conservateurs se disent choqués par l’image de la Suisse que l’artiste véhicule. Pro Helvetia se distancie des attaques contre Christoph Blocher, mais soutient l’exposition.
La plupart des gens n’ont pas vu l’exposition. Mais des commentaires en provenance de Paris indiquent que Thomas Hirschhorn a dépassé les limites de ce qui est acceptable.
L’artiste bernois a déclaré qu’il entendait protester contre l’«absurdité de la démocratie directe» au travers de son exposition intitulée «Swiss-Swiss Democraty».
«Tout le monde s’en sert [de la démocratie], de Bush jusqu’aux Chinois. Et en Suisse, avec leur démocratie directe, ils pensent qu’ils l’ont inventée», a dit l’artiste sur les ondes de la radio alémanique DRS.
En procédant de la sorte, Thomas Hirschhorn veut provoquer une réflexion sur la démocratie et montrer qu’elle n’est pas toujours ce que l’on en pense.
A la limite du bon goût
Ce qui pose problème, ce n’est pas tant que l’artiste pose des questions sur la démocratie, mais plutôt la manière dont il le fait.
Dans une pièce de théâtre où il n’hésite pas à démonter le mythe de Guillaume Tell, une actrice vomit dans une urne de scrutin et un acteur adopte la position d’un chien pour uriner sur une image qui semble représenter le ministre suisse Christophe Blocher, membre de l’Union démocratique du centre (UDC / droite dure).
Sur son carton d’invitation, Thomas Hirschhorn associe l’image de la prison irakienne d’Abu Ghraib aux drapeaux des trois cantons fondateurs de la Suisse (Uri, Schwyz et Unterwald) avec une légende disant: «I love democraty».
Les visiteurs du CCSP peuvent encore découvrir un collage fait des centaines d’articles de presse. Mais le problème vient du fait que le ruban adhésif utilisé est d’une couleur brune qui rappelle le fascisme.
Thomas Hirshhorn est un opposant déclaré à l’élection de Christoph Blocher au gouvernement.
Il a laissé entendre qu’il ne reviendrait pas en Suisse tant que celui-ci appartiendra à l’exécutif national.
Avec l’argent public
La Fondation Pro Helvetia, dont dépend le CCSP de Paris, a depuis plus de 60 ans notamment pour mission de promouvoir la culture suisse à l’étranger. Pour ce faire, elle est financièrement soutenue par la Confédération.
Mais il est à plusieurs reprises arrivé que cette présentation de la culture suisse à l’étranger ne fasse pas l’unanimité. C’est pourquoi de nombreuses voix demandent la dissolution de Pro Helvetia.
Dans ce contexte, l’affaire Thomas Hirschhorn n’est qu’une nouvelle goutte dans un vase déjà passablement plein. Et plusieurs politiciens de droite s’en sont ému.
«Cela va trop loin», a déclaré Ueli Maurer sur les ondes de DRS. Pour le président de l’UDC, Pro Helvetia a pour mission de promouvoir la Suisse à l’étranger, pas le contraire. Il va donc demander que l’on supprime les moyens financiers accordés à l’institution.
Présidente de la Commission de la science, de la formation et de la culture, la radicale Christiane Langenberger (PRD / droite) partage cet avis. «Le fait de critiquer ainsi la démocratie dans une exposition me pose des questions», a-t-elle déclaré.
Christiane Langenberger s’est indignée de cette exposition qu’elle juge de mauvais goût. Elle entend en discuter lors de la prochaine séance de la commission, qui aura lieu cette semaine.
Plus serein, Pascal Couchepin relève que cette exposition ne fait pas que de critiquer la démocratie et met aussi en évidence certains de ses aspects positifs.
«Allez la voir, il paraît que c’est un grand artiste», a dit le ministre de la Culture sur les ondes de la Radio suisse romande. Et d’ajouter: «Il ne faut pas se transformer en permanence en commissaires politiques et contrôler l’orthodoxie de toutes choses.»
Pro Helvetia maintient le cap
Pro Helvetia se distancie de toute éventuelle attaque personnelle contre Christoph Blocher. Responsable de la communication de l’institution, Sabrina Schwarzenbach a cependant indiqué à swissinfo que «l’exposition n’est pas dirigée contre Christoph Blocher».
Pour le reste, Pro Helvetia conserve son soutien à cette exposition qui pose des questions sur la démocratie. L’institution rappelle dans un communiqué que le Conseil de fondation de l’institution a autorisé cette performance.
Par ailleurs, «Thomas Hirschhorn appartient à cette douzaine de créateurs suisses reconnus et demandés au-delà des frontières», peut-on encore lire dans le communiqué.
Sabrina Schwarzenbach souligne de plus que les conceptions d’un artiste ne doivent pas forcément correspondre aux conceptions de Pro Helvetia. C’est aussi une des conséquences de la démocratie…
Enfin, la responsable de la communication note que le public qui s’est rendu à Paris a bien accueilli l’exposition. Les visiteurs ont pu découvrir une autre Suisse, loin des clichés comme les montres, les montagnes ou le chocolat.
swissinfo, Urs Maurer
(Traduction: Olivier Pauchard)
Thomas Hirschhorn est né à Berne en 1957.
Son exposition «Swiss-Swiss Democracy» se tient au Centre culturel Suisse de Paris jusqu’au 30 janvier.
En 2004, il a reçu le prix Joseph Beuys doté de 33’000 euros.
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