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«Le livre pourrait aussi encourager les femmes en Chine»

Entre 30 et 50 millions d’homosexuels vivent en Chine. ©Patrick Zachmann / Magnum Photos

Le livre de Corinne Rufli sur la vie de Suissesses âgées qui aiment d’autres femmes devrait être traduit en chinois. L’ouvrage pourrait libérer la parole autour de la thématique de l’homosexualité en Chine. Même si le niveau de tolérance envers les homosexuels a augmenté au cours des dernières années, les personnes qui n’ont pas une vie hétéronormée sont toujours dans une situation plus difficile qu’en Occident.

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Qi Shang (pseudonyme), la traductrice de «Seit dieser Nacht war ich wie verzaubert» («Depuis cette nuit-là, j’ai été envoûtée», traduction libre, l’ouvrage n’existant qu’en allemand) s’est enthousiasmée pour ces histoires de Suissesses de plus de 70 ans qui racontent leur vie et leur amour pour les femmes. «A quelques différences près, la situation sociale des femmes chinoises d’aujourd’hui est en quelque sorte comparable à celle des protagonistes suisses dans les années 50 et 60. Leurs expériences pourraient peut-être offrir une nouvelle perspective aux lecteurs chinois», espère-t-elle.

Corinne Rufli, l’auteur du livre publié l’an dernier, souhaitait mettre en évidence les biographies de lesbiennes âgées pour sensibiliser les lecteurs à différents modes de vie. L’historienne a aussi voulu démontrer que «la féminité va bien au-delà de l’étroite représentation que nous en avons.» Elle estime aussi que ces femmes peuvent devenir «un modèle pour la jeunes génération». La traduction de son livre en chinois la réjouit, mais la surprend aussi.

swissinfo.ch: Votre livre va très probablement être traduit en chinois. Comment cela est-il arrivé?

Corinne Rufli (1979) a terminé ses études en germanistique et en histoire à l’Université de Zurich par une étude sur l’histoire orale des femmes lesbiennes âgées en Suisse. A côté, elle a travaillé comme journaliste pour le magazine Kulturzeitschriften, pour le quotidien Aargauer Zeitung et pour l’hebdomadaire dominical Schweiz am Sonntag. En tant qu’historienne indépendante, elle mène des recherches sur l’histoire des lesbiennes de Suisse. Elle vit à Baden près de Zurich. Sandra Ardizzone

Corinne Rufli: C’est une histoire folle et un bel hasard. Une Chinoise a entendu parler de mon livre et m’a dit qu’il devait absolument être traduit en chinois. J’avais plutôt pensé à des langues comme l’anglais ou l’espagnol. Mais le chinois? C’était une surprise.

Une autre Chinoise a déjà traduit un premier chapitre, et un éditeur chinois a déjà signalé son intérêt. C’est aussi une aventure pour moi, car je ne connais absolument pas le marché du livre en Chine. Je ne sais pas non plus si on a le droit d’écrire ouvertement sur des femmes lesbiennes dans ce pays. Je me réjouis aussi de voir comment le mot «lesbienne» sera traduit. Malheureusement, comme je ne parle pas chinois, je ne pourrai pas lire le livre dans cette langue.

swissinfo.ch: Qu’espérez-vous de cette publication en chinois?

CR: Le fait que de mon livre paraisse en chinois et devienne accessible à tous les lecteurs intéressés dépasse déjà toutes mes espérances. Mon plus beau cadeau serait que le livre encourage des femmes et des hommes.

L’ouvrage devrait aussi motiver les Chinoises lesbiennes à raconter l’histoire des lesbiennes âgées dans leur propre pays et à engager un dialogue intergénérationnel. En outre, ces histoires pourraient mettre en évidence cette génération de femmes âgées.

swissinfo.ch: Êtes-vous au courant de la situation des homosexuels en Chine?

C.R.: Je sais très peu de choses sur les conditions de vie des gays et des lesbiennes en Chine. Manifestement, la répression à leur encontre n’est pas rare. J’ai toutefois entendu que de plus en plus d’homosexuels en Chine s’organisent, se mettent en réseau et s’engagent pour obtenir plus de droits, et cela notamment grâce à internet.

Les personnes qui viennent de la campagne et vivent dans une structure familiale patriarcale et stricte ont beaucoup de mal à avouer des sentiments pour quelqu’un du même sexe, en Chine mais aussi ailleurs dans le monde.

C’est inconcevable que des êtres humains soient opprimés parce qu’ils aiment. Le gouvernement aurait le pouvoir de garantir davantage de liberté.

Dans le livre «Depuis cette nuit-là, j’ai été envoûtée»Lien externe de Corinne Rufli, qui a été publié par les éditions «Hier und Jetzt», onze femmes âgées jettent un regard sur leur vie passée. Elles racontent comment elles ont vécu leurs relations dans l’étroitesse bourgeoise des années 40 aux années 60, comment elles se sont mariées avec un homme ou sont tombées amoureuse d’une femme, et comment elles vivent aujourd’hui.

Leurs histoires sont pleines de vie, mais démontrent également l’exclusion des femmes qui ne se soumettaient pas à l’idéal de la femme au foyer et de la mère. 

swissinfo.ch: Pensez-vous que les histoires de vos protagonistes puissent déclencher un mouvement universel, et devenir un modèle pour les lesbiennes en Chine?

C.R.: Oui, je pense que c’est possible. Même si ces femmes sont suisses, même si elles ont évolué dans une autre culture et vivent dans des mondes complétement différents: toutes les femmes de mon livre ont dû à leur manière se battre pour leur bonheur. Des circonstances défavorables liées à la société ou à leur famille les ont poussées à ignorer leurs sentiments.

Elles ont défendu leur amour et cette force les a aidées à construire leur vie à leur convenance dans une société qui était misogyne et homophobe. Elles se sont fait leur place. Elles n’ont pas toutes eu les mêmes possibilités et les mêmes chances. Toutefois, il est beau de voir que toutes les femmes de mon livre ont désormais pu se réconcilier avec leur passé. Ainsi, le livre donne du courage aux lecteurs: le courage de prendre leur vie en main et de se battre pour leur bonheur. 

Chiffres en Chine et en Suisse

30 millions d’homosexuels vivent en Chine, dont 10 millions de lesbiennes, selon les estimations des autorités chinoises. Une autre source évoque 4% d’homosexuels au sein de la population.

Le nombre plus important d’homosexuels hommes peut être attribué au fait que nous vivons dans un système patriarcal, qui a tendance à donner davantage la possibilité aux hommes de vivre leur vie et leur sexualité. Les femmes doivent en revanche se soumettre, aussi du point de vue de leur sexualité.

En Suisse, les spécialistes estiment qu’il y a entre 4 et 10% d’adultes homosexuels ou bisexuels. En ville, le pourcentage est plus important qu’à la campagne, probablement parce que l’homosexualité y est davantage acceptée, et qu’il y a plus de possibilités de trouver un partenaire du même sexe. 

(Traduction de l’allemand: Katy Romy)

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