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De retour depuis 20 ans, le loup échauffe les esprits

57 individus recensés depuis 1998, une meute dans les Grisons et peut-être bientôt une en Valais: le loup est encore timide en Suisse. wolf.ch

En Suisse, défenseurs et adversaires du loup forment des camps irréconciliables. Deux décennies après le retour du prédateur – protégé par une Convention internationale – les fronts sont toujours aussi tendus. Reportage et bilan.

Les faire-part de naissance étaient prêts, ne manquait plus qu’une petite photo: celle-ci est arrivée mi-août. La Suisse a découvert trois des louveteaux nés en 2015 dans son – jusqu’ici – unique meute de loups, celle du Calanda, dans les Grisons. «Il y a des louveteaux depuis 2012, il n’y avait donc pas de raison pour qu’il n’y ait pas une portée cette année», déclarait déjà, au début de l’été, le responsable cantonal de la faune. 

Cette quatrième portée depuis 2012 a donc été confirmée avec les photos des petits loups prises par les appareils photographiques dispersés dans le massif. Il n’est pas exclu que le nombre des petits soit supérieur à trois. Les années précédentes, la naissance de cinq à six jeunes avait pu être vérifiée à l’automne.

Les regards des défenseurs de l’animal se portent aussi sur la région d’Augstbord, en Valais. Le loup baptisé M46 et la louve F14 auront-ils fait des petits et créé ainsi la deuxième meute de Suisse? La réponse devrait être connue d’ici la fin de l’été.

Cette façon – plutôt joyeuse – de présenter la situation du loup en Suisse fait évidemment fi des craintes et du mécontentement d’une partie de la population face au prédateur. Le Valais vient du reste d’autoriser le tir d’un loup – non encore identifié – ayant tué 38 moutons entre le 19 juin et le 8 août. Car depuis son retour attesté en juillet 1995, le loup déchire les esprits. 

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Du sang sur la prairie

Ce contenu a été publié sur Tandis que le loup fait son retour en Suisse, il laisse aussi sa trace sur les pâturages d’alpage. Une trace marquée du sang des moutons qu’il égorge.

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«Rôle régulateur»

En ce mois de juillet 2015, les défenseurs du loup tirent un bilan «mitigé» de l’évolution de la population du loup dans notre pays. Seul le WWFLien externe a marqué l’anniversaire en saluant l’utilité du loup. «La forêt et la nature disent merci!» a clamé l’organisation. Explications: le loup régule la population du gibier de forêt qui, par les dégâts qu’il occasionne aux arbres, ralentit le rajeunissement de la forêt, écrit le WWF.

Le loup a aussi obligé les éleveurs de moutons à mieux protéger leurs troupeaux placés sur l’alpage en été. «L’estivage libre, c’est-à-dire le fait que les moutons paissent en toute liberté là où ils veulent, est, historiquement, une nouveauté et n’est pas à l’avantage des ovidés: sur quelque 200’000 moutons, 4000 meurent chaque année, la plupart du temps à cause de maladies et de chutes. Moins de 10% des décès sont dus à des prédateurs», selon l’organisation écologique.

Le loup a donc obligé les éleveurs à se doter de chiens de protection des troupeaux, traditionnellement le Patou des Pyrénées ou le berger de Maremme. «Aussi bizarre que cela puisse paraître, le loup a donc sauvé la vie de centaines de moutons», estime le WWF.

«Instinct de tueur»

Des affirmations qui font bondir des éleveurs ayant perdu des moutons, comme Daniel Imholz et Werner Herger, éleveurs à Isenthal, dans le canton d’Uri. Cette commune est accessible par une route si tournante et escarpée, au-dessus du «bras» uranais du lac des Quatre-Cantons, qu’elle fait l’objet d’un petit filmLien externe visible sur YouTube. De là, il faut encore prendre une cabine de téléphérique, puis marcher environ deux heures pour atteindre les pâturages où les éleveurs du village amenaient leurs moutons l’été.

«Amenaient», à l’imparfait, car les éleveurs ont redescendu leurs troupeaux en juin, après le passage d’un loup ayant tué une cinquantaine de moutons dans la région, dont une vingtaine appartenant à Daniel Imholz et à Werner Herger.

«Ce loup a un instinct de tueur, s’insurge Werner Herger. Il ne chasse pas par faim, puisqu’il a attaqué tellement de moutons.» «Après le passage du loup, des spécialistes sont venus voir comment on pouvait protéger nos troupeaux. Ils ont admis qu’il était difficile de placer des chiens», ajoute son collègue.

Il y a 20 ans, la «bête du Val Ferret»…

Le 16 juillet 1995, Armel Perrion, de Liddes (dans le canton du Valais) trouve une brebis agonisante. Quatre moutons ont été tués par un loup qui sera très vite nommé «la bête du Val Ferret». Jusqu’en septembre, il en perdra 22. Un autre éleveur subira lui aussi cinq attaques qui tueront 65 animaux.

Ces événements ont marqué le retour du prédateur en Suisse. Officiellement, le dernier loup «suisse» avait été abattu en 1871 près d’Iragna (Tessin). En Italie, le loup avait survécu, en petit nombre, dans les Abruzzes. Mis sous protection en 1972, il avait alors commencé à se propager. Il est réapparu dans les Alpes italiennes en 1987, puis dans le Mercantour français en 1992.

Autre prédateur, l’ours a aussi fait sa réapparition en Suisse, en 2005.

«Protéger les moutons est possible pratiquement partout, note Christina Steiner, vétérinaire, présidente de l’association CHWolfLien externe qui soutient des éleveurs dans les mesures de protection. Il est vrai qu’intégrer les chiens au troupeau, pour que les moutons n’aient pas peur, prend du temps. Si l’investissement est trop important, par exemple parce que le terrain est très irrégulier et très rocailleux, il est possible que certaines zones alpines doivent être abandonnées pour l’estivage.»

Sauver la vallée

C’est exactement là que veut en venir Daniel Imholz: «Nous sommes garants de la sauvegarde de la vallée. Or les moutons sont une source de revenus importante. Sans nous, l’école fermera, la vallée se dépeuplera. Or les lynx ont déjà fait des ravages. Le nombre de chevreuils a considérablement diminué. Même le nombre de chamois a été réduit. Le loup risque de finir par tuer notre vallée!»

«Il est vrai que le loup n’est qu’un morceau du puzzle et que nous devons de toute façon lutter pour maintenir l’agriculture, ici. S’il est tué, le problème ne sera pas réglé», relativise Daniel Imholz, conscient qu’il «n’aura pas le choix» et qu’il devra prendre des chiens de protection.

Dans les Grisons, où vit l’unique meute du pays, les chiens de troupeaux se sont généralisés ces dernières années et la situation est «assez détendue», affirme Georg Brosi, directeur de l’Office cantonal de la chasse et de la pêche. Selon lui, «la meute est relativement non-problématique. Mais nous avons la chance d’avoir des terrains assez simples.» 

En Valais, où le loup avait fait sa réapparition en 1995, le ton est très différent. Les chiens de protection sont rares et les moutons tués défrayent régulièrement la chronique. Eleveurs, chasseurs et politiciens réclament davantage d’autorisations de tirs – délivrées à des conditions très strictes, puisque le loup est protégé par une ConventionLien externe internationale, signée à Berne en 1979.

Régulation possible

Or, depuis mi-juillet, les cantons ont de nouvelles possibilités de réguler le loup. L’ordonnanceLien externe ad hoc a en effet été révisée. Certaines conditions doivent être remplies – telles que dégâts importants ou mise en danger des humains.

«Les loups ne sont pas, en soi, dangereux pour les êtres humains, explique Christina Steiner. Ils les évitent. En revanche, ils n’évitent pas forcément les habitations. Un loup peut devenir dangereux s’il perd sa timidité face à l’être humain, parce qu’il reçoit de la nourriture par exemple.»

Daniel Imholz et Werner Herger, les éleveurs d’Isenthal, « garants de la survie de la vallée ». swissinfo.ch

Avec la nouvelle ordonnance, jusqu’à la moitié des jeunes d’une portée, la dernière, pourront être abattus, si l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) donne son aval. En revanche, dans les cas de loups isolés, les cantons seront désormais seuls compétents pour autoriser des tirs – là aussi à certaines conditions. Jusqu’ici, ils devaient demander l’aval d’une commission intercantonale.

«L’ordonnance laisse une trop grande liberté d’interprétation aux cantons, critique Christina Steiner. Il n’est pas toujours facile de distinguer les jeunes animaux des adultes. Or, si les adultes sont abattus, la meute risque de se disperser. Les jeunes se mettront en quête de proies faciles, ce qui peut entraîner une augmentation des dégâts.»

L’ordonnance «prévoit explicitement que les géniteurs doivent être épargnés, répond Rebekka Reichlin, porte-parole de l’OFEV. En cas de doute, les garde-chasse n’ont pas le droit de tirer.» Justement, les Valaisans estiment que le nouveau texte ne va pas assez loin. Peter Scheibler, chef du service de la chasse, de la pêche et de la faune du canton, estime qu’il «aurait fallu faciliter les procédures pour autoriser les tirs.»

Le loup symbolise assurément, en Suisse, un fossé «ville-campagne» très clair – les citadins étant supposés être davantage enclins à «aimer le loup». Pour le Grison Georg Brosi, les émotions et les peurs initiales finissent bien souvent par retomber.

A Isenthal, Daniel Imholz n’en démord pas. «C’est facile de dire que le retour du loup est une bonne chose, quand on habite en ville, s’échauffe-t-il. Les citadins disent qu’il faut faire quelque chose contre les renards. Et bien nous, nous n’avons pas de problèmes avec les renards!»

Aujourd’hui

On estime qu’entre 800 et 1000 loups vivent entre la Calabre (Sud de l’Italie), et les Alpes, où ils seraient entre 200 et 300.

Des loups sont régulièrement attestés dans toute les régions de SuisseLien externe: en 2001 au Tessin et dans les Grisons, en 2006 dans le canton de Berne, 2007 dans celui de Vaud, en 2008 à Obwald, en 2009 dans ceux de Lucerne et de Schwyz. Fin 2014, le canton de Zurich, le plus peuplé de Suisse, a connu son premier passage de loup, celui-ci mourant accidentellement sous un train. En juin, des moutons ont été tués dans les cantons d’Obwald et d’Uri, en Suisse centrale. Des éleveurs valaisans ont également perdu des animaux. Actuellement, le nombre attesté de loups est de 27, un bilan «très modeste», aux yeux des associations de défense du prédateur. Selon le Groupe Loup SuisseLien externe, «il y a de la place pour quelque 200 loups en Suisse».

On ne sait pas encore combien de louveteaux sont nés en 2015 dans la meute du Calanda (cantons des Grisons et de St-Gall). «Une femelle avec des tétines bien visibles a été photographiée le 14 juin 2015 au-dessus du village de Vättis (Saint-Gall) par l’association des chasseurs de la région», explique Fridolin Zimmermann, de la KORALien externe, (association «Ecologie des carnivores et gestion de la faune sauvage» mandatée par la Confédération pour, notamment, surveiller l’évolution des prédateurs). «Les louveteaux peuvent être photographié à partir du mois de juin déjà, poursuit l’expert. Ils peuvent aussi être détectés à l’aide de la méthode du hurlement, à partir de la mi-juillet. Cette méthode a fait ses preuves en Italie et en France mais n’a été appliquée que sporadiquement en Suisse.»

Au total, depuis 1998, la KORA a décomptéLien externe 57 loups mâles (de M01 à M57) et 15 femelles (de F01 à F15), soit 72 au total, en Suisse. La mort de 15 d’entre eux est également attestée. Les autres sont morts sans qu’on le sache ou ont quitté le territoire suisse. La certitude de la présence du même loup dans un autre pays n’est établie que si ce pays réalise les analyses avec les mêmes marqueurs génétiques, ce qui n’est pas le cas avec l’Italie, par exemple.


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