«La maîtrise du français faiblit à Madagascar»
Depuis l’indépendance, Madagascar est tiraillé entre son ancien colonisateur et le monde anglo-saxon. Cela se manifeste clairement dans la politique linguistique des gouvernements successifs. Et le français n’en ressort pas gagnant, affirme le journaliste Mamy Andriatiana.
En 2010, Madagascar devait accueillir le 13e sommet de la Francophonie, grand raout politique réunissant les 70 Etats membres de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Mais le brusque renversement de régime opéré par le maire d’Antananarivo Andry Rajoelina en a décidé autrement. Suspendu par l’OIF, Madagascar a été privé de l’événement, finalement organisé dans la ville suisse de Montreux.
Cette dimension politique est omniprésente dans l’histoire qu’entretient la Grande Ile avec le français, langue des anciens colons. Le journaliste Mamy Andriatiana, de l’agence de presse rurale Médiascope, nous explique en quoi cela influence la pratique linguistique des Malgaches.
Origines. Le malgache ou malgasy est la langue nationale et la plus couramment parlée à Madagascar. Elle se rattache aux langues du centre de l’Indonésie et des Philippines. Au fil du temps et des migrations, elle s’est enrichie de mots provenant d’Afrique, d’Inde et d’Europe. Le malagasy compte plus d’une vingtaine de dialectes locaux.
Forces et faiblesses. Langue très riche, le malagasy comprend plus de soixante mille mots. Il permet d’exprimer avec précision des choses très abstraites. Son problème majeur réside dans le vocabulaire restreint en ce qui concerne la science et les techniques.
Le français. Autre langue officielle mentionnée dans la Constitution de novembre 2010, le français est parlé par environ 20% de la population. Entre 2007 et 2010, sous le régime du président déchu Marc Ravalomanana, l’anglais a également été inscrit comme langue officielle dans la constitution avant d’être retiré.
Francophonie. Madagascar est membre de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Le pays a été suspendu de l’organisation suite à la prise de pouvoir d’Andry Rajoelina en 2009. La Grande Ile devait par ailleurs accueillir le 13e sommet de la Francophonie en 2010, mais la crise politique a contraint l’OIF à déplacer le sommet dans la ville suisse de Montreux.
swissinfo.ch: Comment se porte la langue française à Madagascar?
Mamy Andriatiana: A l’heure actuelle, le français n’est plus utilisé couramment au sein de la population malgache. Il n’en a pas toujours été ainsi. Jusque dans les années ’70, c’était non seulement la langue officielle et de l’éducation, mais également la plus parlée à Madagascar. En 1972, la révolution estudiantine a mis le doigt sur le problème de la suprématie de la culture française. Les écoliers connaissaient sur le bout des doigts les départements français, mais ils n’avaient aucune idée de la géographie de leur pays. Toutes les relations avec l’administration devaient par ailleurs se faire en français.
Le gouvernement socialiste de Ratsiraka a changé la donne avec sa politique de malgachisation de la société. Cette révolution a finalement échoué, faute de préparation et moyens suffisants. On est donc peu à peu revenu en arrière.
Ces hésitations ont marqué toute l’histoire de Madagascar depuis son indépendance en 1960. Récemment, le président déchu Marc Ravalomanana avait décidé d’introduire l’anglais comme troisième langue officielle. Andry Rajoelina a fait marche arrière dès sa prise de pouvoir en 2009. Conséquence directe de ces valses-hésitations, le français de Madagascar a aujourd’hui atteint un niveau médiocre. Même les instituteurs ne sont pas assez formés pour transmettre correctement cette langue. Et il n’y a aucun plan en vue pour améliorer la situation.
swissinfo.ch: Si l’on vous comprend bien, à chaque changement de régime, sa nouvelle politique linguistique.
M.A.: Tout à fait. Dans les années 70, on a voulu enterrer le français. Et parce que cela n’a pas réussi, le gouvernement suivant a prôné l’autre extrême. Quant à Marc Ravalomanana, il était influencé par le contexte de mondialisation et la volonté de s’ouvrir au monde anglo-saxon. Aujourd’hui, Andry Rajoelina est plus proche de la France et il encourage donc l’usage du français.
Plus
Le soutien suisse à Madagascar
swissinfo.ch: Le français est-il d’abord une langue de l’élite malgache?
M.A.: Non, pas seulement. La classe moyenne a une bonne connaissance du français, surtout dans la compréhension. Il existe une toute petite minorité qui parle uniquement le français, hors et à la maison. C’est un signe de distinction fort, mais que j’observe très rarement.
swissinfo.ch: Comment le français cohabite-t-il avec le malgache?
M.A.: De nombreuses personnes utilisent des mots français lorsqu’elles parlent malgache, et vice-versa. Les deux idiomes se complètent. Lors d’une conversation, on privilégiera le mot le plus explicite des deux langues. Certaines expressions malgaches sont intraduisibles en français. Je pense au ‘fihavanana’. C’est un mot à cheval entre solidarité et entraide mutuelle, une spécialité malgache. Même les Français utilisent ce terme. A l’inverse, il existe de nombreux mots français, surtout dans le domaine technique, intraduisibles en malgache. Quant à la langue malgache, elle évolue comme les autres langues. Il existe une Académie, exactement sur le modèle français, qui valide les nouveaux mots.
swissinfo.ch: Le malgache est-il une langue unifiée comme le français?
M.A.: A côté du malgache officiel, reconnu par l’administration et parlé par tout le monde, il existe de nombreux dialectes locaux. Mais depuis quelques années, les enfants n’apprennent plus ces dialectes à l’école, et je le regrette. Avec les 18 ethnies que compte le pays, il est bien évidemment impossible de maîtriser tous les dialectes. Il existe toutefois grosso modo deux dialectes principaux, l’un au nord et l’autre au sud. En les maîtrisant, on peut au moins comprendre les gens quand l’on se rend dans ces régions.
Grâce à l’enseignement que j’ai acquis à l’école secondaire, au temps de la politique de malgachisation, je peux plus facilement accéder au dialecte du sud du pays. Alors que ceux qui ne parlent que le malgache officiel rencontreront des difficultés de communication dans les régions.
swissinfo.ch: Et chez vous, quelle est la langue utilisée à l’heure des repas en famille?
M.A.: Nous parlons le malgache officiel. Mais de temps en temps, j’impose aux enfants de parler en français, ou en anglais. Même si je dois parfois les contraindre (rires).
swissinfo.ch: Quelles sont les langues internationales qui prennent de l’importance à Madagascar?
M.A.: L’anglais, évidemment, surtout dans les années 2000, du temps de Marc Ravalomanana. L’anglais a été inscrit comme langue officielle dans la constitution et son enseignement poussé à l’école. La nouvelle constitution de novembre 2010 ne parle plus que du français et du malgache. L’anglais a officiellement reculé – on ne plus l’écouter à la télévision, puisqu’on ne capte plus la BBC – mais on assiste cependant à une émergence des écoles privées qui enseignent à la fois l’anglais et le français. Si la langue est très liée à l’évolution politique et à l’influence exercée par la France et les Etats-Unis, elle suit également de manière naturelle le cours de la mondialisation économique et culturelle.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.