Vue de l’espace, la Terre fait peur
Réchauffement, fonte des glaces, pollutions, déforestation: les satellites d'observation voient tout. Envisat, le plus gros d'entre eux, est au centre d'un symposium mondial à Montreux.
Jusqu’à vendredi, plus de 1000 chercheurs y confronteront leurs résultats et leurs hypothèses. Et même si les scientifiques se méfient des certitudes, leurs constats font déjà peur.
Enivsat, c’est la Rolls des satellites environnementaux. Lancé il y a cinq ans par l’Agence spatiale européenne (ESA), ce monstre de huit tonnes et demie est le plus performant de son espèce, grâce à dix instruments d’observation, capables de livrer 78 types de mesures différentes.
Température des océans, faune et courants marins, inondations, déforestation, relief terrestre, humidité du sol, pollutions diverses, marées noires, trou d’ozone, fonte des glaces, ouragans, tremblements de terre, éruption volcaniques: rien n’échappe à ses yeux d’aigle.
Périodiquement, les scientifiques qui travaillent sur les montagnes de données que livre le satellite se retrouvent pour faire le point. Depuis lundi, ils sont pour cinq jours à Montreux, dans le cadre idyllique de la Riviera vaudoise.
L’heure est grave
Rien d’idyllique pourtant dans les communications présentées à l’ouverture de ce symposium Envisat 2007. On y retrouve à peu près tous les thèmes du récent rapport du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, présenté à Paris début février.
«Pour la première fois de son histoire, le Conseil de sécurité des Nations Unies a débattu la semaine dernière du réchauffement climatique», rappelle Volker Liebig, directeur des programmes d’observation de la Terre de l’ESA. Histoire de bien situer l’importance des enjeux.
«La question n’est plus de savoir si les glaces fondent, mais à quelle vitesse elles fondent», enchaîne Eric Rignot, du Jet propulsion laboratory, l’«usine à fusées» de la NASA, fort de plusieurs études sur le recul des calottes polaires. Lesquelles montrent notamment que même l’Antarctique perd ses glaces. Jusqu’à 150 milliards de tonnes par année !
«Simplement affreux»
Ailleurs, les cartes des pollutions atmosphériques laissent voir d’immenses taches rouge vif. Ce sont les concentrations de dioxydes d’azote et de soufre sur les régions du «miracle chinois», dont la croissance à deux chiffres enthousiasme si fort les investisseurs.
Plus inattendus, les records mondiaux de monoxyde de carbone reviennent à l’Afrique de l’Ouest, et à l’Amazonie. Ici, pourtant, pas d’industrialisation ni d’urbanisation au pas de charge. On se contente de brûler des forêts…
Sans oublier la déchirure de la couche d’ozone, qui a atteint l’année dernière sa plus grande extension. «Les médias n’en parlent plus, alors on croit que le problème n’existe plus, s’exclame John Burrows de l’Université de Brême. Mais il est bien réel et ce qu’Envisat nous montre est simplement affreux».
«Mon exposé vous a fait peur ? C’est normal, il y a effectivement de bonnes raisons d’avoir peur…», confie ce chercheur britannique exilé en Allemagne. John Burrows admet d’ailleurs qu’en tant que citoyen, il irait volontiers secouer un peu le monde politique.
Plus tôt dans la journée, même la présentation de l’Office fédéral de la topographie – grand consommateur de données satellite – avait pris un petit côté apocalyptique.
Pour illustrer son propos, son directeur Jean-Philippe Amstein avait choisi des images d’ouragans, de glissements de terrain, d’avalanches, d’inondations, de recul des glaciers ou de grignotage de la forêt par les constructions. Des images qui mieux qu’un long discours disent ces maux dont souffre la Terre et qu’Envisat observe sans relâche.
La planète entière
Des maux dont il devient évident que l’homme en est le premier responsable. «On a de plus en plus de certitudes sur ce qu’on voit et sur ce que ça signifie», confirme Eric Rignot.
Même si, à l’instar de ses collègues, il veut encore affiner des modèles théoriques souvent dépassés par la réalité, le chercheur admet que bien des choses sont aujourd’hui nettement plus claires qu’elles l’étaient il y a seulement quatre ou cinq ans.
Et elles devraient l’être encore plus dans un avenir proche. Le programme global de surveillance de l’environnement de l’ESA prévoit en effet de lancer ces prochaines années au moins sept satellites qui viendront épauler Envisat.
En attendant, Eric Rignot ne peut que se réjouir de la prise de conscience qu’il observe depuis un an ou deux, autant au niveau de l’opinion qu’à celui des politiques.
«Le changement climatique, ce n’est plus quelque chose qui appartient à l’académie, c’est quelque chose qui nous concerne tous. Pas seulement certains pays, mais la planète tout entière», conclut ce scientifique français exilé aux Etats-Unis.
swissinfo, Marc-André Miserez
Après Salzbourg en 2004, les scientifiques qui travaillent sur les données du satellite européen Envisat sont réunis à Montreux du 23 au 27 avril.
Le symposium réunit plus de 1000 participants (un record), venus de plus de 40 pays.
Ses 54 sessions seront l’occasion de discuter quelque 800 rapports, cosignés par 2040 auteurs.
La Suisse fait partie des pays fondateurs de l’ESA. Elle contribue à son budget à raison de quelque 140 millions de francs par année.
Sa participation au programme Envisat se monte à 51 millions. 80 entreprises et instituts de recherche suisses y ont travaillé ou y travaillent.
A Montreux, Daniel Fürst, directeur du Bureau des affaires spatiales, a parlé de la révision en cours de la politique spatiale de la Suisse, qui pourrait déboucher sur la création de sa propre agence ou le lancement de son propre programme spatial, en plus de sa participation à l’ESA.
Il a toutefois admis que la volonté politique de se lancer dans cette aventure restait encore à trouver.
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