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Divagations raisonnées autour de Jean Calvin

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Durant l'année 2009, Genève célèbre le 500e anniversaire de la naissance du grand Réformateur. L'occasion d'un entretien avec Thierry Luterbacher, écrivain biennois et protestant qui pose sur l'homme d'église un regard polisson.

«Quand je serai grand, je veux rien devenir», dit Calvin à l’institutrice qui l’interroge. Petit bonhomme, il sait déjà ce qui le tient en vie: sa «passion pour l’indifférence».

La seule chose qui importe à ses yeux, ce sont les vacances, preuve irréfutable de Dieu pour cet adepte de l’école buissonnière. Lui qui rechigne à «apprendre une matière dépourvue de plaisir et de sens», trouve son bonheur dans la fraîcheur moite d’un fortin, en lisière de forêt, là où les portes s’ouvrent sur des aventures exaltantes.

Né sous la plume du romancier Thierry Luterbacher, ce Calvin-là semble avoir vu le jour pour faire la nique au grand barbu de la Réforme. Entre lui et le Calvin historique, un lien plutôt comique qui surgit au fil d’un roman publié chez Campiche en 2006 sous le titre «Quidam».

Mais pour en parler, mieux vaut s’en remettre à son créateur. Divagations raisonnées, donc, en compagnie de l’écrivain biennois.

swissinfo: Vous avez appelé votre personnage Calvin, ce n’est pas innocent. Que cherchiez-vous exactement?

Thierry Luterbacher: A m’amuser. Non… mais bon… restons sérieux. Je voulais surtout singulariser le personnage. Ce qui caractérise mon héros, c’est qu’il pose sur le monde le regard étonné du gamin, il ne juge pas les autres, contrairement au Calvin réel qui a érigé en dogme la culpabilité et le jugement. Je suis moi-même protestant, l’éducation que j’ai reçue est entièrement marquée par la dictature du bien et du mal. C’est insupportable.

Mon Calvin aère donc la «baraque». Tout dans son comportement appelle à la désobéissance et offre ainsi un contrepoint amusant au personnage historique. Il dit, par exemple: «Ce que je veux faire, c’est rien». Or, c’est la chose la plus impardonnable dans l’enseignement calviniste, lequel vous condamne si vous n’êtes pas «comme il faut».

swissinfo: Pensez-vous que Calvin soit un «aïeul encombrant», pour reprendre la formule de l’écrivain lausannois Bernard Reymond?

T.L.: Non… mais il l’est devenu au moment où vous avez formulé cette demande d’interview qui m’a obligé à me triturer les méninges pour vous répondre, car il n’est pas facile de cerner Jean Calvin. Ceci dit, je pense qu’il est un personnage bien plus controversé qu’encombrant. Il y a chez lui, d’un côté l’homme de rigueur, le défenseur d’une discipline proche de l’intolérance. Un despote qui recommande la chasse aux sorcières et la constitution de l’Etat théocratique.

Mais d’un autre côté, on découvre un Calvin qui se préoccupe de justice sociale. Il ne faut pas oublier qu’il a créé à Genève l’Hôpital général, qu’il a également beaucoup agi pour la cause de la pauvreté. C’est donc un homme soucieux d’éthique aussi.

swissinfo: Peut-on dire qu’il est l’initiateur d’une certaine forme de démocratie moderne?

T.L.: Je répondrai qu’il est plutôt l’inventeur de la modernité de l’Eglise. Il y a introduit l’humanisme, un héritage très bien exploité par les protestants. A mon sens, l’Eglise réformée est aujourd’hui bien plus proche des faibles que l’Eglise catholique. C’est elle qui, par exemple, s’occupe le mieux des sans-papiers. Pour preuve, les efforts d’intégration fournis par la Ville de Genève en faveur de ces derniers. C’est elle aussi qui se montre la plus tolérante en matière d’homosexualité ou d’avortement. Autant de problèmes sociaux que le Vatican a mal gérés. L’actuelle polémique sur l’utilisation du préservatif en témoigne.

Il n’est donc pas exagéré de dire qu’il existe dans le protestantisme davantage de réalisme. A Bienne où je vis, nous avons un pasteur ouvertement déclaré homosexuel. Malgré le poids de la culpabilité qui pèse encore sur la religion protestante, celle-ci est parvenue à s’adapter à son époque, à revoir en tout cas la notion de tolérance.

swissinfo: Si Calvin était encore vivant, aurait-il eu suffisamment d’humour pour accepter la présence dans son voisinage de Grisélidis Réal, la romancière et prostituée romande dont le corps fut récemment transféré au cimetière des Rois, à Genève? Là où repose le Réformateur…

T.L.: Il aurait peut-être réagi avec compassion, comme mère Teresa. Mais aurait-il ri pour autant?! Calvin était humaniste à certains égards, comme je vous le disais, il devait néanmoins manquer d’humour. Cet humour qui fait cruellement défaut à l’Eglise, quelle qu’elle soit.

Ceci dit, récompenser une personne (qui n’a rien demandé) avec une stèle dans un Panthéon reste pour moi un acte absurde. Pour les honneurs, il y a des champs. C’est du moins ce que je pense. Peut-être que là-dessus Calvin partage mon opinion.

Interview swissinfo, Ghania Adamo

«Quidam» de Thierry Luterbacher, éditions Bernard Campiche, 2006.

«Calvin… sans trop se fatiguer ! Dessins de Mix et Remix», de Christopher Elwood, éditions Labor & Fides.

«Le protestantisme et Calvin. Que faire d’un aïeul si encombrant?» de Bernard Reymond, éditions Labor & Fides.

Né en 1950, à Péry-Reuchenette (canton de Berne), Thierry Luterbacher est journaliste, réalisateur, auteur, metteur en scène de théâtre et artiste-peintre.

Il a publié «Quidam», «Le Sacre de l’inutile», «Le Splendide Hasard des pauvres», «Un cerisier dans l’escalier» aux editions Bernard Campiche.

Né à Noyon (Picardie), en 1509.

Fils d’un procureur ecclésiastique, il est d’abord élevé dans la religion catholique et destiné à une carrière de juriste.

S’étant lié avec plusieurs partisans de Martin Luther, il embrasse bientôt les principes de la Réforme et commence à propager ses théories dans Paris.

En 1534, suite aux persécutions menées contre les protestants français, il se réfugie près d’Angoulême, puis s’exile à Bâle où il publie, en 1536, «l’Institution de la religion chrétienne» qui contient l’essentiel de ses idées sur la foi et ses liens avec la société.

Ce livre a un retentissement énorme et Calvin est nommé, à Genève, professeur de théologie.

Deux ans après, il est banni de cette ville pour cause de rigorisme excessif. Mais il y est rappelé en 1541. Il participe alors à la création, à Genève, d’une république calviniste.

En 1559, il fonde l’Académie de Genève et en confie le Rectorat à Théodore de Bèze.

Il s’éteint à Genève en 1564.

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