Nier le génocide arménien relève de la liberté d’opinion
La Suisse n'aurait pas dû condamner un Turc pour avoir publiquement nié le génocide arménien, a tranché jeudi la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). Elle a estimé que cette condamnation avait porté atteinte à sa liberté d'expression.
Les propos de cet homme politique turc, Dogu Perinçek, qualifiant le génocide arménien de 1915 de «mensonge international», n’ont pas porté atteinte «à la dignité des membres de la communauté arménienne au point d’appeler une réponse pénale en Suisse», ont estimé par 10 voix contre 7 les juges européens, dans un arrêt définitif.
Cette décision ne porte pas sur la négation du génocide des Juifs par les nazis, a souligné la CEDH: pénaliser de tels propos «se justifie» car la négation de l’Holocauste, selon elle, «passe invariablement pour la traduction d’une idéologie antidémocratique et antisémite».
Pas une prise de position
L’arrêt de jeudi ne signifie pas que la CEDH prend position sur la réalité historique du génocide arménien, a-t-elle souligné en se déclarant «incompétente pour prononcer une conclusion juridique contraignante sur ce point».
Dogu Perinçek avait été condamné en 2007 à une amende par la justice suisse pour avoir publiquement déclaré que la thèse d’un génocide arménien perpétré au début du XXe siècle relevait d’un «mensonge international». Il avait saisi la justice européenne en arguant que cette condamnation avait porté atteinte à sa liberté d’expression.
Dans un arrêt de première instance, en décembre 2013, la Cour européenne lui avait donné raison une première fois. Les autorités helvétiques avaient alors demandé, et obtenu, un nouvel examen de cette affaire devant les juges de Strasbourg.
Dans son arrêt définitif de jeudi, la CEDH a souligné qu’elle n’avait «pas à dire si la criminalisation de la négation de génocides ou d’autres faits historiques (pouvait) en principe se justifier», mais qu’en l’occurrence, dans le cas précis qui lui était soumis, Dogu Perinçek n’avait «pas fait preuve de mépris ou de haine à l’égard des victimes» arméniennes des massacres de 1915.
«Il n’a pas traité les Arméniens de menteurs, usé de termes injurieux à leur égard ni cherché à les caricaturer», ont ajouté les magistrats européens.
Rapport en préparation
Côté suisse, l’Office fédéral de la justice (OFJ) a réagi par voie de communiqué. Il indique prendre acte «avec intérêt» de la décision de la CEDH.
«L’arrêt de la Grande Chambre confirme toute l’importance que la Cour accorde à la liberté d’expression. Il est trop tôt pour mesurer les conséquences de ce jugement sur le plan juridique. Il faudra l’analyser de manière approfondie pour déterminer si une certaine retenue s’impose dans l’application de la norme antiraciste ou s’il y a lieu de la réviser», ajouter l’OFJ.
Et ce dernier de préciser que la Suisse remettra dans les six mois au plus tard au Comité des ministres du Conseil de l’Europe un rapport sur la manière dont elle compte appliquer l’arrêt et prévenir d’autres violations similaires.
L’Association Suisse-Arménie outrée
L’Association Suisse-Arménie est «consternée et profondément choquée» par l’arrêt. Elle rappelle que la liberté d’expression, que la Suisse a violée selon Strasbourg, n’est pas «absolue».
La liberté d’expression ne peut être utilisée pour «réécrire l’histoire, en cherchant à nier ou à justifier un génocide», écrit l’association dans un communiqué. Cette décision est d’autant plus révoltante qu’elle intervient alors que l’on commémore cette année le centenaire du génocide des Arméniens, poursuit-elle.
Beaucoup de Suisses d’origine turque sont en revanche satisfaits de la décision. La communauté se dit «lasse de la stigmatisation latente entretenue par les harcèlements judiciaires liberticides» qui ont prévalu ces dernières années, indique la Fédération des associations turques de Suisse romande (Fatsr).
En conclusion, la fédération souligne espérer que l’arrêt de Strasbourg favorisera la rencontre et le dialogue apaisé entre Turcs et Arméniens. L’évaluation des événements de 1915 est l’affaire des historiens, pas des parlements ou des juges, estime pour sa part la Communauté turque de Suisse (TGS).
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