Une population en lutte contre l’érosion et le charbon
Confronté à un grave problème d’approvisionnement énergétique, le Sénégal veut construire cinq centrales à charbon. L’une d’entre elles est prévue à Bargny, un village de pêcheurs au sud de Dakar. Mais la population n’en veut pas, elle qui doit déjà faire face à une autre menace écologique: l’inexorable avancée de la mer. Reportage.
«Il n’y a même pas six mois, notre maison était là. Aujourd’hui, elle est dans l’eau. Bargny a changé de visage à cause de l’érosion des côtes».
Ndèye Yacine Dieng a la voix cassée quand elle parle de «sa» mer, devenue en quelques années un ennemi imprévisible. «Vous avez vu ces vagues? Parfois, elles atteignent dix mètres. Les sacs de sable ne peuvent pas contenir les flots. A cause de l’érosion, nous vivons désormais dans la promiscuité. Dans la même maison, vous trouvez les mères, les belles-mères, les belles-filles, les fils, les grand-mères. On n’avait jamais rien vu de semblable à Bargny».
Village de pêcheurs à 30 km de Dakar, Bargny fait partie de l’une des quatre régions du Sénégal les plus touchées par l’érosion côtière. En quelques années, la mer a emporté des dizaines de maisons et sa progression semble irrésistible.
Les prévisions de la Banque mondialeLien externe (2013) sont inquiétantes. Si le niveau de la mer continue à monter, deux tiers du littoral pourraient avoir disparu d’ici 2080. Aujourd’hui, 60% de la population, soit 7,8 millions d’habitants, vivent sur les côtes, qui génèrent 68% du Produit intérieur brut.
L’érosion risque donc de mettre à genoux la déjà fragile économie sénégalaise, qui repose notamment sur les produits de la pêche et sur le tourisme. S’il n’y a plus de plages, qui voudra passer ses vacances sur la Petite Côte?
Le climat change et la mer avance
Le Sénégal est un des pays du monde les plus touchés par l’érosion côtière. Un phénomène lié principalement au changement climatique, qui conduit à une augmentation de la température de l’eau et à une élévation du niveau de la mer.
Mais il y a aussi un facteur humain, explique Fadel Wade, figure éminente de Bargny et membre d’une ONG de défense du climat. «Au Sénégal, on utilise le sable de la mer pour la construction. Et ceci a aggravé l’érosion des côtes. Aujourd’hui, nous essayons de sensibiliser les gens pour qu’ils utilisent le sable des dunes. Mais ce n’est pas facile, parce qu’ils sont persuadés que le sable marin, qui a de plus gros grains, est meilleur».
Malgré les conséquences socio-économiques déjà palpables et les nombreuses études sur le sujet, il n’y a pas de stratégie nationale de lutte contre l’érosion côtière. «Le gouvernement a distribué des paquets de riz, mais ce que nous voulons, c’est retrouver nos maisons. Tout ce qu’on nous a donné, c’est un produit avarié. Mais où est l’Etat?», s’indigne Ndèye Yacine Dieng, se faisant la porte-parole des femmes de Bargny.
La noirceur du charbon
A Bargny, la population s’est sentie abandonnée, et même un peu trahie. Consciente du problème, la municipalité avait alloué des parcelles aux victimes de l’érosion côtière. Or, c’est sur ces terrains que l’Etat sénégalais a entamé la construction d’une centrale à charbonLien externe de 125 MW, financée à hauteur de 55 millions d’euros par la Banque africaine de développement et réalisée avec la participation d’une société suisse.
La commune souffre déjà pourtant dans sa chair des dégâts que le charbon cause à l’environnement et à la santé. C’est sur son territoire en effet que se trouve la plus grande cimenterie d’Afrique occidentale, alimentée par une centrale à charbon, qui couvre toute la région d’un épais nuage de poussière.
Bargny ne veut donc pas entendre parler d’une autre centrale et a déposé une plainte auprès de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ibrahima Diagne, un des porte-paroles de cette lutte, a étudié de près les conséquences qu’aurait le projet sur la région. A commencer par les risques sanitaires et environnementaux, vu que la centrale se trouverait à quelques centaines de mètres des habitations.
«Parmi les combustibles fossiles, le charbon est celui qui produit proportionnellement la plus grande quantité de CO2, gaz considéré comme un des principaux responsables du changement climatique. De plus, la mer servira de radiateur de refroidissement: cinq pompes aspireront 15’000 m3 d’eau à l’heure pour les reverser dans la mer, mais à une température de 10° supérieure. Que va devenir l’écosystème marin?»
Sans compter que jusqu’à présent, personne ne sait où seront mis les résidus des 400’000 tonnes de charbon que la centrale doit brûler chaque année. «On nous dit qu’avec la centrale, tous les jeunes auront un emploi. Mais pour travailler, on a besoin avant tout d’être en bonne santé. Et nous savons que le charbon augmente les risques de tumeurs et de maladies des voies respiratoires», ajoute Ndèye Yacine Dieng.
40% du Sénégal dans l’obscurité
Un charbon aussi un peu suisse
Le projet de centrale à charbon de Bargny remonte à 2009. Il a été lancé à l’époque par le président Abdulaye Wade. Les travaux de construction ont démarré en 2013, mais ils ont été interrompus une année plus tard, en raison des protestations de la population.
Entre temps, Nykomb Synergetics Development, la société suédoise qui avait obtenu le contrat s’est retirée au profit de l’entreprise indienne Promac, qui a déjà envoyé un groupe d’ouvriers sur le site, créant une certaine nervosité au sein de la population locale.
Dans le projet figure également une société suisse, Comptoir Balland BrugneauxLien externe, chargée du transport du charbon de l’Afrique du Sud au Sénégal. Contacté pour plus de détails, le siège de la société à Genève a refusé de répondre à nos questions.
Si le Sénégal s’est lancé dans cette course au charbon, avec cinq projets de centrales, c’est parce qu’il a un grave problème d’approvisionnement énergétique. A Dakar comme dans les villages, les coupures de courant sont fréquentes, et ceci a de graves conséquences sur la population et sur l’économie du pays.
«Le Sénégal est confronté à un problème constant: faire face aux besoins urgents de la population et élaborer une planification énergétique à long terme. Aujourd’hui, la couverture des besoins énergétiques des villes n’atteint même pas 60%, alors que dans les zones rurales, on est à 26%», explique Moussa Diop, qui en plus de travailler pour la société nationale d’électricité – promotrice de la centrale à charbon – est aussi vice-président du Comité national contre le changement climatique.
Actuellement, le parc énergétique du Sénégal repose essentiellement sur le pétrole. «Quand le prix du brut a augmenté, les politiciens ont eu peur et ont choisi de se concentrer sur le charbon, qui semble moins cher. Dans le fond, ils se sont dit que l’Europe aussi s’était développée grâce au charbon et aux énergies fossiles. Donc, si nous voulons de la croissance, nous devons résoudre nos problèmes urgents avant de miser sur les énergies renouvelables. Il y a aussi le fait qu’aujourd’hui, celles-ci sont difficiles d’accès: le coût est élevé et les technologies ne sont pas disponibles au Sénégal. Nous avons des ingénieurs bien formés dans le domaine des énergies fossiles, mais pas dans celui des énergies propres».
Le problème, poursuit Moussa Diop, c’est que jusqu’ici, aucune des cinq centrales à charbon n’est opérationnelle. Avant d’investir dans le renouvelable, le Sénégal veut atteindre une certaine autosuffisance énergétique avec le charbon. «Ces retards risquent donc de compromettre l’objectif que le pays s’est donné de produire 20 à 30% de son électricité grâce aux énergies renouvelables d’ici 2017-2018».
Dédommagements
Le coût des énergies renouvelables et le «dédommagement» dû aux pays pauvres sont un des thèmes chauds de la COP21 à Paris. Interrogé par la Radio Télévision Suisse, Pietro Veglio, ex-directeur exécutif pour la Suisse de la Banque mondiale, estime que l’Europe et les organisations financières internationales peuvent et doivent jouer un rôle important pour aider les pays en voie de développement à investir dans les énergies propres.
Dans un pays comme le Sénégal, affirme-t-il, le photovoltaïque «pourrait être mis en œuvre de manière rationnelle et productive dans les zones rurales», tandis que les centrales à charbon pourraient être utilisées pour couvrir les besoins énergétiques des villes. «Mais il est indispensable d’impliquer la population. Dans le cas de Bargny, je suis sidéré de voir que la Banque africaine de développement n’a pas cherché à réduire le coût environnemental et social».
Contactée, la Banque s’est bornée à répondre que l’emplacement de la centrale respecte le périmètre de sécurité prévu par la loi. De son côté, Moussa Diop reconnaît que Bargny est déjà confronté à divers problèmes écologiques. Selon lui, «la centrale pourrait effectivement être délocalisée».
Des paroles aux actes
A Paris, le président du Sénégal Macky Sall s’est dit prêt à limiter le recours au charbon, à condition que les pays riches soutiennent la transition énergétique des pays en voie de développement et émergents. Un aspect central des discussions de la COP21.
Même si elle a mis beaucoup d’espoir dans la Conférence, la population de Bargny n’a pas l’intention de baisser la garde et d’attendre que les paroles soient traduites en actes.
«Nous savons que le Sénégal a de gros problèmes d’approvisionnement énergétique, mais cela ne donne pas à l’Etat le droit de détruire Bargny», clame sans ambages Ndèye Yacine Dieng. «Nous sommes tellement fatigués. C’est la volonté qui nous pousse en avant. Nous ne disposons pas des moyens pour nous battre contre l’Etat et ses partenaires. Mais nous ne céderons jamais, parce qu’il n’est pas question de négocier notre propre vie».
Coke en stock
40% environ de l’énergie mondiale est produite à base de charbon, combustible fossile tenu pour responsable d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre. Les principaux producteurs et consommateurs en sont la Chine, les Etats-Unis, l’Inde et l’Union européenne.
Entre 1990 et 2012, la consommation de charbon dans le monde a augmenté de 55%, notamment grâce à son coût relativement faible. A la COP21, une coalition d’ONG a demandé une «décarbonisation» totale de l’économie mondiale, zéro émissions et 100% d’énergie renouvelables d’ici à 2050.
(Traduction de l’italien: Marc-André Miserez)
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