Une étude suisse accable le fabricant du Vioxx
Les effets dangereux pour le système cardio-vasculaire de ce médicament anti-inflammatoire auraient pu être prouvés depuis la fin 2000 déjà.
Et, selon les chercheurs, ces dangers sont indépendants des doses et de la durée de prise du Vioxx, qui a été retiré du marché le 30 septembre.
C’est dans le cadre du programme national de recherche «Santé musculo-squelettique – Douleurs chroniques», que des chercheurs de l’Université de Berne ont examiné en méta-analyse (analyse de l’ensemble des analyses publiées) les données publiques fournies par diverses études menées à propos du Vioxx.
Présenté jeudi par le Fonds national de la recherche scientifique (FNS), les résultats de cette étude sont publiés en ligne vendredi par la prestigieuse revue médicale The Lancet.
Interprétation biaisée
L’équipe de recherche de Peter Jüni et Matthias Egger, de l’Institut de médecine préventive et sociale de l’Université de Berne, a réalisé une analyse globale des données parues avant l’interdiction, données accessibles par l’Agence américaine FDA (Food and Drug Administration).
Cette méta-analyse a porté sur 11 études sous contrôle placebo et 11 études d’observation. Selon Peter Jüni, «l’analyse confirme ce que l’on suspectait, à savoir que l’on disposait dès la fin de 2000 de données prouvant un risque accru de maladies cardio-vasculaires sous Vioxx».
A cette époque, 52 cas d’infarctus du myocarde s’étaient produits chez les 20’742 patients observés dont 41 étaient traités avec Vioxx.
Les chercheurs bernois critiquent en particulier l’interprétation de l’étude «Vigor» de 2000 qui comparait l’efficacité et les effets indésirables du rofecoxib (Vioxx) avec d’autres antalgiques, comme le naproxène.
Merck aurait dû agir
L’étude avait mis en évidence des différences majeures dans les effets cardio-vasculaires des médicaments. Les différences avaient alors été attribuées à des propriétés protectrices supposées du naproxène et non pas à des effets négatifs du Vioxx.
Les deux chercheurs n’ont pour leur part trouvé aucune raison objective à cette interprétation. Dès lors, selon Matthias Egger, on aurait dû soupçonner une fréquence accrue des infarctus sous rofecoxib.
Selon les chercheurs bernois, le groupe pharmaceutique Merck aurait dû ou pu retirer son médicament «plusieurs années» avant septembre 2004, c’est-à-dire dès qu’elle a disposé des données utilisées par la méta-analyse.
Or, à cette époque, Merck avait confirmé la sécurité cardio-vasculaire du Vioxx.
Risque indépendant de la dose
La méta-analyse a remis en cause d’autres déclarations du fabricant, notamment celle selon laquelle seuls les patients prenant du Vioxx depuis 18 mois au moins étaient concernés.
«Les données montrent une augmentation de risque d’infarctus après seulement quelques mois de traitement, et ce risque est indépendant de la dose», affirment les deux chercheurs.
En outre, la méta-analyse met en évidence le fait que les études indépendantes du fabricant montrent de manière plus nette les effets négatifs du Vioxx.
Mais lorsque les données de ces études ne sont pas évaluées de manière indépendante, elles sont interprétées de façon plus favorable au produit. A l’avenir, selon les chercheurs bernois, il s’impose donc que les données des études soient dépouillées de manière extérieure et indépendante du fabricant.
Autorités de contrôle au pilori
Les autorités de contrôle devraient revoir leurs procédures d’admission des médicaments. Les nouvelles données et informations relativement à un médicament devraient être reprises systématiquement dans la documentation et analysées en permanence.
«Comme le montre l’exemple du Vioxx, c’est loin d’être le cas aujourd’hui», déclare Peter Jüni. Seul un suivi continu des médicaments peut protéger la population.
«Dans le cas du Vioxx, un organisme indépendant devrait examiner les raisons pour lesquelles le fabricant et les autorités de contrôle n’ont pas assuré ce suivi dans la saisie des nouvelles données et informations», souligne encore le chercheur bernois.
Merck réfute l’étude
Dans un communiqué publié vendredi, Merck réagit en réaffirmant qu’il a été «vigilant dans la surveillance et la publication des résultats concernant la sécurité cardio-vasculaire du Vioxx».
Le groupe pharmaceutique s’inscrit absolument en faux contre «toute insinuation du contraire».
Merck conteste également la conclusion selon laquelle le médicament aurait dû être retiré du commerce il y a plusieurs années déjà.
Le fabriquant prétend que les données contenues dans l’analyse suisse ne sont pas nouvelles et correspondent, dans l’ensemble, aux analyses des essais cliniques qu’il a précédemment publiées.
swissinfo et les agences
L’étude sur le Vioxx s’inscrit dans le cadre du programme national de recherche «Santé musculo-squelettique – Douleurs chroniques» (PNR 53).
Le gouvernement a débloqué 12 millions de francs pour le PNR 53 pour la période 2004-2009.
En Suisse, environ 30% de consultations médicales concernent des douleurs musculo-squelettiques.
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