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Famille Blocher: si ce n’est pas le père, c’est la fille

«Le cas de la famille Blocher, réunissant pouvoir politique, économique et médiatique, est unique en Suisse.» sf.tv

Le politicien Christoph Blocher avait toujours nié être impliqué dans le rachat de la «Basler Zeitung». Cette semaine, on a découvert que c’est sa fille, Rahel, qui avait signé les papiers. Eclairage sur une famille parfois qualifiée d’«oligarque».

Si les sagas sont souvent familiales, celle de la Basler Zeitung, premier quotidien de Bâle, est une «super-saga» car elle se joue avec plusieurs types de familles: biologique avec les Blocher, économique et amicale avec un réseau de financiers et de politiciens se connaissant depuis longtemps, et intellectuelle avec la résistance opposée par de nombreux artistes et citoyens bâlois au «rapt de leur journal».

Depuis fin novembre 2010 et le rachat des Basler Zeitung Medien par Moritz Suter, fondateur de la compagnie Crossair, entretemps disparue, le chef de file de la droite nationaliste suisse, Christoph Blocher, 71 ans, répondait par la négative lorsqu’on lui demandait s’il était impliqué financièrement dans ce rachat. L’ancien conseiller fédéral (2003-2007) disait aussi ne pas savoir qui avait prêté les fonds nécessaires à Moritz Suter.

La presse alémanique a fini par découvrir le pot aux roses, en fin de semaine dernière: les contrats de prêt financier, comprenant des clauses sur le rachat des parts du journal et des interdictions de vendre à des tiers, ont été signés par Rahel Blocher, 35 ans.

Coups de théâtre

Dans la foulée, deux coups de théâtre ébranlaient le public, bien au-delà de Bâle: lundi soir, Moritz Suter démissionnait et cédait toutes ses parts à Rahel Blocher et, mercredi après-midi, c’est le financier tessinois Tito Tettamanti qui reprenait l’ensemble du groupe, désormais baptisé Medienvielfalt Holding.

A aucun moment, Rahel Blocher (dont le Tages-Anzeiger nous apprenait qu’elle était toujours inscrite comme «étudiante» dans l’annuaire téléphonique) n’est apparue en public pour s’expliquer ni n’a fait de déclaration écrite. Pas plus que son père. Le psychodrame bâlois jette donc une nouvelle lumière sur une famille détenant un pouvoir économique et politique rare dans l’histoire suisse.

Au point que le Tages-Anzeiger s’exclamait, dans un commentaire, «ça y est: la Suisse a ses oligarques! Notre famille d’oligarques a tout, un château, un parti, des entreprises et des journaux». Les Blocher, propriétaires et patrons du groupe Ems-Chemie, dont le joyau immobilier est le château de Rhäzüns, dans les Grisons, disposaient déjà, sur le plan politique, d’une tribune médiatique avec l’hebdomadaire Weltwoche, dont la vente et le rachat par un proche de Christoph Blocher, Roger Köppel, reste d’ailleurs encore entourée de mystère.

Fredy Gsteiger, journaliste à la radio publique alémanique RTS, avait déjà mis le doigt sur ce «phénomène non suisse» que représente Christoph Blocher. En 2002, il avait publié une biographie non-autorisée «Christoph Blocher, ein unschweizerisches Phänomen» (Ed. Opinio, Bâle, 2002). «Il y a déjà eu, en Suisse, des familles influentes sur plusieurs générations. Mais le cas de la famille Blocher, réunissant pouvoir politique, économique et médiatique, est unique», affirme-t-il.

Les Läckerli? Miriam Blocher!

Depuis que Rahel, la cadette, licenciée en sciences économiques, passée chez Clariant puis Elma, est sortie, ou plutôt, a été extraite, de l’ombre, on sait désormais que les quatre enfants de Christoph et de Silvia Blocher (71 et 65 ans) sont tous patrons d’entreprise. La seule à n’avoir jamais directement travaillé avec son père est Miriam, 36 ans, qui a racheté en 2006 la maison Läckerli-Huus de Bâle, à laquelle elle semble donner des ailes.

Toujours actionnaire d’Ems Chemie, cette ingénieure en denrées alimentaires a manifestement adopté au moins un adage du style directorial paternel: rappelant les circonstances de sa reprise de la maison bâloise, elle avait déclaré, en interview, ne vouloir diriger une entreprise que si elle en était aussi propriétaire. Le père avait déjà expliqué à la Schweizer Illustrierte qu’«au mieux, le grand chef est aussi propriétaire, pour autant qu’il en soit capable».

Après son élection au Conseil fédéral fin 2003, Christoph Blocher avait cédé ses parts d’Ems-Chemie à ses quatre enfants. L’aînée, l’économiste Magdalena Martullo-Blocher (41 ans), dirigeait déjà le groupe. Markus (40 ans), docteur en chimie de l’EPF de Zurich et ancien collaborateur de McKinsey, dirige la filiale Dottikon, depuis indépendante du groupe grison.

Markus Blocher aurait revendu toutes ses parts d’Ems-Chemie. Enfin, Rahel, 35 ans, est l’unique membre du conseil d’administration de Robinvest, présidée par son père. En 2010, la société de conseil avait œuvré dans les coulisses de la Basler Zeitung. Rahel et Magdalena contrôlent en outre la holding Ernesta, qui possède 56% d’Ems Chemie

«Tradition patriarcale»

«Les quatre enfants Blocher sont brillants, mais il n’est évidemment pas facile de grandir à l’ombre d’un père aussi exposé, note un politicien connaissant la famille et désirant rester anonyme. Etant donné le succès du père, ils sont presque condamnés à échouer.» Comme le note un autre observateur, il est frappant qu’aucun des quatre n’ait fait «sécession».

 

«Christoph Blocher incarne une tradition patriarcale forte, explique Fredy Gsteiger. Mais son père, pasteur, [Christoph Blocher a grandi avec 10 frères et sœurs, ndrl] était encore plus patriarche que lui, plus dur et certainement plus difficile à vivre. L’épouse de Christoph Blocher, Silvia, dont on dit qu’elle est parfois encore plus à droite que son mari, renforce cette dimension patriarcale.»

Le biographe «non autorisé» place la situation bâloise dans la perspective d’une offensive plus vaste. «Même s’il est impossible de dire, pour l’heure, si Miriam a noué des contacts dans certains milieux bâlois, en amont, on voit que Christoph Blocher veut jouer un rôle toujours plus grand dans la presse.»

Depuis, Rahel Blocher a certes revendu ses parts, mais Christoph Blocher reste garant pour d’éventuelles pertes du nouveau groupe créé par Titto Tettamanti, «de façon illimitée», a indiqué le financier tessinois mercredi.

Quant au mouvement Rettet Basel, lancé en 2010, entre autres, par des artistes et des intellectuels bâlois pour protester contre les manœuvres entourant les reprises successives de la Basler Zeitung, il a appelé à manifester samedi après-midi dans les rues de Bâle.

Titto Tettamanti a racheté le groupe de presse Basler Zeitung Medien (BZM) deux jours après sa reprise par la fille de Christoph Blocher, Rahel. Il l’avait déjà acheté en février 2010, puis revendu à Moritz Suter en novembre de la même année.

Le Tessinois crée aujourd’hui un nouveau groupe, MedienVielfalt («diversité des médias») Holding (MVH). L’ancien rédacteur en chef de la télévision alémanique SF Filippo Leutenegger, conseiller national (PLR / Zurich) sera délégué du conseil d’administration de MVH – et président du conseil d’administration du journal, la BaZ – et aura la tâche d’assainir le groupe.

Le sociologue Uli Windisch, cité il y a une année parmi des personnalités romandes souhaitant créer un journal de droite, fait également partie du conseil d’administration de MVH, qui sera présidé par l’ancienne conseillère d’Etat tessinoise Marina Masoni. Figure également au conseil d’administration Robert Nef, ancien directeur du Liberales Institut, connu pour ses positions ultra-libérales.

Selon le communiqué de MVH, Uli Windisch, Robert Nef, Filippo Leutenegger, mais aussi Stéphane Barbier-Müller de Genève, Pierre Bottinettli de Crans Montana, Hans-Rudolf Gysin, ancien conseiller national PLR (BL), Hans Kaufmann (UDC/ZH) et Marina Masoni détiennent «moins de 5% du capital-actions» de MVH.

Parmi les plus gros actionnaires (entre 5 et 10%) figure Adriana Ospel-Bodmer, épouse de l’ancien patron d’UBS Marcel Ospel. Tito Tettamanti détient 53,6% des droits de vote et 18,8% du capital. Le rédacteur en chef Markus Somm, biographe et proche de Christoph Blocher, reste en place.

Dans une prise de position publiée jeudi après-midi, la commission de rédaction de la Basler Zeitung s’est dite heureuse que la transparence ait été instaurée sur les propriétaires du journal.

«La rédaction aborde les nouveaux défis avec confiance, indique le communiqué. Le nouveau président du conseil d’administration de la BaZ, Filippo Leutenegger, a affirmé, lors d’une première rencontre, que la BaZ resterait un journal aux opinions plurielles.» D’autres discussions sont prévues.

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