Face aux djihadistes, le nécessaire aggiornamento des religions
Après les attaques meurtrières à Paris par trois djihadistes, la religion musulmane se retrouve à nouveau sur la sellette. Selon trois hommes de foi, les monothéismes ne peuvent fuir leurs responsabilités dans le débat sur le rôle de la religion, de l’islam en particulier, dans la société.
Matrice des tueurs, manipulé par des extrémistes, injustement amalgamé ou partiellement responsable de l’expression meurtrière du fanatisme religieux, l’islam est une fois de plus interpellé, comme après les attentats du 11-Septembre.
A la suite des attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo et les clients juifs d’un magasin de produits cacher, le nonce apostolique Mgr Silvano TommasiLien externe, le rabbinLien externe François Garaï et le directeur de la FondationLien externe pour l’Entre-Connaissance Hafid Ouardiri se sont retrouvés à Genève au Club suisse de la presse. Une conférenceLien externe prévue de longue date pour débattre avec le professeurLien externe Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou du rôle des religions dans les sociétés modernes.
Ebranlés par ces assassinats et cette attaque contre un symbole de la liberté d’expression, les orateurs ont tenu à rappeler une série de réalités concernant les religions du Livre, des vérités connues, mais encore trop peu reconnues.
Face aux propos plein de certitudes de certains dignitaires religieux, les trois hommes de foi ont lancé la discussion par une sorte de mea culpa pour aborder la question de la coexistence pacifique entre les différents croyants et les autres.
«L’ennemi de l’Islam est aussi en lui-même»
Tout particulièrement concerné par les justifications des djihadistes de Paris et par les mises en demeure des musulmans de s’en départir, Hafid Ouardiri n’a pas voulu botter en touche.
Cet ancien porte-parole de la mosquée de Genève, licencié suite à une reprise en main du financeur du lieu de culte, l’Arabie saoudite au travers de la Ligue islamique mondiale, le directeur de la Fondation pour l’Entre-Connaissance a souligné que les événements de Paris montrent que l’ennemi de l’islam est aussi en lui-même.
Selon lui, il ne suffit plus de répéter après chaque attentat djihadiste que ce terrorisme n’a rien à voir avec l’islam: «C’est une manière rapide de se sortir d’affaire. Il est clair qu’aujourd’hui, nous (musulmans, ndlr) sommes remis en question à juste titre.»
«L’islam n’est pas archaïque. Mais la manière majoritaire de le comprendre, elle, est archaïque », a martelé Hafid Ouardiri qui plaide pour une revitalisation de l’effort d’interprétation des textes fondateurs de l’Islam, un aggiornamento (réactualisation), une mise à jour déjà opérée par certains courants du christianisme et du judaïsme.
«Ce sont souvent ceux qui pratiquent l’islam qui sont le frein le plus terrible à l’évolution du message de l’islam. Sur le plan religieux, nous sommes dans une situation de sous-développement, alors que nous avons tous les outils pour entrer dans une dynamique positive»
Sortir de l’hégémonisme religieux
Selon les orateurs, les deux autres religions du livre portent elles aussi l’exclusion de l’autre.
Le représentant du Saint-Siège à l’ONU s’est demandé si les monothéismes dans leur nature profonde peuvent accepter le pluralisme politique avant de répondre: «croire en un dieu qui commande l’amour de son prochain suffit » pour accepter les principes de la laïcité, soit la séparation de l’Eglise et de l’Etat et l’impartialité de l’Etat face aux religions.
La laïcité établit le principe de séparation de la société civile et de la société religieuse. L’Etat n’exerce aucun pouvoir religieux et les religions aucun pouvoir politique.
En Suisse, seuls les cantons de Genève et de Neuchâtel appliquent strictement le principe de la laïcité. Dans les autres cantons et dans la constitutionLien externe fédérale, c’est la neutralité de l’Etat sur le plan confessionnel qui prévaut avec une garantie pour la liberté de conscience et de croyance.
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Sur la même ligne, Francois Garaï, rabbin à Genève de la communauté juive libérale (moderniste) a également reconnu que «toutes nos traditions religieuses peuvent être hégémoniques. Il faut s’en départir.»
«Pour que nos traditions religieuses puissent jouer un rôle positif (dans nos sociétés, ndlr) il faut qu’elles se mettent à jour, sinon leurs principes fondamentaux peuvent être porteurs de mort, de morts sanglantes.»
Le problématique retour de Dieu
Les nihilistes du djihad sont le produit de facteurs individuels, sociaux, politiques, géopolitiques qui dépassent leur appartenance religieuse. Mais tant Mgr Silvano Tommasi que le rabin François Garaï ont cité l’écrivain Marek Halter estimant que «Dieu est de retour, ce qui complique tout. Aujourd’hui, il faut oser parler de Dieu. Le silence dicté par une fausse conception de la laïcité est le pire des remèdes», a en effet déclaréLien externe l’écrivain au journal Le Temps, après les attentats de Paris.
Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, professeur au Centre de politique de sécurité de Genève a tenté de quantifier le phénomène. Et ce en citant un sondageLien externe international de l’institut Gallup de 2012 (40’000 personnes dans 40 pays) qui montre que 59% de la population mondiale se considérerait comme croyante, 23% non religieuse et 13% athée, le solde n’ayant pas d’avis. Une proportion de croyants qui, selon cette recherche, aurait augmenté ces dernières années dans le monde musulman, alors qu’elle serait en baisse dans les pays occidentaux.
Concernant la Suisse, ce sondage montre une baisse du nombre de personnes se déclarant religieuses, qui sont passées de 71% en 2005 à 50% en 2012. Les athées convaincus, eux, ont légèrement augmenté de 7% à 9%, tandis que les non religieux représentaient en 2012 39% des personnes interrogées.
Retours du religieux donc? Il s’agit plutôt d’une réapparition après la fonte des glaces de la Guerre froide, a nuancé Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, soit la fin de la confrontation entre l’URSS et le monde occidental et de leurs idéologies respectives. Un basculement qui a mis à nu l’échec des nationalismes arabes et favorisé les propagateurs des fondamentalismes musulmans.
Quels représentants musulmans?
Face à la lecture littérale du Coran professée par ces fondamentalistes dont se réclament les djihadistes, Hafid Ouardiri ose la question: «Qui parle de Dieu en islam? Où sont ceux qui peuvent nous éclairer? Ici, nous sommes plusieurs à essayer de construire un socle de confiance sur nos différences. Mais nous sommes débordés de tous côtés. Ceux qui dialoguent ont les outils nécessaires pour le faire. Mais la masse des croyants ne suit pas.»
Dans le dernier tiers du XXe siècle l’islam a acquis une place notable dans l’histoire religieuse de la Suisse: depuis 1990, les musulmans occupent le troisième rang parmi les groupes confessionnels.
Les musulmans de Suisse ne forment pas une seule communauté. Ils appartiennent à des traditions religieuses, culturelles et nationales diverses. De plus, seule une minorité d’entre eux se dit pratiquante.
En 2010, ils étaient majoritairement issus de l’immigration (originaires surtout des pays arabes pour ceux qui vivent en Suisse romande, des Balkans, de la Turquie et de l’Iran pour ceux qui vivent en Suisse alémanique).Un nombre croissant de Suisses se convertissent à l’islam.
Raison pour laquelle Hafid Ouardiri estime qu’«en Suisse, il faut faire en sorte que les représentants auto-proclamés des musulmans soient remplacés par des gens élus.»
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