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Des médecins pour les drogués, non des policiers

Le Brésilien Fernando Henrique Cardoso, la Suissesse Ruth Dreifuss et le Colombien Cesar Gaviria. Trois anciens présidents pour un constat: depuis qu’on leur a déclaré la guerre, les drogues n’ont jamais été aussi nombreuses. Keystone

Réunis à Genève, d’anciens présidents du Brésil, de la Colombie, du Mexique et de la Suisse ont lancé une initiative pour mettre fin à 50 ans d’une guerre stérile contre la drogue et favoriser une approche centrée sur la santé. Un modèle qui s’inspire de l’expérience suisse.

Le constat est connu. Depuis qu’elle a été lancée en 1971 par le président américain Richard Nixon, la «guerre à la drogue» a coûté des fortunes aux Etats impliqués. Sans apporter le moindre résultat tangible, cette stratégie n’a fait qu’aggraver le problème. Pourtant il n’y a toujours pas eu de changement décisif dans cette approche suivie à des degrés divers par l’ensemble des Etats de la planète.

Raison pour laquelle mardi à Genève, les anciens présidents Fernando Henrique Cardoso (Brésil), Cesar Gaviria (Colombie), Ernesto Zedillo (Mexique) et Ruth Dreifuss (Suisse) ont appelé à changer urgemment de cap, puisque des Etats comme le Mexique sont aujourd’hui déstabilisés par de tout-puissants cartels de la drogue. Rien qu’en 2010, la guerre que livrent l’armée et la police mexicaines à ces cartels a causé la mort de plus de 15’000 personnes. 

Une approche prohibitionniste

«Les pays latino-américains sont épuisés par cette guerre et cette approche prohibitionniste que continue de prôner les Etats-Unis», souligne Cesar Gaviria. Une politique contreproductive que défendent également l’ONU et son Organe international de contrôle des stupéfiants, bras armé de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961.

  

«Ils continuent de militer pour un monde sans drogue, alors qu’il n’y a jamais eu autant de drogue dans le monde», pointe l’ancien président colombien.

Pour sortir de ce cercle vicieux sur lequel prospère le crime organisé, les personnalités réunies à Genève ne prônent pas la légalisation des drogues interdites, mais un rééquilibrage des politiques menées à leur encontre.

Dépénaliser, non légaliser

Comme l’a souligné le Brésilien Fernando Henrique Cardoso, il faut en premier lieu considérer le toxicomane comme une personne nécessitant des soins et non comme un criminel. La répression, elle, doit se concentrer sur le crime organisé et non se disperser en poursuivant les consommateurs.

«Aux Etats-Unis, il y a environ 500’000 personnes en prison pour des raisons liées à la drogue, soit autant que la population carcérale de toute l’Europe. Mais ce pays reste le plus réticent à changer de politique», précise Fernando Henrique Cardoso.

Selon les intervenants réunis deux jours à Genève pour lancer une Commission globale sur les politiques en matière de drogue (Global commission on drug policy), les pays européens ont une approche moins idéologique que les Etats-Unis. Mais leur budget continue de faire la part belle à la répression, au détriment des mesures sociales et sanitaires à l’égard des toxicomanes.

La référence suisse

 

La politique menée par la Suisse ces dernières années est l’une des références majeures de la Commission, qui suit également de près les expériences menées aux Pays-Bas ou au Portugal.

Ancienne présidente de la Confédération et ancienne ministre en charge de la santé, Ruth Dreifuss explique en quoi la démarche suisse intéresse ses partenaires latino-américains.

«La politique suisse a pu se mettre en place en procédant par étapes. Une évolution reposant sur des expériences pilotes – telle la prescription d’héroïne – dont les résultats ont été contrôlés scientifiquement. La modification de la loi a pu se faire sur la base d’éléments avérés. Ce qui a permis à la population suisse d’accepter la modification de la loi sur les stupéfiants en 2006», rappelle l’ancienne ministre de la santé.

Cette approche pragmatique qui repose sur quatre piliers (prévention, thérapie, réduction des risques liés à la consommation, répression) intéresse d’autant plus à l’étranger que la Suisse est «connue pour son solide conservatisme», selon l’expression d’un récent rapport de l’Open society, une ONG fondée par le financier Georges Soros et qui soutient également la Commission lancée cette semaine à Genève.

Lutte contre le tabagisme 

Forte de l’influence et des réseaux de ses membres, la Commission veut donc soutenir les associations actives dans ce domaine, inciter chaque pays à débattre largement de ce sujet encore tabou et persuader les gouvernements de sortir du tout répressif. 

Pour ce faire, cet organe compte diffuser largement l’information scientifique qui valide ou non les nouvelles approches en matière de lutte, de prévention et de réduction des risques en matière de drogue.

Elle compte également s’inspirer des campagnes et des mesures contre le tabagisme – qui ont fait leurs preuves – pour diminuer le nombre de consommateurs de drogue, une étape essentielle pour affaiblir les cartels de la drogue.

Les pays du Sud submergés

Originellement latino-américaine, la commission veut élargir encore sa représentativité en intégrant des représentants de l’ensemble des régions du monde. Lors d’une prochaine réunion prévue en juin aux Etats-Unis, elle devrait définir un plan d’action à même de pousser les Etats et l’ONU à changer radicalement de politique à l’égard des drogues.

Car si le nombre de consommateurs de stupéfiants reste relativement stable bien qu’élevé dans les pays occidentaux, leur nombre explose dans un nombre croissant de pays du Sud.  

«L’Amérique latine demeure le principal exportateur mondial de cocaïne et de cannabis. Elle est devenue un producteur d’ héroïne et développe ses capacités de production de drogues de synthèse. Les niveaux de consommation de drogues continue de croître en Amérique latine, tandis que il y a une tendance vers la stabilisation en Amérique du Nord et en Europe.

Au cours des dernières décennies, nous avons assisté à:

-une hausse de la criminalité organisée causée à la fois par le commerce international des drogues et le contrôle croissant exercé par les groupes criminels des marchés intérieurs et de leur territoire.

-une croissance des niveaux inacceptables de violence liée aux drogues qui affectent l’ensemble de la société et, en particulier, les pauvres et les jeunes.

-la criminalisation de la politique et la politisation du crime, ainsi que la prolifération des liens entre eux, comme en témoignent l’infiltration des institutions démocratiques par la criminalité organisée.

-la corruption des fonctionnaires, du système judiciaire, du gouvernement, du système politique et, en particulier, des forces de police en charge de l’application de la loi et l’ordre».

(Extrait de la déclaration de la Commission latino-américaine «drogues et démocratie», février 2009)

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