Les Suisses et leurs armes, une romance qui perdure
Si l'époque où la plupart des militaires suisses conservaient leur arme de service à la maison semble révolue, plus de 2,5 millions de fusils et de pistolets demeurent encore en mains de particuliers. Le Parlement et le gouvernement entendent durcir la loi. Les tireurs amateurs contre-attaquent – par référendum.
Pourquoi la Suisse n’est-elle pas secouée par des fusillades, alors que les soldats helvétiques conservent leur arme à la maison? Telle est la question que se pose John McPhee, auteur du best-seller La Place de la Concorde Suisse publié en 1984. La réponse lapidaire de l’essayiste américain: parce que c’est interdit.
L’émission satirique américaine «The Daily Show» a effectué, la semaine passée, une enquête quelque peu moins sérieuse sur le phénomène. Le reporter Michael Kosta s’est rendu au Tir fédéral à la campagne pour étudier la culture pacifique des armes en Suisse.
Il rencontre, au cours de la manifestation, l’ancien conseiller fédéral Samuel Schmid. Lequel explique pourquoi le nombre de morts ou de blessés par armes à feu en Suisse est quasi nul: «Nous avons du respect envers les armes. Elles ne constituent dès lors pas un problème.»
Le fait que les soldats suisses conservent leurs armes de service à la maison suscite toujours, à l’étranger, un mélange d’admiration, de curiosité et d’étonnement. Quelle n’était pas la stupéfaction des touristes autrefois lorsqu’ils croisaient des adolescents en veste en jean sur leur cyclomoteur, le fusil d’assaut sur l’épaule: une scène ordinaire les samedis, révélant le fossé entre eux et les membres de sociétés de tir locales.
Des décennies durant, l’image du citoyen armé, toujours prêt à défendre son pays, confirmait la sentence populaire suivante: la Suisse n’a pas d’armée, elle est une armée. Puis, en 1989, à la suite de la chute du mur de Berlin, un tiers de la population s’est prononcé en faveur de l’abolition de l’armée. Les choses ont alors changé.
Aujourd’hui, le lien émotionnel entre citoyens et armée n’est plus celui qui a marqué les mentalités suisses lors de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide. Le nombre de soldats a reculé, l’armée est moins présente dans le quotidien. Et le fusil d’assaut à la maison est passé de mode.
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Les Suisses et leurs armes
Moins d’armes de service à la maison
En 2017, seuls 1523 fusils d’assaut et 990 pistolets ont quitté les arsenaux pour être conservés à la maison, selon le Département fédéral de la défense. Près de 90% des militaires n’ont donc pas emmené leur arme chez eux.
La réforme Armée XXI, entrée en vigueur en 2004, a considérablement réduit le nombre de soldats en service et les stocks dans les arsenaux. Cette année-là, 43% des militaires avaient emporté leur arme (plus de 20’000 fusils d’assaut et près de 20’000 pistolets) à la maison. De 2004 à aujourd’hui, 106’000 armes au total ont été remises au terme du service militaire.
Depuis 2010, les personnes souhaitant emporter leur arme doivent participer régulièrement à des exercices de tir. Une mesure qui a sans doute rendu cette option moins attractive.
Bond des permis d’acquisition
La traditionnelle passion de nombreux Suisses pour les armes à feu n’a, pour autant, pas disparu. Selon le journal dominical alémanique NZZ am SonntagLien externe, les cantons ont délivré, l’an dernier, entre 30’000 et 35’000 permis d’acquisition d’armes. Ces derniers sont requis pour les pistolets, les revolvers et les armes semi-automatiques. D’après l’hebdomadaire, le nombre d’armes effectivement achetées oscille entre 45’000 et 55’000.
D’autres enquêtes journalistiques démontrent que les demandes de permis ont fortement augmenté ces dernières années. Sur la base des estimations de la Confédération et de recherches portant sur les acquisitionsLien externe, le nombre d’armes à feu détenues par des particuliers se situe entre 2,5 et 3 millions, évalue la NZZ am Sonntag.
Il atteint même 3,4 millionsLien externe, d’après une étude datée de 2011 de l’ONG Small Arms Survey, basée à Genève. La Suisse se classerait ainsi au troisième rang mondial, après les États-Unis et le Yémen, parmi les pays enregistrant le plus grand nombre d’armes par habitant. Des données plus récentesLien externe de la même organisation, faisant référence à l’année 2017, révisent, toutefois, sensiblement à la baisse la précédente estimation: environ 2,3 millions d’armes seraient en mains privées. Cela signifie qu’un habitant sur trois, voire quatre, en Suisse, détient une arme.
La forte densité d’armes en Suisse n’est pas seulement due au fait que les soldats ont la possibilité d’emporter leurs armes de service à la maison. Elle s’explique également par la législation plutôt libérale en la matière. Cela pourrait bientôt changer. Le Conseil fédéral et le Parlement veulent renforcer les règles sur la possession d’armes à feu et les rendre conformes aux directives de l’Union européenne (UE)Lien externe.
Normes plus strictes
Un an et demi après les attentats terroristes de Paris en novembre 2015, l’UE a décidé d’interdire certaines armes semi-automatiques. Une catégorie qui comprend les fusils d’assaut de l’armée helvétique. La Suisse, qui fait partie de l’espace Schengen, est tenue d’appliquer la législation européenne, au moins sur le principe, d’ici à la fin mai. Berne a, néanmoins, obtenu plusieurs concessions de l’UE.
Le fusil n’est ainsi pas classé dans la catégorie des armes prohibées lorsque son propriétaire décide de le garder à la fin de son service militaire. Il ne le sera que s’il est vendu: il requiert alors une autorisation spéciale selon la nouvelle loi. Quant aux tireurs sportifs, ils doivent être membres d’un club de tir ou prouver qu’ils participent régulièrement à des exercices de tir.
La réforme va trop loin, selon les sociétés de tir. Celles-ci craignent que la nouvelle législation marque la fin du tir en tant que sport populaire et suscite une méfiance générale à l’égard des propriétaires d’armes à feu. Telles sont les raisons pour lesquelles la Communauté d’intérêts du tir suisseLien externe a saisi le référendum.
Cette dernière a recueilli les 125’000 signatures, déposées ce jeudi matin auprès de la Chancellerie fédérale. Le peuple suisse sera appelé à se prononcer sur le durcissement de la loi sur les armes le 19 mai.
De nombreuses disparitions
Cent sept armes appartenant à l’armée suisse ont disparu l’an dernier: des chiffres en nette hausse au regard de 2017. Cette année-là, 85 fusils d’assaut et pistolets avaient été perdus, a précisé le Département de la défense, de la protection civile et des sports, confirmant des chiffres parus dans le quotidien alémanique Blick. En 2016, 69 armes sont demeurées introuvables.
Au total, 766 armes à feu ont disparu depuis 2009. L’an passé, 36 ont été retrouvées. Parmi elles, trois fusils d’assaut ont été saisis à l’étranger. Selon le porte-parole de l’armée Stefan Hofer, plusieurs raisons peuvent expliquer ces disparitions. Certaines se volatilisent lors de cambriolages, d’autres lors de déménagements ou d’incendies. Depuis 1969, près de cinq mille armes ont été perdues et restent introuvables.
Source: ats
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