Berne inspire San Francisco pour prévenir les suicides
Le Golden Gate de San Francisco bat le triste record du nombre de suicides sur cette Terre. Les autorités californiennes mettent en place des filets de sécurité en dessous du pont, en s’inspirant d'un modèle qui a fait ses preuves à Berne.
Quatre secondes, c’est le temps de la chute. L’an dernier, 46 personnes se sont suicidées en sautant du pont emblématique. Depuis son ouverture il y a 67 ans, le Golden Gate a connu 1653 sauts mortels. Et les statistiques ne comprennent que les personnes dont le corps a été récupéré.
Pour inverser la tendance, San Francisco a lancé le 27 juin un projet Lien externede 76 millions de dollars (68 millions CHF) qui doit être achevé en 2018. Il s’agit d’installer des filets en acier, six mètres en dessous du pont pour sauver les candidats au suicide ou les dissuader de passer à l’acte.
Pendant les quatre ans qu’a duré la construction du pont, des filets ont été mis en place pour protéger les ouvriers. Dix-neuf vies ont pu être épargnées. Mais depuis lors, les projets d’infrastructures de sécurité (barrières ou filets) n’ont jamais vu le jour pour diverses raisons, notamment esthétiques, structurelles et financières.
Alors, pourquoi le projet actuel a-t-il pu être lancé ?
Denis Mulligan, directeur général du district Golden Gate Bridge, Highway and Transportation, se réfère directement à l’expérience de Berne et sa terrasseLien externe populaire de la cathédrale qui offre une vue imprenable sur l’Aar, la basse ville, les Alpes. Et une falaise de 33 mètres avec en contrebas un sol en béton.
Denis Mulligan souligne, à juste titre, que depuis 1998, quand les filets ont été installés sept mètres au-dessous du mur de la terrasse, personne n’avait tenté d’y mettre fin à ses jours. «On se fait mal en tombant de sept mètres sur un filet en acier. Mais les personnes fatiguées de la vie veulent se tuer, pas se blesser», commente Denis Mulligan.
Mais les candidats au suicide peuvent juste aller ailleurs pour se tuer. Cette hypothèse semble toutefois erronée. Une étude de 1978 a suivi 515 personnes ayant tenté de sauter depuis le Golden Gate entre 1937 et 1971 avant d’être retenues par des tiers. L’étude a constaté que 94% des candidats au suicide étaient soit encore en vie, soit morts de causes naturelles. Seulement 6% des personnes suivies s’était ensuite suicidées ou décédées dans des circonstances suggérant le suicide.
Paul Muller, de la Fondation Bridge Rail, est impliqué dans le projet du Golden Gate Il s’appuie sur cette étude pour souligner que le suicide est évitable: «La chose la plus importante est de restreindre l’accès aux lieux permettant de mettre fin à ses jours. Une personne en état suicidaire ne l’est que durant un certain laps de temps. Les psychiatres peuvent débattre de sa durée, quelques heures ou quelques jours. Mais un dispositif de sécurité permet de placer la personne en lieu sûr et de faire baisser ainsi sa pulsion suicidaire.»
«Pas acceptable»
La capitale suisse est parsemée de ponts élevés et de falaises vertigineuses. Résultat: 30% des suicides à Berne sont le fait de sauts dans le vide, généralement depuis des ponts. Ce chiffre était de 60% avant que les autorités ne prennent des mesures en 1998.
Entre 1996 et 1998, sept personnes ont sauté depuis la terrasse de la cathédrale. En janvier 1998, une personne s’est écrasée à quelques mètres d’un garçon de 10 ans. À la fin de cette année-là, les filets étaient en place.
Les passants traumatisés ne sont pas les seuls à être soulagés. Les secouristes ne sont plus confrontés à la tâche tout aussi traumatisante de nettoyer les lieux du drame. Les filets dissuasifs évitent aussi les cas rares de survivants aux blessures graves et les coûts de santé associés.
Le politicien UDC (droite conservatrice) Erich Hess a été le témoin d’un suicide en ville de Berne. «J’étais dans le tram. Il traversait le pont de Kirchenfeld, quand en regardant par la fenêtre, j’ai vu quelqu’un sauter. Je suis sorti à l’arrêt suivant en me disant que c’était inacceptable. Je savais que beaucoup de gens se suicidaient comme ça», raconte le politicien bernois à swissinfo.ch.
Erich Hess a présenté une motion pour prévenir ce type de suicide. Elle a été approuvée en 2009 par le parlement de la ville. Des grillages métalliques temporaires ont été érigés au-dessus des barrières longeant les ponts de Kirchenfeld et du Kornhaus.
«Diminution drastique»
Ces clôtures ont été très efficaces. Elles ont entrainé une «baisse drastique» des suicides, selon le gouvernement de la ville. Les chiffres exacts sont difficiles à trouver car toutes les parties concernées sont réticentes à donner des détails. Les experts estiment que trop d’information ou de couverture médiatique peut encourager les suicides.
«Avant la pose des filets, près de dix personnes par an sautaient des ponts à Berne. Ce chiffre est maintenant pratiquement de zéro», avance Erich Hess.
En février 2014, le parlement de la ville de Berne a voté un budget de 6,45 millions de francs pour remplacer les clôtures par des filets similaires à ceux de la terrasse de la cathédrale.
Ce vote n’a pas fait l’unanimité, loin de là. Certains politiciens se sont plaints du coût, d’autres ont invoqué la nécessité de protéger ces monuments historiques, la veille ville de Berne étant classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. «Sauver des vies est plus important que l’esthétique», répond Erich Hess.
«Bon investissement»
L’intérêt de la Californie pour l’expérience bernoise s’est manifesté en 2008, selon Dieter Arnold du Département de génie civil de Berne. C’est à ce moment qu’ils ont été contactés par le département des Transports de Californie (CalTrans) qui voulait savoir pourquoi les filets de la terrasse de la cathédrale avaient été posés et comment les gens qui avaient sauté s’en étaient sortis.
«Cette requête concernait le pont du Cold Spring Canyon à Santa Barbara, non le Golden Gate», raconte Dieter Arnold, qui suppose que l’information a ensuite été transmise aux autorités de San Francisco.
L’argument financier ne tient pas, selon le Californien Paul Muller. «Nous parlons d’une infrastructure financée une seule fois et qui durera probablement 50, 75 ans, une période durant laquelle on enregistrerait 2000 décès, si rien n’était fait.»
Suicides en Suisse
En 2012, un total de 1037 personnes (752 hommes et 285 femmes) se sont suicidées. Par comparaison, 339 personnes sont mortes dans des accidents de la route cette année.
Le nombre de suicides a progressivement baissé depuis le milieu des années 1980, quand plus de 1600 personnes se sont ôtés la vie.
Dans un rapport de 2009: 28% des suicidés sont passé à l’acte par pendaison, 23% par balle, 14% avec du poison, 14% en se jetant dans le vide, 10% en se jetant sous un véhicule et 11% par d’autres procédés. Les armes à feu et les pendaisons sont privilégiées par les hommes, tandis que les femmes sont plus susceptibles de se suicider par noyade, empoisonnement, saut dans le vide ou sous un véhicule.
Les suicides mentionnés ci-dessus ne comprennent pas le suicide assisté, légalisé en Suisse.
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