La politique climatique de la Suisse viole les droits de l’homme, selon la CEDH
La Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg a donné raison mardi à l'association «Aînées pour le climat» et condamné la Suisse pour violation des droits de l'homme dans le domaine de l'environnement. Un arrêt sans précédent qui fera jurisprudence dans le monde entier.
«Aujourd’hui est un jour de joie, de soulagement et d’émotions très fortes», a déclaré Norma Bargetzi-Horisberger, membre de l’Association suisse des Aînées pour le climatLien externe, à swissinfo.ch.
Huit ans après avoir entamé une bataille juridique contre leur propre pays, accusé de ne pas agir suffisamment pour lutter contre le réchauffement climatique, les femmes âgées de 64 ans et plus réunies au sein de l’association peuvent se réjouir.
Mardi, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a donné suite à leur recours et a condamné la Suisse pour violation du droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme).
L’arrêt rendu ce mardiLien externe est sans précédent. C’est la première fois que la CEDH condamne un État pour ne pas avoir pris de mesures contre le changement climatique, en faisant le lien entre la protection des droits de l’homme et le respect des obligations environnementales.
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«Pour la première fois, une cour internationale reconnaît que les droits de l’homme incluent le droit à la protection du climat, affirme Anja Grada, membre du mouvement de la Grève du Climat. Il devient clair que la politique climatique suisse viole les droits de l’homme les plus fondamentaux.»
Ce jugement confirme clairement que «les États ont l’obligation de protéger leurs citoyens du changement climatique et de préserver leur bien-être», commente Catherine Higham, du Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment, contactée par swissinfo.ch.
Des «lacunes critiques» dans la politique climatique suisse
Siofra O’Leary, présidente de la CEDH, a déclaré que la Suisse n’avait pas mis en œuvre des politiques nationales suffisantes pour lutter contre le changement climatique, comme l’exige l’Accord de Paris sur le climat.
Le juge a constaté plusieurs «lacunes critiques» dans le processus de mise en œuvre d’un cadre réglementaire adéquat par la Suisse. Il s’agit notamment de l’incapacité à quantifier les émissions de gaz à effet de serre que le pays peut encore émettre pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels.
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La CEDH s’est également prononcée sur deux autres affaires. Elle a jugé irrecevableLien externe l’action intentée par un groupe de jeunes Portugais contre leur propre État et 31 autres pays, dont la Suisse. La même conclusionLien externe a été tirée pour le procès intenté par l’ancien maire de la commune française de Grande-Synthe, qui cherchait à condamner le gouvernement français pour son inaction en matière de climat.
«Nous regrettons le verdict sur le recours déposé par les jeunes Portugais. Cependant, nous leur avons dit que notre victoire était aussi pour eux», a déclaré Norma Bargetzi-Horisberger.
Huit ans de lutte contre la politique climatique suisse
En 2016, les Aînées pour le climat ont accusé les autorités suisses de mener une politique climatique avec des objectifs et des mesures insuffisants, en violation de leur droit à la vie. Les personnes âgées sont plus vulnérables aux effets de la crise climatique et notamment aux vagues de chaleur. Selon plusieurs études, les femmes sont par ailleurs plus touchées que les hommes par les effets du dérèglement climatique.
Le Tribunal administratif fédéral, puis le Tribunal fédéral, la plus haute instance juridique du pays, avaient rejeté la demande d’objectifs plus ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
«Pour la première fois, une cour internationale reconnaît que les droits de l’homme incluent le droit à la protection du climat»
Anja Grada, membre du mouvement de la Grève du Climat
En 2020, l’association, soutenue par Greenpeace Suisse, avait saisi la CEDH pour dénoncer la violation de plusieurs droits inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme, dont le droit à la vie (article 2) et le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8).
Le fait que la CEDH ait tenu, en mars 2023, la première audience publique de son histoire dans le cadre d’une affaire climatique, avait suscité des espoirs. Mais même les plus optimistes n’auraient pu imaginer un verdict aussi positif que celui d’aujourd’hui.
«Un précédent aux conséquences importantes»
L’arrêt de la CEDH est contraignant. Cela signifie que la Suisse est tenue de s’y conformer. «Nous attendons du Conseil fédéral et du Parlement qu’ils fassent tout leur possible pour atteindre l’objectif mondial de limiter l’augmentation de la température à 1,5 °C», a déclaré Jonas Kampuš, de la section zurichoise du mouvement de la Grève du Climat, cité dans un communiqué.
«La Suisse doit enfin agir», écrit quant à lui le WWF sur X/Twitter. La victoire des Aînées pour le climat est une victoire pour toutes les générations, selon l’organisation environnementale. «C’est un précédent aux conséquences importantes», estime le WWF.
Aux yeux de Joana Setzer, du Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment, ce succès en justice une signification «monumentale». «L’arrêt historique de la CEDH crée non seulement un précédent en matière de droit de l’environnement et du climat, mais il met également en lumière un changement capital dans le paysage juridique mondial relatif au changement climatique», écrit-elle dans un courriel adressé à swissinfo.ch.
Le jugement a une influence directe sur les 46 États membres du Conseil de l’Europe, mais ses ramifications s’étendent également au niveau mondial, selon Joana Setzer. «Le verdict constitue une référence cruciale pour les tribunaux du monde entier dans l’interprétation des obligations des États en matière de droits de l’homme concernant l’action climatique», avance-t-elle.
Les réactions des milieux politiques suisses ont été nombreuses à la suite de la décision historique de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
La présidente de la Confédération, Viola Amherd, s’est déclarée surprise par ce verdict. La durabilité, la biodiversité et l’objectif de «zéro émission nette» sont «très importants» pour le pays, a-t-elle déclaré à Vienne en marge d’une visite officielle en Autriche.
Pour la coprésidente du Parti socialiste Mattea Mayer, citée dans un communiqué, l’arrêt de la CEDH est un camouflet pour le Conseil fédéral et son incapacité à agir sur le changement climatique.
Sur la même longueur d’onde, Lisa Mazzone, présidente du Parti écologiste suisse, parle d’un «blâme» pour la Suisse. «Le verdict aura des répercussions politiques et juridiques», a-t-elle déclaré.
Philippe Nantermod, vice-président du Parti libéral radical, estime quant à lui qu’il appartient aux autorités démocratiquement élues de définir l’agenda politique des États en matière de climat, et non aux juges.
Selon Nicolò Paganini, député du Centre, l’arrêt de la CEDH ne respecte pas la démocratie directe. C’est le peuple et non le parlement qui a rejeté la loi sur le CO2 en 2021, a-t-il rappelé.
L’Union démocratique du centre, le plus grand parti au niveau national, ne mâche pas ses mots. L’arrêt de la CEDH est «scandaleux» et «inacceptable» et, en conséquence, la Suisse doit quitter le Conseil de l’Europe, a-t-elle déclaré dans un communiqué.
Source: ATS
Relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit par Deepl/sj
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