Dieu a-t-il aussi créé E.T. ?
La question n’est plus sacrilège. Même le Vatican y réfléchit. La découverte de vie dans l’univers pourrait bouleverser bien des certitudes. Le regard de Jean-François Mayer, historien des religions et observateur amusé des mouvements qui depuis longtemps élèvent des autels aux extraterrestres.
Fini le temps où l’Eglise brûlait ceux qui osaient remettre en question la place de l’homme au centre de l’univers. Du 6 au 10 novembre 2009, une trentaine de physiciens, chimistes, biologistes, géologues et astronomes du monde entier étaient à Rome, à l’invitation de l’Académie pontificale des sciences, pour débattre de l’existence possible d’une vie extraterrestre.
A l’issue du séminaire, le père jésuite José Gabriel Funes, directeur de l’observatoire du Vatican, déclarait à l’Osservatore Romano que «si des formes de vie intelligentes sont découvertes ailleurs dans l’univers, elles peuvent être considérées comme des créatures de Dieu». Non sans ajouter «à titre personnel» que l’incarnation de Jésus Christ était certainement «un événement unique dans l’histoire de l’univers».
L’existence ou non d’E.T., ce n’est pas ce qui fait courir Jean-François Mayer. L’historien et fondateur de l’Institut Religioscope admet facilement que la question en soi ne le préoccupe pas beaucoup et ne l’a jamais fasciné. Ce qui l’intéresse par contre au plus haut point, c’est le phénomène de la croyance aux extraterrestres.
swissinfo.ch: Que vous inspire cet intérêt du Vatican pour les extraterrestres ? N’est-ce pas une forme de récupération d’une tendance qui est dans l’air du temps ?
Jean-François Mayer: J’y vois juste la conscience du fait qu’on ne peut pas se permettre d’ignorer les discussions et les développements dans le domaine scientifique. L’église catholique sait qu’elle doit être présente dans les débats contemporains. Simple question de crédibilité. Il y a aussi la volonté de ne pas répéter certaines erreurs du passé.
Plus largement, cela pose la question de l’articulation des croyances par rapport à la science. Car aujourd’hui, il devient de plus en plus difficile de concevoir une croyance religieuse qui contredirait les données de la science.
swissinfo.ch: Et les autres grandes religions ?
J.-F.M.: Je n’ai pas d’exemple en tête. D’ailleurs, on peut se demander jusqu’à quel point cette question de la vie extraterrestre n’a pas été, pendant longtemps en tous cas, une question assez typiquement occidentale. En tous cas dans les formes qu’elle a prises à l’époque contemporaine, avec tout un mythe extraterrestre autour du thème des OVNIs [objets volants non identifiés].
swissinfo.ch: Nous savons aujourd’hui que notre système solaire n’est pas un cas unique et que les étoiles lointaines ont aussi des planètes. Nombre de scientifiques sont convaincus que la vie existe ailleurs dans l’univers. Pourtant, certains n’ont pas attendu les indices de la science pour croire aux extraterrestres…
J.-F.M.: En effet. Pour ne prendre que l’époque moderne, il y a eu ce phénomène crucial du 24 juin 1947, lorsque l’Américain Kenneth Arnold observe ce qu’il décrira comme des «soucoupes volantes». Et de façon absolument inattendue, cela suscite une vague de curiosité, non seulement nationale, mais internationale, ainsi qu’une vague d’observations semblables dans les mois suivants.
Cinq ans plus tard, on commence à avoir des gens qui prétendent être entrés en contact avec des extraterrestres et qui vont élaborer là autour des systèmes de croyance. Et même si ces systèmes peuvent beaucoup varier de l’un à l’autre, il y a un thème qui se retrouve dans la quasi-totalité des groupes, c’est que les extraterrestres sont venus pour inciter les humains à éviter l’autodestruction.
A certains égards, ces visiteurs de l’espace semblent être des enfants d’Hiroshima. Ils arrivent pour mettre l’humanité en garde, non pas au nom d’une réfutation de la science et de ses progrès, mais au nom d’une science plus avancée, dépouillée des dangers de la nôtre.
Vous avez également dans ces groupes des dimensions catastrophistes, apocalyptiques, et l’idée d’un possible enlèvement de personnes suffisamment évoluées vers une autre planète avant la grande catastrophe, pour ensuite venir recréer une terre régénérée.
En grattant un peu, ce qui me frappe quand même, c’est qu’une grande partie de ces thèmes sont déjà présents dans la science-fiction des décennies précédentes. Donc, cela pose aussi la question de l’influence de la culture populaire sur des croyances de type religieux.
swissinfo.ch: Ces extraterrestres sont généralement beaux, grands, intelligents, sages et forts. Ils viennent d’ailleurs, mais ils nous ressemblent. Finalement, n’avons-nous pas affaire ici à des «religions» purement matérialistes, sans dimension spirituelle ?
J.-F.M.: Foncièrement oui, je crois que c’est purement matérialiste. Cette dimension est par exemple très clairement affirmée, et d’ailleurs revendiquée, par le mouvement raélien, qui est aujourd’hui la plus visible de ces «religions soucoupistes».
Dans d’autres mouvements, on va y mêler tout un enseignement spirituel emprunté en partie à des courants précédents et qui ne s’inscrit pas de façon apparente dans cette perspective matérialiste.
Mais sur le fond, on reste dans le matérialisme. Et j’en vois l’aboutissement dans la théorie des anciens astronautes, propagée par le Suisse Erich von Däniken, ses livres traduits en plusieurs langues et son Mystery Park d’Interlaken, actuellement en sursis après avoir quand même reçu près d’un million de visiteurs.
Ces théories constituent une destruction de toutes les croyances religieuses, puisque pour von Däniken, tous les mythes anciens, toutes les croyances religieuses ou quasiment toutes s’expliquent par des interventions extraterrestres. Et si les anciens astronautes nous ressemblent, c’est simplement parce que ce sont eux qui nous ont créé, ou engendré, en s’unissant aux filles des hommes…
Et c’est là le paradoxe, que néanmoins ce type d’explication matérialiste débouche sur des systèmes de croyance. Mais, vous savez, le système de croyance ne présuppose pas la spiritualité.
Marc-André Miserez, swissinfo.ch
Pour clore le volet suisse de l’Année mondiale de l’astronomie, astronomes amateurs et professionnels se sont réunis au mois de novembre à Lucerne pour débattre de la question de la vie dans l’univers. Question de plus en plus actuelle au fil des découvertes qui confirment que quasiment toutes les étoiles du ciel pourraient avoir des planètes.
Le 24 juin 1947, Kenneth Arnold est aux commandes de son petit avion au-dessus de l’Etat de Washington lorsqu’il observe un groupe d’engins volants qu’il décrira comme des «soucoupes», se déplaçant selon des trajectoires et à des vitesses inimaginables. L’histoire fait le tour du monde, et l’on voit très vite se multiplier les témoignages d’autres observations.
Neuf jours plus tard, le 3 juillet, le propriétaire d’un ranch de Roswell, au Nouveau-Mexique, découvre des débris mystérieux sur ses terres. Il prévient la base militaire locale, qui diffuse un communiqué parlant du crash d’une soucoupe volante. L’armée se ravise le lendemain et affirme qu’il s’agissait d’un ballon-sonde. Le mythe est néanmoins lancé et perdure jusqu’à nos jours, alimentant les théories du complot de type X-Files. («On nous cache la vérité sur les extraterrestres»).
Dès 1952 apparaissent les témoignages de «contactés». Le plus célèbre, George Adamski, prétendra avoir été emmené pour une balade à bord d’une soucoupe venue de Vénus par des êtres incarnant une sorte d’humanité parfaite. Leur «philosophie cosmique», résumée dans un livre paru en 1961 n’est qu’une nouvelle version de la «sagesse des maîtres de l’orient», publiée en 1936 par Adamski et basée sur de soi-disant enseignements tibétains. Ici comme dans de nombreux mouvements similaires, la croyance aux extraterrestres se mêle à la religiosité parallèle.
Apparus respectivement en 2002 et 2007, le site Internet et l’Institut Religioscope se consacrent à l’étude des faits religieux et à leur impact dans le monde contemporain. En toute indépendance et sans attaches avec aucun groupe religieux, politique ou idéologique.
Jean-François Mayer en est le directeur. Historien spécialisé dans le fait religieux, ancien professeur à l’Université de Fribourg, il fut notamment collaborateur de Radio Suisse Internationale et responsable d’une grande enquête sur la religiosité parallèle en Suisse sur mandat du Fonds national de la recherche scientifique.
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