En Suisse, la rougeole persiste et signe
La rougeole, au centre de la semaine européenne de la vaccination, connait actuellement de nouvelles flambées. En cause, une couverture de vaccination insuffisante. Le point avec Claire-Anne Siegrist, présidente de la Commission fédérale pour les vaccinations.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait prévu, en Europe, son élimination pour fin 2010. Mais le malicieux virus a résisté. Et l’OMS a revu ses plans, pour fixer son éradication à l’horizon 2015. Un objectif ambitieux car la rougeole est aujourd’hui loin de disparaître. Au contraire, depuis le début de l’année, on observe de nouvelles flambées de la maladie en Europe, notamment en France où des milliers de cas ont été notifiés. En Suisse, la maladie sévit aussi, avec 362 cas déclarés depuis décembre 2010 (cf: ci-contre).
swissinfo.ch: De quelle manière interprétez-vous la recrudescence de la rougeole, après une période stable entre 2000 et 2006?
Claire-Anne Siegrist: Le virus de la rougeole peut s’assimiler à une tête chercheuse. C’est comme une sonde, capable d’aller trouver dans la population les personnes non protégées et de les infecter. Lorsque le virus ne circule pas durant un moment, les personnes susceptibles de l’attraper s’accumulent. Quand le virus revient, il se retrouve donc avec des milliers de personnes à infecter. Actuellement, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a calculé qu’il existe entre 200’000 et 250’000 jeunes de moins de 25 ans, qui ne sont pas protégés contre la rougeole.
swissinfo.ch: Pour quelles raisons la Suisse représente-t-elle un des derniers bastions européens du virus de la rougeole?
C-A. S.: La Suisse possède une couverture de vaccination insuffisante pour éviter la circulation du virus de la rougeole. Il existe deux raisons à cela. D’une part, on trouve une petite proportion de la population clairement opposée aux vaccins. Ils ne vaccinent donc pas leurs enfants. D’autre part, environ 15% de la population hésite avant de décider si la rougeole justifie une vaccination ou pas. C’est cette proportion qui est problématique.
Car cette hésitation fait que le taux de vaccination nécessaire pour l’élimination de la maladie (ndlr: 95% avec deux doses) est atteint beaucoup trop tard. A l’âge de 16 ans, 95% des jeunes sont vaccinés. Par contre, à l’âge de 2 ans, on est à une moyenne nationale de 86%. Cette différence de 10% suffit pour que le virus continue à circuler et flambe régulièrement.
swissinfo.ch: Comparativement, on voit que moins de personnes sont vaccinées contre la rougeole en Suisse allemande qu’en Suisse romande et au Tessin, comment l’expliquez-vous?
C-A. S.: C’est le cas pour tous les vaccins. Il y a en Suisse alémanique un mouvement qui prône la «confiance en la nature», plus répandu qu’en Suisse latine. Avec une perception qu’il vaut mieux faire la maladie car cela renforce. Si on regarde la vaccination contre l’hépatite B, ou contre le cancer du col de l’utérus, on a des couvertures vaccinales qui sont bien plus répandues en Suisse romande et au Tessin qu’en Suisse alémanique.
swissinfo.ch: Comment encourager l’élimination de la rougeole?
C-A. S.: La difficulté réside dans l’information. Car on ne craint pas ce qu’on ne voit plus. Aujourd’hui, la couverture vaccinale est plus grande, on recense moins de cas de rougeole. Dès qu’il y a une épidémie, tout le monde en entend parler et on vaccine à tour de bras. Mais, lorsqu’elle s’éteint, on pense à autre chose. Il est donc important d’informer la population, de souligner que cette maladie peut être grave et qu’on peut l’éviter avec un vaccin parfaitement toléré.
L’ensemble des pays du monde travaille sur l’élimination de la rougeole. Et les campagnes pour sensibiliser la population à la vaccination ont fait leurs preuves. En Finlande, il n’y a plus de rougeole, d’oreillons et de rubéole depuis 1996. Et dans l’ensemble de l’Amérique du Nord et du Sud, on recense moins de cas de rougeole qu’en Suisse.
Dans la mesure c’est un virus propre à l’humain, contrairement à la grippe, il suffit d’augmenter la proportion de personnes vaccinées pour qu’il disparaisse.
swissinfo.ch: Quelles conséquences entraîne la rougeole?
C-A. S.: La rougeole est une infection respiratoire. Elle se manifeste d’abord sous la forme d’un rhume, avec de la toux, les yeux rouges et de la fièvre. L’éruption cutanée, avec les plaques rouges qui donnent le nom à la maladie, vient seulement dans un second stade. Pour l’immense majorité des personnes, la rougeole représente une maladie fatigante mais bénigne, sans complications, qui dure une dizaine de jours.
Malheureusement, parfois, il en est autrement. Une personne sur 10 fait une complication non grave, avec, par exemple, une surinfection, un début de pneumonie ou une otite. Mais surtout, un patient sur quinze fait une rougeole qui demande une hospitalisation, souvent à cause de complications respiratoires. Et environ une personne sur 1000 en meurt ou en garde des séquelles à vie, à cause d’une pneumonie très sévère ou d’une encéphalite (ndlr: inflammation du cerveau).
swissinfo.ch: En cas de contact avec une personne atteinte de rougeole, est-il encore possible de se protéger pour éviter la propagation du virus?
C-A. S.: Oui. Si on sait que l’on a été en contact avec une rougeole, on a trois jours, dès le moment de la contamination, pour se faire vacciner. Car le vaccin, mis directement dans le muscle, se propage plus vite que la maladie.
D’ailleurs, c’est pour cette raison, qu’à chaque cas de rougeole, les médecins cantonaux et leurs services effectuent une enquête très détaillée. Ceci pour retrouver tous les gens qui ont été en contact avec la personne atteinte, et s’assurer qu’ils ont été vaccinés ou immunisés. La difficulté c’est que l’on sait qu’on a la rougeole seulement lorsqu’on est recouvert de plaques rouges. Or on est déjà contagieux pendant les deux à trois jours qui précèdent ces plaques, et le virus se propage extrêmement facilement.
Si vous rentrez dans une salle où quelqu’un en période d’incubation du virus a éternué deux heures avant, vous pouvez encore, en y passant quelques minutes, attraper le virus. La rougeole est le plus contagieux de tous les virus. Tous ceux qui ne sont pas vaccinés finissent par l’attraper un jour.
Au 18 avril 2011, 33 pays en Europe avaient identifié plus de 6’500 cas de rougeole, avec notamment :
La Belgique qui a notifié 100 cas, contre 40 pour toute l’année 2010.
La France qui a notifié 4’937 cas de janvier à mars 2011, contre 5090 pour toute l’année 2010.
L’Espagne qui signale depuis octobre 2010 plus de 600 cas en Andalousie
La Serbie qui a notifié près de 300 cas.
Source: Organisation mondiale de la santé (OMS)
362. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) note que depuis décembre 2010, «362 cas de rougeole ont été déclarés dans 19 cantons, comparés à 59 cas pour les 11 premiers mois de l’année 2011.» Avec 111 cas déclarés en mars et 120 en avril, la maladie sévit particulièrement depuis ces deux derniers mois.
Cantons touchés. Elle a surtout touché la région de Bâle et environs, avec 59 cas, principalement issus d’une communauté réticente à vacciner les enfants. Ainsi que les cantons de Genève et Vaud, avec respectivement 152 et 78 cas. Ces derniers cantons pâtissent des fortes flambées en France voisine.
Chiffres. Parmi les cas déclarés depuis décembre 2010, 43% avaient 20 ans ou plus. 85% des personnes n’étaient pas vaccinées et 8% insuffisamment. 8% des patients ont été hospitalisés et 5% ont souffert d’une pneumonie.
Source: Office fédéral de la santé publique (OFSP)
Nouveauté. Des experts en vaccinologie avec le soutien de l’OFSP, viennent de lancer un site qui offre la possibilité de créer un carnet de vaccination électronique. Le but est de permettre aux personnes de voir plus facilement si un vaccin manque.
Fonctionnement. L’utilisateur enregistre les vaccins qu’il a reçus. Dès qu’il a terminé, il reçoit un bilan vaccinal. Il peut partager son carnet online avec son médecin et son pharmacien.
Rappel. L’utilisateur peut choisir de se faire envoyer gratuitement une notification par mail ou par sms, lorsqu’un vaccin est nécessaire.
Iphone. Le carnet de vaccination électronique peut être géré depuis l’iPhone, via l’application «myViavac».
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