Hôpitaux débordés? Des projections qui rassurent, d’autres qui font mal
La courbe de progression du virus en Suisse n’a pas encore atteint son pic. Les hôpitaux pourront-ils offrir des soins intensifs à tous les patients qui en ont besoin? Les médecins viennent de compléter leurs directives de tri.
Jeudi 26 mars, la Suisse recensait près de 11’000 personnes testées positives au virus. Quand vous lirez ceci, nous serons peut-être à 12’000, ou plus. Soit 0,15% de la population du pays. On sait toutefois que le chiffre effectif est nettement plus élevé: il y a les gens atteints qui, sans avoir de réels symptômes (juste une petite fatigue par exemple), peuvent néanmoins transmettre la maladie. Et aussi tous ceux qui ont des symptômes, qui appellent la hotline, mais dont l’état général reste bon et qui, faute d’être testés, n’entreront pas non plus dans la statistique.
Parmi toutes ces personnes atteintes, 15% environ devront être hospitalisées, dont un tiers finira aux soins intensifs. Cela ferait actuellement 600 personnes dans le pays, qui ont besoin des fameux respirateurs artificiels. Mais ce que l’on ne dit pas souvent à leur sujet, c’est qu’ils sont loin d’être la panacée – car il n’y a pas de panacée contre ce virus.
Actuellement, les hôpitaux suisses ont abaissé leurs critères d’intubation, ce qui signifie que l’on n’attend plus le moment critique pour introduire dans la trachée du patient le tube du respirateur. Il n’empêche: lorsque le virus a attaqué les poumons au point que cette machine devient nécessaire, les chances de survie ne sont pas bonnes. On ne dispose pas encore de chiffres pour la Suisse, mais une étude menée à Wuhan et publiée dans la revue médicale The LancetLien externe indique que 86% des patients Covid-19 intubés sont décédés, en moyenne au cinquième jour. Les autres ont pu quitter les soins intensifs après deux à trois semaines.
Donc, même si le constat peut sembler cynique, le tournus est important et relativement rapide.
Saturation?
Selon les chiffres de la Société suisse de médecine intensive (SSMILien externe), les 82 unités de soins intensifs certifiées du pays offrent «entre 950 et 1000 lits, capacité qui peut être augmentée dans de nombreuses unités face à des situations exceptionnelles». Il faut y ajouter «400 à 450 lits dans les unités de soins intermédiaires». Il y a donc encore de la marge.
Cependant, il ne faut pas oublier que les patients Covid-19 ne sont pas les seuls à avoir besoin de soins intensifs. Les hôpitaux du pays se sont réorganisés en un temps record et ont différé toutes les opérations non urgentes pour faire de la place. Mais malgré cela, des gens continuent à faire des crises cardiaques, des AVC ou à avoir des accidents de la route.
Prédire si le système va être saturé ou non reviendrait donc à résoudre une équation qui comporte au moins deux inconnues, dont les valeurs changent pour chaque jour donné: le nombre de lits disponibles et le nombre de patients atteints.
D’où l’importance de tout faire pour aplanir la courbe de progression de l’épidémie, comme l’expliquait il y a deux semaines déjà à RTS Info le professeur Didier Pittet des Hôpitaux Universitaires de Genève.
Et comme plus personne ne peut l’ignorer désormais, le meilleur moyen de participer à cet effort, c’est de RESTER CHEZ SOI.
Et s’il faut trier les patients?
Les médecins n’attendront toutefois pas une possible catastrophe pour réagir. Des décisions vitales, elles et ils sont amenés à en prendre même hors période de pandémie. Imaginons simplement comment une équipe des urgences doit réagir quand elle voit arriver en même temps plusieurs blessés graves après un accident de la route…
Pour ce genre de cas, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) a élaboré en 2013 des «directivesLien externe médico-éthiques sur le triage des patients en cas de goulets d’étranglement». Avec le coronavirus, celles-ci ont été actualisées il y a une semaine.
Le principe de base reste le même: «sauver autant de vies que possible». Et même si les ressources viennent à manquer, «les patients Covid-19 et les autres patients qui ont besoin de soins intensifs sont traités selon les mêmes critères», écrit l’ASSM.
La survie avant tout
Le premier de ces critères, c’est le pronostic à court terme. «Les patients dont le pronostic de sortie de l’hôpital est favorable avec une thérapie de soins intensifs mais défavorable sans soins intensifs, ont la priorité absolue», rappelle le document.
Donc, pas question de discrimination fondée sur «le sexe, le lieu de résidence, la nationalité, l’appartenance religieuse, le statut social, le statut d’assuré ou un handicap chronique». L’âge? Ce n’est pas un critère direct, même si l’ASSM admet qu’objectivement, les patients âges peuvent être ceux dont les chances de survie sont les moins bonnes.
Enfin, l’Association souligne l’importance qu’il y a à «clarifier en amont, avec tous les patients qui en ont la capacité, leur volonté en cas de complications. Les ressources limitées ne doivent en aucun cas être utilisées pour des traitements que le patient ne souhaite pas». Autrement dit: pas d’acharnement thérapeutique.
Quant aux malades qui seraient éventuellement laissés à la porte des soins intensifs, ils ne seront pas oubliés pour autant. Ces blouses blanches que le monde acclame tous les soirs au balcon se feront un devoir de les accompagner jusqu’au bout, en leur fournissant tous les soins palliatifs nécessaires – pour leur permettre de partir dans la dignité.
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