Une journée de test dans la peau d’un enseignant primaire
Vous êtes un homme et vous envisagez une reconversion dans l’enseignement primaire? Dans la partie alémanique de la Suisse, il est possible de prendre part à une journée de test. Un projet qui a pour but d’attirer plus d’hommes dans un métier où ils sont seulement 18%.
C’est une journée froide de novembre. A l’école primaire d’Affoltern am Albis (canton de Zurich), quatre élèves, âgés de 9 à 10 ans, écoutent attentivement leur professeur Thomas Walker. Ils préparent une visite dans un jardin d’enfants. Cette activité prévoit que les jeunes enfants racontent des histoires autour du thème du cirque et que les élèves de l’école primaire écrivent leurs récits.
«Quel genre d’animaux peut-on voir au cirque?», demande l’enseignant. Les mains se lèvent; Thomas Walker s’assure que tout le monde puisse répondre.
Reto Schatt, 21 ans, observe le déroulement du cours, dans le cadre d’une journée de test. Cela n’implique pas seulement de suivre un professeur mais aussi de s’essayer à la pratique. Les participants au programme d’essai peuvent ensuite questionner leur mentor pour découvrir comment ils vivent le fait d’être un homme au sein de l’enseignement primaire.
Reto Schatt a appris le métier de maçon et est titulaire d’une maturité professionnelleLien externe. Il a aussi eu une expérience dans l’enseignement spécialisé avec des enfants handicapés. «La joie de transmettre des connaissances, de travailler avec les gens, c’est ce qui m’attire», explique-t-il, pendant la pause de vingt minutes entre deux leçons. «Le travail dans la construction est parfois très solitaire», déplore ce dernier.
Du snowboard au tableau noir
L’enseignant de la classe d’Affoltern am Albis est lui-même entré tardivement dans le métier. Thomas Walker, âgé de 35 ans, a travaillé pendant plusieurs années dans un magasin de ski et snowboard et entraînait une équipe de football juniors dans son temps libre. L’an dernier, il a terminé sa formation d’enseignant primaire à la Haute école pédagogique de Zoug, et gère désormais sa classe.
«Ma carrière professionnelle est encore longue. Il fallait que je réorganise ma vie parce qu’au bout d’un moment on devient trop vieux pour le snowboard», explique-t-il. Il n’a pas particulièrement apprécié sa propre scolarité et s’est donc fixé l’objectif d’être un meilleur enseignant que ceux qu’il a eus.
Il précise: «Pour ce travail, vous devez être capable de travailler avec des femmes.» En effet, en Suisse, seul 18,4% des enseignants à l’école primaire sont des hommes (chiffres de 2015), alors qu’ils étaient encore 30% en 2015. En plus de Thomas Walker, deux autres hommes enseignent à l’école d’Affoltern am Albis.
Thomas Walker estime que les hommes sont, dans un premier temps, davantage intéressés par une carrière lucrative mais que cela peut évoluer par la suite. «Je connais beaucoup d’hommes qui se sont dirigés vers un emploi plus social», indique-t-il.
Les jours de test peuvent aussi montrer aux hommes que l’enseignement a changé. «Par exemple, la technologie est beaucoup plus présente», remarque le professeur.
Ce que cela implique vraiment
La possibilité de parler avec un homme qui exerce ce métier est l’un des principaux bénéfices de ce programme d’essai, note Katarina Farkas, responsable du projet à la Haute école pédagogique de ZougLien externe. «Les participants peuvent aborder des sujets qu’ils n’ont pas envie d’aborder avec nous, comme l’aspect financier, la quantité de travail ou d’autres questions d’organisation», énumère cette dernière.
Elle souligne qu’il est important d’augmenter le nombre d’hommes dans cette profession, mais ce n’est pas parce que les enfants souffrent d’avoir une majorité de femmes enseignantes: «Nous ne pensons pas que les hommes sont de meilleurs professeurs mais simplement qu’il est mieux d’avoir des équipes mixtes.»
Pour l’association «Hommes à l’école primaire», c’est aussi une question d’égalité, puisque les hommes enseignants sont susceptibles d’inciter les garçons à se lancer dans ce métier. Les enfants ont besoin de modèles réels pour «développer une image réaliste des hommes».
Lorsqu’on lui demande pourquoi si peu d’hommes deviennent enseignants d’école primaire, Katarina Farkas répond que l’enseignement n’est plus autant valorisé que par le passé. Elle ne pense pas que le salaire soit nécessairement un problème. Par exemple, les enseignants sont payés environ un tiers de plus que les personnes travaillant dans le social, un secteur similaire.
Il y a des signes qui montrent que la campagne, qui comprenait des annonces dans les journaux et des spots diffusés au cinéma à Zoug, est en train de porter ses fruits. Katarina Farkas a été surprise de constater que de nombreux hommes – environ 60 en novembre – ont effectué une journée test. Ils viennent de tous les domaines: de la banque à la charpenterie en passant par l’ingénierie. Certains ont même par la suite décidé de commencer la formation en été 2017.
Le programme est pour l’instant uniquement disponible dans la partie germanophone de la Suisse, mais la Suisse francophone s’y intéresse également, comme l’a indiqué récemment la Tribune de Genève. Il y aussi une prise de conscience du problème dans cette région du pays, mais la moindre valorisation salariale et sociale du métier n’incite pas les hommes à s’y engager.
La campagne et les journées test de la Haute école pédagogique de Zoug vont continuer jusqu’en 2018.
Dans le monde
Les chiffres de l’OCDE montrent que la Suisse a un pourcentage de femmes (82%) qui enseignent au niveau primaire similaire à de nombreux autres pays.
Pays voisins de la Suisse: France 83,1%, Allemagne 86,8%
Royaume-Uni 84,1%, Etats-Unis 87,2%
Exception: l’Italie, où il n’y a pratiquement pas d’enseignant homme à l’école primaire.
Un peu plus d’hommes en revanche dans les pays scandinaves: Suède 77,2% de femmes, Norvège 74,8% de femmes.
L’économie suisse devrait-elle respecter les limites planétaires, comme le propose l’initiative pour la responsabilité environnementale, ou cela serait-il nocif pour la prospérité du pays? Et pourquoi?
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Parce qu’elle manquait de travailleurs qualifiés pour son usine américaine, Daetwyler, une société suisse d’ingénierie de précision, a décidé de les former. Elle a donc lancé - avec d’autres - un des réseaux d’apprentissage à la sauce helvétique qui connaît le plus de succès aux Etats-Unis.
Devant le quartier général de la filiale américaine de Daetwyler, en Caroline du Nord, le drapeau américain flotte à côté de l’étendard helvétique. Même mélange culturel à l’intérieur des locaux: on y parle le suisse allemand autant que l’anglais, et la musique country résonne au pied d’un immense poster du Cervin. Une carte du centre-ville de Berne décore le mur du bureau de Walter Siegenthaler, vice-président exécutif de la firme. L’homme, qui a quitté sa Suisse natale il y a 40 ans, gère les opérations américaines de Daetwyler. Le principal défi qu’il a affronté durant ces décennies passées aux Etats-Unis: trouver un nombre suffisant de travailleurs qualifiés.
Le mois dernier, l’administration de Barack Obama a annoncé que 100 millions de dollars (101 millions de francs) seraient consacrés aux apprentissages, la plus grosse somme jamais investie dans la promotion de ce type de programme aux Etats-Unis. Mais Daetwyler et d’autres compagnies européennes ayant d’importantes filiales américaines ont déjà pris plusieurs longueurs d’avance sur le gouvernement – simplement parce qu’elles y étaient obligées.
«Dans le milieu des années 1990, il était très difficile de trouver de la main d’œuvre qualifiée, en particulier pour notre service à la clientèle, explique Walter Siegenthaler à swissinfo.ch. Nous n’arrivions simplement pas à trouver les gens.»
C’est qu’il fallait des personnes au profil bien particulier. «Quand un employé fait de l’entretien sur le terrain, il a besoin de compétences mécaniques, électroniques, hydrauliques, pneumatiques…, énumère Walter Siegenthaler. Nous ne pouvions pas engager un spécialiste qui ne connaisse qu’un de ces domaines, il nous fallait des personnes qui disposent de toute une gamme de connaissances.»
A cette époque, Daetwyler a découvert qu’une autre firme, ayant sa maison mère en Autriche, avait aussi de la peine à trouver des employés en Caroline du Nord. Les deux entreprises ont donc uni leurs forces, trouvé d’autres partenaires, et fondé le programme Apprenticeship 2000, une initiative destinée à former dès les bases les travailleurs dont ils avaient besoin.
Voici comment le système fonctionne: des jeunes de 17 ou 18 ans débutent un apprentissage pendant ou après leur dernière année d’études secondaires. S’ils doivent encore aller à l’école, ils alternent une demi-journée de classe et une demi-journée de travail chez Daetwyler. S’ils ont déjà obtenu leur baccalauréat, ils vont quatre jours par semaine chez Daetwyler et étudient un jour dans un collège communautaire. Le programme dure quatre ans et les apprentis obtiennent au final un Associate Degree (un diplôme d’associé) en mécatronique, ainsi qu’un poste chez Daetwyler – s’ils en veulent bien.
Walter Siegenthaler et son collègue Bob Romanelli, en charge du programme, parlent d’Apprenticeship 2000 avec passion. Et il en a fallu beaucoup pour créer ce programme à partir de rien, continuer à recruter des jeunes et convaincre les enseignants et les parents que l’apprentissage vaut vraiment quelque chose. Les étudiants en particulier ne sont pas faciles à convaincre, la plupart avaient prévu de faire leur quatre ans d’université et ne voient pas toujours pourquoi ils devraient envisager un apprentissage, relève Bob Romanelli.
«Les étudiants sont souvent réticents. Depuis des années, papa et maman leur répètent qu’ils vont aller à l’université. Nous menons donc une bataille sur deux ou trois fronts, pas seulement avec les écoles, mais aussi avec les parents et avec les étudiants eux-mêmes».
Le Central Piedmont Community College, qui propose des diplômes professionnels en deux ans, de la boulangerie-pâtisserie à la soudure, a accepté de prendre les étudiants d’Apprenticeship 2000 dans des classes séparées, en adaptant les cours aux besoins des entreprises. Mais les jeunes ne se pressent pas au portillon. Il faut toujours les recruter, et chaque étape demande du travail.
«Nous avons tout mis en place nous-mêmes à partir de zéro, le programme d’étude, les horaires… explique Walter Siegenthaler. Mais presque 20 ans après le début du programme, nous devons toujours aller frapper aux portes, pour trouver des jeunes qui sont assez malins - parce que le travail est assez exigeant – et qui aiment travailler de leurs mains.
DJ, 23 ans, fait partie des étudiants qui a été séduit par le programme. Il supervise aujourd’hui la coupe contrôlée par ordinateur dans l’usine Daetwyler. Son travail le passionne. Il lui permet de s’adonner à son hobby favori: réparer des anciens tracteurs avec son père.
«J’étais en cours de maths quand un de mes professeurs m’a parlé pour la première fois de cette possibilité d’apprentissage, raconte-t-il avec enthousiasme. Instantanément, je me suis rendu compte que j’allais adorer ce job. On m’a appris ici ce qu’il me fallait pour mieux réparer des tracteurs. D’ailleurs, j’ai pu créer beaucoup de pièces à l’usine pour mes engins. On me laisse travailler dessus ici, grâce à mon apprentissage.»
Le débat sur l’apprentissage
La crise économique, combinée à l’augmentation des frais pour les quatre ans nécessaires à l’obtention d’un diplôme universitaire, a mené à un vaste débat sur la question des apprentissages aux Etats-Unis. Dans ce cadre, certains estiment que les systèmes européens peuvent servir de modèles. Récemment, Jill Biden, la femme du vice-président Joe Biden, a visité la Suisse pour mieux comprendre le fonctionnement de son système d’apprentissage.
Et, le 13 janvier dernier, Johann Schneider-Ammann, le ministre en charge du Département fédéral de l’économie, a participé à un débat à la Maison Blanche sur les formations professionnelles. Le programme Apprenticeship 2000 lui-même a été primé par l’Ambassade de Suisse aux Etats-Unis.
Mais Walter Siegenthaler ne se repose pas sur ses lauriers. Il parcourt régulièrement les 640 kilomètres qui séparent la Caroline du Nord de Washington pour convaincre les législateurs américains de l’utilité de son programme et de la manière dont il pourrait être répliqué ailleurs dans le pays.
Malgré son succès, lui et Bob Romaneli savent qu’il y a encore beaucoup d’obstacles à surmonter pour passer du discours aux actes – à commencer par le système éducatif américain. «Quand les étudiants se rendent à nos séances d’orientation, nous leur faisons passer quelques tests basiques de maths, explique Bob Romanelli. Les étudiants s’en sortent très bien quand ils utilisent une calculatrice. Mais ils ont beaucoup de peine à faire des additions et soustractions basiques de tête… Et le problème va en empirant.»
Daetwyler et les autres sociétés impliquées dans Apprenticeship 2000 font régulièrement visiter leurs usines aux professeurs pour montrer quels genres de compétences apprises en classe sont utilisées dans le monde de l’entreprise.
«C’est assez fantastique, se remémore Walter Siegenthaler. Quand nous les amenons ici, les enseignants disent ‘je n’avais aucune idée que l’on employait les mathématiques dans des usines!’».
Formation pour le long terme
Autre défi: la standardisation des apprentissages. En ce moment, il existe trop de différents types d’apprentissages dans chaque Etat américain. Leur qualité et leur durée varient, et tous n’offrent pas des diplômes certifiés comme un Associate’s Degree.
«La plupart du temps, les sociétés américaines forment des gens pour accomplir une certaine tâche, explique Walter Siegenthaler. Nous souhaitons que nos apprentis aient une éducation aussi large que possible pour que nous puissions les transférer dans d’autres départements si besoin est. Les sociétés américaines traditionnelles, elles, ne réfléchissent que sur le court terme. Elles veulent que leurs apprentis sachent faire une seule chose. C’est très différent.»
Andrew, un apprenti de 20 ans chez Daetwyler, apprécie cette formation large. Elle lui a permis de changer de carrière. Il souhaitait auparavant devenir ingénieur mécanique – jusqu’à ce qu’il soit assigné au département d’électronique.
«J’ai découvert au travail que j’aimais vraiment beaucoup l’électronique, dit-il. J’ai donc changé de classe et je vais obtenir un diplôme d’ingénierie électronique. Tout a marché comme sur des roulettes. Et cela ne m’a pas coûté cher. J’ai pu d’abord voir si j’allais vraiment aimer cela, alors que quand on est à l’université, on ne sait pas vraiment».
Pourquoi investir?
Daetwyler et ses partenaires d’Apprenticeship 2000 financent la totalité des frais d’écolage des apprentis enrôlés chaque année (un ou deux par entreprise) et prennent en charge les frais de formation au sein de l’entreprise même. Au total, chacun des apprentis leur coûte près de 160'000 dollars.
Et est-ce que cela en vaut la peine? Absolument, selon Walter Siegenthaler. «Beaucoup de compagnies disent, ‘pourquoi former un employé qui s’en ira chez la concurrence?’ Cela ne se passe pas, parce que le programme suscite une loyauté quasi sans faille chez l’employé. Si un diplômé quitte le programme au lendemain de la remise de son diplôme, c’est que nous avons fait une erreur. Si nous traitons bien un apprenti, il restera travailler pour notre entreprise.»
Christopher, un apprenti en dernière année chez Daetwyler, explique à swissinfo.ch qu’il imagine toujours travailler pour la même compagnie dans dix ans. Et compte un jour «gérer tout un département.» Daetwyler le forme pour voyager aux Etats-Unis et autour de la planète en tant que technicien d’entretien.
«J’aimerais rester ici, ils me traitent vraiment bien, dit-il. J’aimerais continuer à travailler avec des machines et voyager. C’est une profession fascinante, jamais monotone ni répétitive.»
Pas de formule magique
Mais si le programme a fourni un certain nombre de travailleurs qualifiés à Daetwyler et ses partenaires, Apprenticeship 2000 n’est pas non plus une solution miracle.
«Nous avons toujours de la peine à trouver assez d’employés qualifiés, cela n’a pas changé, dit Walter Siegenthaler. Nous voulons avoir encore plus d’apprentis. Rien que dans les deux derniers mois, nous venons d’engager 10 personnes, dont certaines qui habitent dans le Wisconsin, à 1450 kilomètres d’ici. Il était impossible d’en trouver dans la région.»
Et même ces nouvelles recrues ne se sont pas toutes avérées fiables: «Certains employés n’avaient pas les qualifications nécessaires, dit-il. Nous avons dû nous en séparer.»
A l’avenir, il espère que le gouvernement unifiera le système de financement des apprentissages. En Caroline du Nord, où les opérations américaines de Daetwyler sont basées, n’importe quelle compagnie qui emploie un apprenti doit payer 50 dollars par étudiant par année pour financer le Bureau d’Etat pour la formation et les apprentissages.
Mais, à 80 kilomètres de là, en Caroline du Sud, les employeurs qui engagent des apprentis obtiennent une déduction fiscale de 1000 dollars pour chaque personne formée.
Pour Walter Siegenthaler, régler ce problème est urgent. Il s’agit d’une question vitale pour l’industrie américaine: «Les Etats-Unis ont besoin de main-d’œuvre qualifiée. Je reçois énormément de rapports qui me parlent de la pénurie de travailleurs. Nous devons faire quelque chose. Sans quoi, les entreprises manufacturières vont disparaître.»
Discussions à la Maison Blanche
Le 13 janvier à la Maison Blanche, la promotion des succès du système suisse d’apprentissage a été un des sujets d’échanges entre Johann Schneider-Ammann, ministre suisse en charge de l’économie et de l’éducation, des hommes d’affaires suisses et des conseillers de haut rang du président Barack Obama. Cette table ronde s’inscrivait dans le cadre du programme gouvernemental américain «Select USA», qui vise à promouvoir l’attractivité du pays pour les investisseurs, tant étrangers que locaux.
Johann Schneider-Ammann prévoit de retourner aux Etats-Unis en juillet pour une mission de plus longue durée, vouée à l’économie, à l’éducation et à l’innovation, a annoncé son Département.
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