Ces «bons migrants» qui font le bonheur du foot suisse
Des 32 équipes engagées au Mondial brésilien, la sélection suisse est celle qui compte le plus de joueurs d’origine étrangère dans ses rangs. Les Shaqiri, Rodriguez et autre Xhaka sont-ils la vitrine du modèle d’intégration helvétique ou simplement représentatifs d’un sport avant tout pratiqué par les migrants?
Son nom aux consonances balkaniques résonne désormais dans le cœur de tous les supporters: Haris Seferovic, buteur providentiel de l’équipe de Suisse de football, qui a permis à son pays de remporter un succès précieux face à l’Equateur lors de son premier match du Mondial (2-1). En 2009, c’était lui, déjà, qui avait inscrit le seul but en finale du Championnat du monde des moins de 17 ans au Nigéria, propulsant pour la première fois de l’histoire une sélection helvétique au firmament du football planétaire.
Né en Suisse de parents qui ont quitté la Bosnie-Herzégovine (alors yougoslave) à la fin des années 1980, Seferovic fait partie des nombreux joueurs d’origine étrangère (15 sur 23) qui composent l’équipe de Suisse de football. La sélection helvétique serait même la plus cosmopolite du Mondial, selon le designer d’informations australien James Offer, qui s’est basé sur les liens (naissance, parents ou grands-parents) de chaque joueur à l’étranger. La «Nati» présente 21 liaisons, devançant l’Australie (18), l’Algérie, la Bosnie-Herzégovie et la France, qui en comptent 16.
Une grande partie des sélectionnés sont des «secondos», dont au moins un des parents provient d’un pays étranger. Il n’est pas rare qu’il aient la double nationalité, à l’image de l’hispano-suisse Philippe Senderos, dont les parents sont issus de Serbie et d’Espagne.
«Une preuve de tolérance»
Même le capitaine de l’équipe, Gökhan Inler, est un double-national. «J’ai confié à Gökhan Inler, un immigré turc, le rôle de capitaine car je voulais donner plus d’importance aux joueurs d’origine étrangère dans l’équipe. Cette diversité représente bien la Suisse d’aujourd’hui et donne une preuve de sa tolérance. Nous sommes fiers de montrer que le pays peut bien intégrer ses étrangers», déclarait récemment Ottmar Hitzfeld, le sélectionneur national, dans un reportage consacré par la chaîne de télévision française Canal+ à cette «sélection pas si neutre».
Plusieurs des joueurs de la sélection nationale sont nés à l’étranger. C’est le cas notamment de Xherdan Shaqiri, la star de l’équipe, né au Kosovo, et qui n’hésite pas à afficher ses racines multiples. Buteur lors du match de qualification en Albanie l’an dernier, «XS» a décidé de ne pas manifester sa joie par «respect» pour son pays d’origine.
Cette diversité est relativement récente. Il y a vingt ans, lors de la Coupe du monde aux Etats-Unis, le joueur d’origine argentine Nestor Subiat était le seul naturalisé de l’équipe. Au Mondial 2006, huit joueurs aux racines étrangères composaient la sélection de Köbi Kuhn.
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Un sport moins identitaire
Doit-on y déceler une exception suisse, un modèle d’intégration réussi? C’est ce que semble penser Peter Gilliéron, président de l’Association suisse de football (ASF): «Il n’y a à mon sens pas de vecteur d’intégration plus important que le football en Suisse. Ces dernières décennies, c’est en pratiquant ce sport que les immigrés se sont rapprochés le plus de la Suisse et des Suisses», affirmait-il au lendemain de la victoire des M17 au Nigéria, à swissinfo.ch.
Sociologue du sport à l’université de Lausanne, Fabien Ohl se veut beaucoup plus pragmatique. Selon lui, ce phénomène s’explique en premier lieu par l’origine sociale des migrants et les pratiques sportives spécifiques à la Suisse. «Dans beaucoup d’autres pays, le football est le sport phare par excellence. En Suisse, il est en concurrence avec le hockey sur glace, le ski alpin et le tennis. Ces sports coûtent plus cher et ont un ancrage identitaire fort auprès des Suisses. Ils ne sont donc pas faciles d’accès pour les immigrés, qui se reportent plus facilement vers le football».
Une autre raison est invoquée par le sociologue: le football est considéré par de nombreux jeunes hommes issus de l’immigration comme le meilleur moyen d’accéder au succès et à la reconnaissance sociale. «Les figures identificatoires étant souvent liées à l’immigration, cela va pousser les enfants de migrants à pratiquer ce sport», relève Fabien Ohl. Sur les plus de 250’000 licenciés que compte le pays, un tiers ne possèdent pas la nationalité suisse.
Et les joueurs issus de l’immigration n’hésitent pas à afficher leurs ambitions, leur désir de gagner de l’argent et de réussir coûte que coûte dans le football, alors que beaucoup de jeunes Suisses – et leurs parents – préfèrent à l’adolescence insister sur les études ou l’apprentissage.
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Le résultat de «l’immigration de masse»
L’intérêt manifesté par l’ASF à l’égard des binationaux, à qui on offre rapidement des responsabilités au sein de l’équipe nationale, ainsi qu’un système de formation réputé dans le monde entier, expliquent également en grande partie ce succès.
Reste que cette sélection suisse intrigue, notamment à la suite du frein à l’immigration voté par le peuple suisse le 9 février. Certains observateurs y décèlent un étrange paradoxe. «N’oublions pas que tous ces joueurs sont le résultat de ‘l’immigration de masse’, écrit ainsi le média en ligne helvétique journal21. Leurs parents viennent de l’étranger, principalement de pays non membres de l’UE, et ils ont heureusement pu amener leurs familles avec eux. Sans cela, ces garçons – dont certains sont nés en Suisse – n’auraient jamais pu être repérés dans les clubs de football locaux.»
En visite au Brésil pour soutenir l’équipe de Suisse, le ministre de la Défense et des Sports Ueli Maurer (UDC / droite conservatrice), a été alpagué par les journalistes à ce sujet. «Que pense-t-il de cette équipe multiculturelle si éloignée des stéréotypes véhiculés par son parti?», a questionné Le Matin Dimanche. «Je ne suis pas d’accord, l’UDC s’est toujours félicitée des étrangers qui s’intègrent et travaillent pour le bien de la Suisse», a-t-il rétorqué.
Le footballeur, ce «bon migrant»
Fabien Ohl n’est pas tellement surpris par ce discours: «Le footballeur est considéré comme le bon migrant, puisqu’il sert la patrie et fait la fierté de son pays d’accueil. A l’inverse, l’étranger qui commet des délits ou n’a pas les mêmes pratiques culturelles que les nôtres représente la figure repoussoir. Tous les étrangers ordinaires, pas spécialement brillants ni d’ailleurs menaçants, sont en revanche très peu visibles».
Attention cependant au retour de manivelle, prévient le sociologue: «Lorsque l’équipe sportive multiculturelle réussit, tout le monde loue cette diversité. Mais dès le moment où apparait une défaillance, une contre-performance ou une polémique, ce sont les différences qui reprennent le dessus. L’équipe de France [adulée après son sacre de 1998 puis jetée en opprobre lors de sa grève en Afrique du Sud en 2010] en est le parfait exemple.»
Gardiens:
Diego Benaglio, grands-parents italiens
Roman Bürki, Suisse
Yann Sommer, Suisse
Défenseurs:
Philippe Senderos, parents de Serbie et d’Espagne
Johan Djourou, né en Côte d’Ivoire
Michael Lang, Suisse
Fabian Schär, Suisse
Stephan Lichtsteiner, Suisse
Steve von Bergen, Suisse
Reto Ziegler, Suisse
Ricardo Rodriguez, parents du Chili
Milieux de terrain:
Tranquillo Barnetta, binational italo-suisse
Valon Behrami, né au Kosovo
Blerim Dzemaili, né en Macédoine
Gelson Fernandes, né au Cap-Vert
Gökhan Inler, parents de Turquie
Xherdan Shaqiri, né au Kosovo
Admir Mehmedi, né en Macédoine
Valentin Stocker, Suisse
Granit Xhaka, parents d’Albanie
Attaquants:
Haris Seferovic, parents de Bosnie-Herzégovine
Mario Gavranovic, parents de Bosnie-Herzégovine
Josip Drmic, parents de Croatie
Membre de l’équipe de Suisse depuis 2005, Valon Behrami est un joueur-clé du dispositif d’Ottmar Hitzfeld. En conférence de presse, il s’est aussi exprimé le 17 juin sur ses origines kosovares.
«L’équipe de Suisse n’est pas comme les autres, avec toutes ces nationalités et mentalités différentes. Je veux surtout être un exemple. Un exemple pour tous ces Suisses qui, comme moi, viennent d’ailleurs. Je veux leur démontrer que nous devons rendre à ce pays tout ce qu’il nous a apporté.
Si je suis un footballeur professionnel aujourd’hui, je le dois à la formation qui m’a été offerte en Suisse. Je dois respecter ce que la Suisse a fait pour moi. La question n’est pas de chanter ou pas l’hymne. La seule manière de le faire, c’est de donner 100% sur le terrain. C’est cette attitude que je dois toujours témoigner. Si j’en avais une autre, j’ai peur que ces jeunes qui s’identifient à moi en aient également une autre.
C’est ce pays qui nous a donné l’opportunité d’atteindre ce niveau. Mais il y a des moments dans un match où c’est le coeur qui doit parler. C’est l’esprit de la terre où tu es né qui peut aussi te guider.»
Sources: ATS / Le Matin
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