Un ‘psy’ dédramatise la violence juvénile
Selon les chiffres officiels, la délinquance juvénile a augmenté en Suisse entre 1999 et 2003, avec une inquiétante hausse (40%) des délits violents.
Pourtant, le psychologue Allan Guggenbühl prétend que le grand nombre de condamnations ne signifie pas nécessairement que la société est plus violente.
Pour Allan Guggenbühl, l’augmentation des délits reflète également des changements d’attitude vis-à-vis de la violence. Selon lui, la société à tendance à réagir vivement désormais à toute forme d’agression.
Il prétend que les jeunes délinquants avec qui il travaille ne sont pas les ‘monstres’ que l’on décrit parfois. Guggenbühl, qui dirige un institut de résolution de conflits, affirme que les jeunes trouvent difficilement leur place dans notre société et acceptent avec peine les règles qui la gouvernent.
Rappelons qu’à fin février, l’Office fédéral des statistiques publiait des chiffres montrant qu’il y a eu 13.500 condamnations d’adolescents en 2003, contre 1200 en 1999. Si la grande majorité de ces condamnations (80 %) sont en rapport avec le vol ou la consommation de drogues, 13 % sont dues à des actes violents, soit 3% de plus qu’en 1999.
Le nombre d’adolescents condamnés pour des délits violents a passé de 1237 à 1729 durant les cinq dernières années.
swissinfo: Comment peut-on expliquer ce bond en avant de 40% d’actes violents chez les adolescents?
Allan Guggenbühl: L’une des explications réside dans le fait qu’il y a des groupes d’adolescents qui se définissent à travers la violence, et qui tentent de conquérir l’espace public par la violence et l’agressivité. C’est un groupe social qui pose de gros problèmes, et qui est en augmentation.
Mais il y a aussi un autre constat à faire: plus on vieillit, plus on devient sensible à la violence et à l’agressivité des jeunes. Et comme notre société vieillit de plus en plus, elle est régie par les valeurs des aînés.
Il faut savoir que les jeunes, et spécialement les jeunes gens entre 18 et 27 ans, ont toujours été agressifs, ou tout au moins, ont beaucoup d’agressivité en eux dont ils doivent se débarrasser. La question est donc: comment la société peut-elle y faire face?
swissinfo: Justement, quelle est votre réponse à cette question?
A. G.: Notre société tend à laisser peu de place pour ce type d’agressivité. Ce qui signifie que, lorsqu’il y a un débordement d’agressivité, nous pensons immédiatement que c’est grave et qu’il faut en parler.
Si on regarde dans le passé, à différents moments de l’histoire suisse, on constate que les chiffres de la délinquance ont toujours oscillé. C’est la perception de ce phénomène qui est importante.
swissinfo: Avez-vous, vous-même, remarqué un changement dans le comportement ou l’attitude des jeunes durant cette période de cinq ans?
A.G.: Beaucoup d’institutions ou d’écoles viennent me voir parce qu’ils ne savent plus comment agir avec les adolescents qui sont agressifs et violents. Quand je travaille avec eux en groupes ou au sein même de l’école, ce que je constate continuellement, c’est que ce sont pour la plupart des adolescents qui essaient de trouver une voie, un sens à leur vie, un but. Et on peut travailler avec eux, ce ne sont pas des monstres!
swissinfo: Vous parliez du vieillissement de la population. Pensez-vous que les jeunes se sentent marginalisés dans la société?
A.G.: Le problème vient du fait que notre société est divisée en différentes ‘zones’ et les jeunes veulent savoir à qui appartient le territoire où ils se trouvent, et quelles en sont les règles.
Ce qui manque, ce sont des adultes qui leur apprennent les codes de vie appliqués dans la société, et les conséquences qui en découlent si on ne les respecte pas. Ils sont livrés à eux-mêmes.
Lors de cas à problèmes, on a tendance à dire que les jeunes concernés sont violents ou qu’ils sont devenus difficiles à gérer, et on les envoie chez un spécialiste. On oublie en fait qu’ils cherchent en fait une confrontation avec des adultes qui seraient prêts à les accueillir et à les introduire dans la société.
swissinfo: Il y a donc un espoir que ces adolescents puissent sortir de cette violence?
A.G.: Tout dépendra de ce que nous ferons, si nous avons les moyens de nous occuper de ces jeunes et si nous sommes prêts à leur dédier du temps et de l’énergie.
swissinfo: La punition infligée pour les délits violents tend à ne plus être la prison, mais un travail d’utilité publique. Votre réaction?
A.G.: Je pense que c’est une excellente solution, et c’est spécifique à notre pays. En Californie par exemple, ils appliquent la tolérance zéro. Nous avons pour tradition d’essayer de réinsérer les jeunes criminels dans la société, et ces programmes sont souvent très bien.
Interview swissinfo: Morven McLean
(Traduction et adaptation de l’anglais: Philippe Varrin)
En 2003, 135.000 adolescents ont été condamnés pour des délits, 1200 de plus qu’en 1999. On compte 44% de condamnations pour vol, 36% pour usage illégal de drogues, 13% pour des délits violents et 7% pour d’autres délits.
En 1999, les délits violents représentaient 10% de toutes les condamnations.
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