Comment il a fallu déplacer une fête de lutte par égard pour les lièvres
Le bétonnage du paysage et l’agriculture intensive représentent une menace pour de nombreuses espèces animales et végétales de Suisse. Même le lièvre se fait rare. Pour lui cependant, des mesures peuvent être prises.
La diversité des espèces a fortement reculé au cours des cent dernières années en Suisse. Le lièvre en est le symbole. En dépit de sa fertilité proverbiale, cet animal autrefois si répandu se fait rare. Ses effectifs ont diminué d’un tiers au cours des 25 dernières années.
C’est pourquoi dans la plupart des cantons les chasseurs renoncent d’eux-mêmes à l’abattre. D’autres espèces de la faune et de la flore reculent également en Suisse, à l’exemple du tarier des prés. Même le hérisson est touché, a indiqué cette année l’organisation de protection de la nature Pro Natura.
De nombreuses raisons expliquent cette situation, indique Urs Tester, responsable de la division Biotopes et espèces de Pro Natura. Mais la principale est la réduction des milieux naturels, indique-t-il dans son bureau à Bâle.
Les agriculteurs utilisent plus intensément les surfaces encore disponibles, les prairies sèches et d’autres terres gérées de manière extensive continuent de disparaître. De nombreuses espèces souffrent des pesticides qu’ils pulvérisent. Et 0,9 mètre carré de sol est imperméabilisé chaque seconde en Suisse.
Situation «insatisfaisante»
Il y a 25 ans, la Suisse et de nombreux autres États ont signé à Nairobi une convention pour la protection de la diversité biologique. Elle a pour objectif d’en protéger tous les aspects, des ressources génétiques aux espèces et aux écosystèmes. Le texte avait notamment pour but d’enrayer le recul de cette diversité.
La Confédération fait certainement elle aussi des efforts. Elle a adopté en 2012 sa Stratégie Biodiversité Suisse puis en 2017 le plan d’action pour la concrétiser. L’Office fédéral de l’environnement reconnaît cependant que l’état de la biodiversité est «insatisfaisant». Plus d’un tiers de toute les espèces étudiées est menacé et la superficie des milieux naturels de grande valeur écologique a sensiblement reculé, indique-t-il.
Les organisations de protection de l’environnement regrettent qu’en Suisse seule une part relativement faible du territoire soit protégée, en particulier le Parc national suisse et toutes les réserves naturelles. Selon Urs Tester, elle ne constitue que 9% du sol alors que les États signataires de la Convention se sont entretemps donné pour objectif de créer d’ici 2020 un réseau d’espaces protégés couvrant au moins 17% de la surface terrestre.
Une opportunité d’accroître cette proportion en Suisse s’est présentée en juin avec la votation sur la création d’un parc national dans le Locarnese au Tessin. Le projet devait essentiellement être financé par la Confédération, mais six des huit communes tessinoises concernées l’ont rejeté. Deux ans plus tôt déjà, la création du Parc Adula à cheval entre le Tessin et les Grisons avait échoué face à l’opposition des électeurs de 8 des 17 communes touchées.
La création d’un deuxième parc national en Suisse constituait un des objectifs centraux de Pro Natura. Comment Urs Tester explique-t-il cet échec? «Selon un sondage que nous avons effectué il y a quelques années, 80% de la population estime que la nature va bien ou très bien». Mais c’est faux. La majeure partie des gens n’est pas suffisamment consciente de l’urgence de mesures concrètes pour protéger la nature.
Le projet «Hopp lièvre»
Il y a cependant aussi des développements positifs. En comparaison internationale, la Suisse est bien placée pour la forêt, reconnaît Urs Tester. «Chez nous, on ne répand pas d’engrais en forêt et on n’y utilise ni pesticides ni chaux (contre l’acidification du sol)», indique ce biologiste de formation qui travaille depuis plus de 25 ans pour Pro Natura.
C’est différent en Scandinavie où la forêt est exploitée de manière industrielle et en partie rasée tous les 50 ans. L’économie forestière de Suisse est très respectueuse de la nature, ce qui a aussi des incidences positives sur la faune et la flore qui y vivent.
Les lièvres ne sont pas non plus abandonnés à leur sort. Dans le canton de Bâle-Campagne, la section locale de Pro Natura et l’association locale de protection de la nature et des oiseaux ont mené de 2007 à 2016 le projet «Hopp Hase» (Hopp lièvre). Le but était d’examiner avec les agriculteurs comment redonner du poil de la bête à ces petits mammifères.
Des expériences sur le terrain ont mis en évidences deux mesures qui peuvent lui venir en aide: de larges jachères dans les cultures et des cultures céréalières moins denses. Toutes deux permettent de mieux protéger les jeunes lièvres contre les prédateurs. «Le projet a très bien marché et nous avons appris beaucoup de choses sur les lièvres», remarque Urs Tester.
L’organisation de protection de la nature demande maintenant que les cantons et la Confédération accordent dans le cadre de la promotion de la biodiversité des compensations financières pour les cultures céréalières moins denses. Ces contributions à la biodiversité sont déjà versées pour les prairies maigres, les haies et les jachères florales.
Il est piquant de relever que les champs où les lièvres se sont multipliés entre Aesch et Reinach grâce au projet conduit à Bâle-Campagne devaient à l’origine accueillir la Fête fédérale de lutte 2022. Mais celle-ci se déroulera finalement à Pratteln en raison des protestations des agriculteurs et des amis de la nature.
Quelle leçon en tirer? Lorsque les organisations de protection de l’environnement et les agriculteurs collaborent, ils peuvent obtenir de bons résultats.
(traduction de l’allemand: Olivier Hüther)
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