Un anesthésiant vétérinaire pour planer en soirée
Connu pour ses effets hallucinatoires et dissociatifs, la kétamine est devenue une «party drug» comme une autre.
Courant à Zurich, cet anesthésiant vétérinaire et pédiatrique ne semble pas avoir conquis le reste de la Suisse.
‘Spécial K’ ou ‘Super K’, en poudre ou en cachet, c’est peu dire que de parler d’un remède de cheval…
Puissant anesthésiant vétérinaire également utilisé en médecine, la kétamine, est un produit qui n’est théoriquement distribué que sur ordonnance.
Selon le compendium des médicaments, c’est «un anesthésiant d’un type inhabituel. Il provoque un état dissociatif (la conscience se dissocie du corps et de la réalité extérieure).»
C’est évidemment pour cet effet secondaire et psychédélique que la kétamine est appréciée dans les milieux de la nuit.
Hallucinations violentes
«Ça provoque des hallucinations assez violentes en plus de la dissociation corps-esprit, explique Laure, une habituée de la vie nocturne zurichoise. L’espace aussi est modifié, tout devient rond, par exemple.»
Conclusion de la jeune femme, mieux vaut être accompagné quand on en prend pour la première fois, car on perd tous repères. Sinon, c’est la panique assurée.
Ou du moins un comportement aberrant vu de l’extérieur. En effet, on rencontre régulièrement des danseurs errant complètement désorientés dans les soirées techno zurichoises.
«Franchement, ça rend idiot, remarque une ‘djette’ zurichoise. On ne peut plus communiquer sous kétamine.» C’est peut-être ce qui explique que cette drogue est restée marginale dans le milieu techno. Elle est cependant constamment présente à Zurich.
Réprobation du milieu
Roger Liggenstorfer, président de eve&rave, une association de prévention privée qui tient pourtant un discours très ouvert sur les drogues, incitateur diront certains, ne ménage pas ses critiques.
«C’est un produit à prendre à la maison. Pas en soirée. Cela donne une image du public techno très négative», déclare-t-il.
Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre de la bouche de ravers, et pas nécessairement les plus abstinents, qu’ils ont quitté une soirée parce que trop de kétamine y circulait.
Il faut dire que les dealers se procurent assez facilement cette substance, qui sort tout droit de laboratoires pharmaceutiques. Le produit n’est même pas sous contrôle.
Un anesthésiant polyvalent
C’est que la kétamine a des propriétés très utiles à la médecine, dans les soins palliatifs notamment. Son effet anesthésiant dissociatif permet de soigner des douleurs chroniques.
En Suisse, il est utilisé comme anesthésiant vétérinaire, mais aussi en obstétrique et en pédiatrie, indique Caroline Bodenschatz de Swissmedic. «C’est le seul anesthésiant qui n’a pas d’effet sur le système cardiovasculaire. Et il est bon marché.»
Et surtout, ajoute-t-elle, il fonctionne très bien sur les enfants qui ne souffrent pas des effets secondaires constatés chez les adultes: hallucinations, confusion mentale ou sensation de s’être détaché de son corps.
Des symptômes qui sont contrés par la prescription simultanée de benzodiazépine. Le patient se réveille alors sans aucun souvenir de ses hallucinations.
Les limites de la prévention
Le cas de la kétamine est symptomatique des limites de la loi, comme de la prévention.
«Jusqu’où va notre rôle d’information sans qu’il provoque un effet d’annonce et donc d’incitation à la consommation?» se demande le directeur de l’ISPA. «Avec la kétamine, c’est problématique, car le produit est légal et utilisé par les vétérinaires et les pédiatres.»
Justifiant ainsi l’absence de la kétamine sur le site de l’ISPA, Michel Graf met aussi en cause «le manque d’information venant du terrain» sur les substances en vogue.
«Les saisies effectuées par la police sont notre seul indicateur», déplore-t-il. Et les polices cantonales contactées, comme l’Office fédéral de la police, n’ont rien à déclarer sur la kétamine.
A la santé publique, on a eu connaissance seulement «d’un ou deux cas d’intoxication à la kétamine, mais pas fatale». Il n’empêche, que comme tout psychédélique, la kétamine peut provoquer des flashs longtemps après sa prise.
Michel Graf regrette encore que le ‘drug testing’ soit à la limite de l’illégalité. Dans l’optique d’une réduction des risques, cette démarche permettrait au moins d’informer sur les substances dangereuses qui tournent.
Mais le problème des «party drugs» semble enfin avoir réveillé l’OFSP, qui a convoqué un symposium en juin. Il permettra de faire un état des lieux des produits sur le marché. Et d’adopter une politique en conséquence.
swissinfo, Anne Rubin
– La kétamine ou ketalar est totalement légale parce qu’utilisée comme un puissant anesthésique vétérinaire depuis 1965.
– On l’utilise aussi pour les humains, en chirurgie de guerre, en obstétrique (il est vasoconstricteur) et en pédiatrie.
– Les hallucinations provoquées par la substance ne touchent que les adultes qui doivent alors prendre de la benzodiazépine pour annuler cet effet secondaire.
– Le produit provoque une euphorie et surtout des hallucinations, dont une perte de repères et une sensation de dissociation entre corps et esprit. En quelque sorte, une ‘expérience de mort imminente’ chimique.
– Les doses que l’on trouve sont pour la plupart volées dans les centres vétérinaires ou fabriquées artisanalement.
– Sa forme d’origine est liquide, mais on la trouve aussi sous la forme de cachets et de poudre.
– Elle est avalée, fumée, sniffée ou injectée.
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