Dans les entreprises suisses, peu de femmes au pouvoir
En Suisse, les femmes qui occupent des fonctions dirigeantes restent trop rares. Pour tenter de remédier à ce déséquilibre, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) vient de publier un recueil de bonnes pratiques. Des voix critiques s'élèvent déjà sur l'efficacité d'une telle mesure.
La petite brochure du SECO, dévoilée le 3 mars, est destinée à encourager les entreprises à nommer des femmes dans les fonctions dirigeantes. Cette initiative dispose du soutien de l’Union patronale suisse, qui appelle à un changement fondamental de culture au sein des entreprises, et de l’Union suisse des arts et métiers, qui souhaite que les compétences des femmes soient mises à profit.
Actuellement, en Suisse, les femmes composent environ 4% des fonctions dirigeantes et 8,3% des conseils d’administration. Le SECO note que la situation a très peu changé au cours des dix dernières années. «Une des raisons principale est la combinaison difficile entre travail et famille. Les conditions cadre doivent être correctement adaptées, sinon les femmes qui ont une famille ne peuvent pas progresser dans leur carrière», rapporte Martina Schläpfer, responsable de la section Travail et famille/Femmes et carrière au SECO.
«La deuxième raison est le plafond de verre. Il est très difficile pour les femmes d’atteindre les plus hauts échelons de la hiérarchie, car souvent les compétences professionnelles ne sont pas suffisantes: d’autres facteurs jouent un rôle important comme les réseaux personnels. Les hommes possèdent de meilleurs réseaux et se recommandent les uns les autres aux postes de direction», remarque Martina Schläpfer.
Et d’ajouter: «Pourtant, des études montrent que les entreprises qui comptent une proportion équilibrée de femmes au sein de leur direction sont plus efficaces, et que les équipes mixtes sont plus créatives et répondent mieux aux attentes des clients.»
Les bonnes pratiques développées dans la brochure du SECO, «Les femmes dans des fonctions dirigeantes: les clés de la réussite», se basent sur l’expérience de dix entreprises.
Ces pratiques recouvrent plusieurs domaines, tels que le changement de culture au sein de l’entreprise, le développement de carrière, l’équilibre travail / vie privée ainsi que le processus de recrutement, qui, selon Martina Schläpfer est souvent adapté aux hommes.
Objectifs
Certaines entreprises ont défini des objectifs explicites. Le géant pharmaceutique Roche s’est donné pour but de compter 20% de femmes dans son top management d’ici fin 2014. Quant à l’entreprise IBM Suisse, elle encourage déjà une proportion plus équilibrée de femmes aux fonctions clés, puisque sa direction est assumée par une femme, Isabelle Welton. Et qu’elle compte 21% de femmes dans son conseil d’administration et 33% dans ses fonctions dirigeantes.
Le SECO lui-même a nommé pour la première fois une femme à sa tête, avec Marie-Gabrielle Ineichen, qui entrera en fonction le 1er avril. Par contre, deux des entreprises mentionnées, le cabinet de conseil PriceWaterhouseCoopers et l’entreprise d’électronique Feller, ne disposent d’aucune femme aux fonctions clés. Même s’ils possèdent des programmes de mentorat et soutiennent le travail à temps partiel.
Les entreprises mentionnent différentes raisons pour l’encouragement d’une plus grande participation de femmes aux fonctions dirigeantes. Celles-ci vont de la crainte d’une pénurie de personnel sur le marché de l’emploi d’ici 2015 à la volonté de se présenter comme de meilleurs employeurs.
Mesures volontaires ou quotas?
L’Union syndicale Suisse reste quant à elle méfiante vis-à-vis de l’initiative du SECO. «Une telle publication est très bien, mais elle montre aussi que nous n’avançons pas vraiment en s’appuyant sur des mesures volontaires», remarque Christina Werder, Secrétaire à l’égalité.
Elle souligne que l’égalité a été inscrite dans la Constitution suisse il y a 30 ans, mais qu’elle n’a jamais vraiment atteint le monde professionnel, notamment parce que les femmes gagnent toujours environ 20% de moins que les hommes.
Christina Werder ajoute également que le débat a besoin d’une nouvelle impulsion. «C’est pourquoi les syndicats appellent les gens à se mobiliser le 14 juin, pour demander un salaire égal, plus de places dans les crèches ou encore, le congé paternité et parental», note-t-elle, en référence à la planification d’une journée de grève et d’actions des femmes.
«Les femmes demandent l’égalité salariale depuis longtemps, mais nous devons admettre que cela ne vient pas de plein gré. C’est la même chose avec les femmes dans les fonctions dirigeantes», relève Christina Werder.
La Suisse a déjà débattu des quotas féminins dans les entreprises, qui sont mis en place en Norvège depuis 2008 et qui seront imposés dans les conseils d’administration français d’ici 2017. Mais Martina Schläpfer note que ce n’est pas un sujet à l’agenda politique, étant donné que toutes les initiatives parlementaires sur cette question ont toujours été rejetées.
Elle admet que les mesures volontaires prennent du temps. «Mais si les entreprises agissent d’elles-mêmes par conviction, cela s’inscrit souvent dans la durée.»
100 ans. La Journée internationale de la femme qui se déroule le 8 mars célèbre les réalisations économiques, politiques et sociales des femmes. Les premières manifestations se sont déroulées en 1911 en Autriche, au Danemark, en Allemagne et en Suisse, elles ont réuni plus d’un million de personnes. Aujourd’hui, plusieurs pays marquent cette date. Dans environ 25 pays, notamment l’Afghanistan, la Russie, l’Ukraine, le Vietnam et la Zambie, le 8 mars est un jour férié
Manifestations. La Suisse participe à travers différents événements aux manifestations internationales menées pour cette journée: l’école internationale de management IMD à Lausanne co-organise deux journées dédiées aux femmes dans les fonctions dirigeantes (10 et 11 mars). Et à Berne, une conférence des femmes bilatérale Suisse-Etats-Unis est organisée le 7 mars. L’Union syndicale suisse met aussi sur pied un événement le 8 mars.
Salaire. Les femmes gagnent en moyenne 20% de moins que les hommes. Le Bureau fédéral de l’égalité (BFEG) note qu’environ 40% de ces différences proviennent d’une discrimination. Les femmes qui occupent des fonctions dirigeantes gagnent jusqu’à 30% de moins que les hommes.
Temps partiel. Le BFEG ajoute que le marché du travail est toujours divisé entre des professions «masculines» et «féminines», moins payées. En matière d’emploi, six femmes sur dix travaillent à temps partiel. Chez les hommes, cette statistique s’élève à un sur huit ou 12%.
Les femmes sont très peu représentées au niveau managérial. Parmi les entreprises suisses enregistrées, on compte seulement 3% de directrices et 4% d’administratrices.
Mal européen. La Suisse n’est pas un cas isolé. Une étude menée par les consultants Mercer, publiée le 3 mars, note que le deux tiers des entreprises européennes interrogées, n’a pas de stratégie pour encourager les femmes à occuper des fonctions dirigeantes. Seulement 11% d’entre elles ont mis sur pied de telles initiatives.
Traduction de l’anglais: Laureline Duvillard
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