Jo Siffert ou quand la course automobile est devenue un mythe
Jo Siffert fait une sieste pendant les préparatifs de la course de Watkins Glen de la série CanAm, le 13 juillet 1969. Il a terminé à la 6e place sur une Porsche 908/2.
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Le 24 octobre 1971, le coureur automobile suisse Jo Siffert perdait la vie sur un circuit. Cinquante ans plus tard, les fans de sports mécaniques se souviennent avec émotion de ce pilote entré dans la légende et à qui l’on devrait notamment – dit-on – la tradition des douches de champagne sur les podiums.
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Après des études en histoire et en sciences des religions, j’ai entamé ma carrière journalistique à Radio Fribourg. Après un passage à la rédaction suisse de l’Agence télégraphique suisse, j’ai rejoint SWI swissinfo.ch en 2000. J’y ai longtemps œuvré comme spécialiste de la politique fédérale, puis des thèmes historiques. Plus récemment, je me consacre à la traduction, la relecture et mise en ligne d’articles.
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J'ai suivi une formation de photographe à Zurich et j'ai commencé à travailler comme photojournaliste en 1989. J'ai été l'un des fondateurs de l'agence photographique suisse Lookat Photos en 1990. Deux fois lauréat du World Press Award, j'ai également reçu plusieurs bourses nationales suisses. Mon travail a fait l'objet de nombreuses expositions et est représenté dans plusieurs collections.
Circuit de Brands Hatch, Royaume-Uni, 24 octobre 1971: Jo Siffert prend part à sa 96e course de Formule 1. Bien qu’en pole position, il rate son départ et doit lutter ferme pour revenir en tête. Mais après 15 tours, c’est le drame; sa voiture fait une embardée, rebondit, se retourne et prend feu. Les secours sont trop lents et le pilote, inconscient, meurt asphyxié. Quelques jours plus tard, ses obsèques, à la cathédrale de Fribourg, réunissent près de 50’000 personnes.
L’arrivée du cercueil devant l’entrée de la cathédrale de Fribourg, le 29 octobre 1971. Immédiatement derrière le cercueil, sa veuve Simone Siffert-Guhl est soutenue par le directeur des courses de Porsche, Rico Steinemann.
Keystone
Comme coureur de F1, Jo Siffert n’a de loin pas eu le palmarès et la gloire d’un Juan Manuel Fangio, d’un Niki Lauda ou d’un Ayrton Senna. Pourtant, cinquante ans après sa mort, ce pilote qui aurait pu, comme tant d’autres, sombrer dans l’oubli, reste un nom connu pour toute personne passionnée d’histoire du sport automobile. Comment expliquer une telle notoriété?
Un pilote d’exception
Les statistiques officiellesLien externe rappellent qu’il est monté à six reprises sur le podium, dont deux fois en qualité de vainqueur (GP de Grande-Bretagne en 1968 et GP d’Autriche en 1971) lors des dix saisons (de 1962 à 1971) qu’il dispute en Formule 1, la catégorie reine de la course automobile.
Ses résultats en F1 sont certes remarquables, mais pas époustouflants. L’autre grand pilote suisse de F1, Clay Regazzoni, a par exemple un palmarès plus étoffé, avec 25 podiums, dont 5 victoires. Mais ce qui fait la particularité de Jo Siffert, c’est d’avoir eu plusieurs cordes à son arc.
C’est ainsi qu’il se distingue également en F2 et dans les courses de côte. En endurance, avec 14 victoires en 41 courses entre 1968 et 1971, il fait figure de pilote de référence. En tout début de carrière, Jo Siffert a même brillé en motocyclisme, devenant notamment champion de Suisse des 350 cm3 en 1958.
Jo Siffert dans le rôle du «singe» aux côtés d’Ernst Mühlemann lors du TT de l’île de Man en 1958; photo provenant de FoTTofinder Archive.
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Jo Siffert à Cordoba, Argentine, 1968. Après les grandes courses de la saison principale, il pilotait également dans des compétitions de Formule 2.
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Jo Siffert dans une Lotus 24 BRM. Première participation au Grand Prix de Monaco avec sa propre écurie, la Siffert Racing Team.
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La Brabham BT11-BRM de Jo Siffert dans les stands du circuit de Zandvoort, 1965 (à gauche) et avec son mécanicien Tony Clevely au Grand Prix de Monaco, 1967.
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Cérémonie avant le départ de la course de Formule 2 Temporada Argentina à Cordoba, Argentine, 1968. Jo Siffert a décroché la 3e place pour l’équipe Tecno sur une PA68.
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Jo Siffert attend de prendre la relève de son coéquipier Brian Redman. Siffert/Redman ont terminé la course de 6 heures sur le circuit de Watkins Glen à New York en 2e position pour l’équipe John Wyer sur Porsche 917K, le 11 juillet 1970.
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Jo Siffert et son coéquipier suisse Clay Regazzoni, tous deux pilotes de l’équipe de Formule 2 Tecno à Cordoba, Argentine, 1968 (à gauche) et Jo Siffert discutant avec Jim Clark, Watkins Glen, 1963. Source: Manfred Gygli
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Une photo de l’arrivée de la légendaire course Targa Florio en Sicile en 1970. Jo Siffert a remporté la course avec Brian Redman dans une Porsche 908-03. Source: Tony Triolo
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La course de côte d’Ollon-Villars, organisée le 25 août 1963. Cette course comptait en même temps comme manche de classement du World Sports Car Championship. Jo Siffert au milieu avec Toulo de Graffenried à sa gauche. De Graffenried fut le premier pilote suisse à connaître le succès en Grand Prix.
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Jo Siffert lisant le dernier numéro de Sport dans le cockpit de sa BRM P160. C’était lors du Grand Prix Questor de la série Formule 5000 sur l’Ontario Motor Speedway, Californie, 1971.
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Jo Siffert suivi de Jochen Rindt, tous deux sur Cooper Maserati T81. Siffert faisait partie de l’écurie de Rob Walker et Jack Durlacher, Grand Prix de Monaco, 1967.
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Jo Siffert pendant les préparatifs des 12 heures de Sebring. Il courrait à l’époque pour l’équipe de Charles Vögele sur une Porsche 906 et s’est classé 6e. Source Manfred Gygli (à gauche) et un an plus tard, à nouveau lors de la course des 12 heures de Sebring sur Porsche 910 4.
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Graham Hill, Tony Clevely, Jean-Pierre Oberson, Jean Tinguely et Jo Siffert dans le paddock du circuit de Watkins Glen à New York, 1968. Source: Christian Herdeg
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La Porsche 917K de Jo Siffert et Derek Bell avec en arrière-plan le circuit de Sebring en Floride. Ils termineront la course de 12 heures en 5e position pour l’équipe de John Wyer.
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Une photo de Jo Siffert à l’occasion de la course des 1000 km de Spa-Francorchamps en 1971, avec, tout à gauche, Jacques Deschenaux, qui l’accompagnait depuis 1963 et faisait beaucoup de travail de presse pour lui.
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Jo Siffert juste avant le départ de la course fatale de Brands Hatch, le 24 octobre 1971. Il avait établi le meilleur temps des essais et un nouveau record de piste sur sa BRM P160. Un mauvais départ l’avait fait chuter au 16e rang. Sa voiture a fait un embardée et a pris feu lors de sa remontée. Jo Siffert était déjà une légende de son vivant, mais sa mort en course en a fait un mythe.
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Les photos de motorsportfriends
motorsportfriends.chLien externe est un fonds d’archives international consacré aux sports mécaniques, qui est constitué principalement de photos d’amateurs et de passionnés des années 1940 à 1980. Le site est constamment à la recherche de nouveau matériel photographique. Il publie chaque année un calendrier et a édité le livre Gasoline&Magic en 2015, à l’occasion d’une exposition au musée Bellpark de Kriens (Lucerne).
«En onze ans, il a pris 298 départs de course. Parfois, il participait à plusieurs compétitions durant un même week-end. C’est complètement fou», commente Jacques Deschenaux, ancien attaché de presse de Jo Siffert et ancien chef de la rubrique sportive de la Télévision suisse romande.
À l’origine de la douche au champagne
La scène est devenue rituelle: le vainqueur d’un GP de F1 reçoit une bouteille de champagne sur le podium, la secoue, l’ouvre et arrose le public. Eh bien, Jo Siffert est involontairement à l’origine de cette tradition.
Lors des 24 heures du Mans de 1966, il remporte avec l’Anglais Colin Davis l’épreuve à l’indice de performance et se retrouve sur le podium. La bouteille de champagne qu’il reçoit n’ayant pas été suffisamment refroidie, le bouchon saute accidentellement. Jo Siffert essaie de retenir le contenu en mettant son pouce sur la bague de la bouteille, mais le public est aspergé.
Cette scène ayant fait impression, le vainqueur des 24 heures du Mans 1967, l’Américain Dan Gurney, la réédite, mais cette fois de manière intentionnelle en secouant très fort la bouteille. Une tradition est née. Il convient cependant de souligner qu’il existe d’autres explications sur l’origine de cette pratique.
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Si l’histoire de Jo Siffert séduit encore, c’est aussi parce qu’il apparaît comme l’archétype du «self-made-man». Il était issu d’une famille extrêmement modeste de la vieille ville de Fribourg, un quartier à l’époque populaire et très pauvre où la population s’exprimait souvent dans un sabir issu du mélange entre français et dialecte alémanique.
Il n’appartenait pas à cette classe des «gentlemen drivers», représentée en Suisse par Emmanuel de Graffenried (famille patricienne) ou Benoît Musy (fils de conseiller fédéral). Il ne disposait donc pas de la fortune nécessaire pour s’adonner sans soucis financiers à sa passion.
Avant d’être sous contrat avec de grandes écuries (notamment Porsche), il a dû mener en parallèle son activité sportive et une activité professionnelle classique. Parti de rien, il a fini par posséder un garage à Fribourg, distribuant les marques Porsche et Alfa-Romeo. «À la fin, il était devenu le 2e distributeur de Porsche en Suisse», indique Jacques Deschenaux.
Jo Siffert avait la chance de posséder un sens inné du commerce. Là encore, ce fut l’occasion de marquer l’histoire de la F1, puisqu’il fut le premier ambassadeur de la marque horlogère suisse Heuer, pionnière du parrainage dans la F1. Le pilote suisse a aussi signé le premier contrat d’une autre marque qui allait devenir plus tard un acteur majeur du sponsoring automobile: le cigarettier Marlboro.
Une source d’inspiration
Compte tenu de sa notoriété, Jo Siffert devient une source d’inspiration pour le cinéma et se retrouve lié à deux films automobiles cultes. Dans Le Mans, Steve McQueen s’inspire directement de la combinaison de Jo Siffert, avec le fameux logo Heuer, pour camper son personnage de pilote de course. Présent sur le tournage, le pilote fribourgeois a aussi fourni la plupart des voitures. Jo Siffert apparaît aussi brièvement sans le film Grand Prix, qui a obtenu trois Oscars en 1966.
La rencontre de deux légendes: l’acteur Steve McQueen, producteur du film Le Mans et le pilote d’usine de Porsche Jo Siffert avant de départ des 24 heures du Mans du 13 juin 1970.
Getty Images
Apparition furtive encore, mais sur petit écran cette fois, au générique de la série Amicalement vôtre, avec Tony Curtis et Roger Moore. Un œil attentif y distingue clairement le casque rouge à croix blanche, caractéristique de Jo Siffert. Et lorsque, dans un épisode, Lord Brett Sinclair doit disputer une course, le choix de Roger Moore se porte sur la même voiture que celle de Jo Siffert, l’acteur britannique vouant une grande admiration au pilote suisse.
Passionné de vitesse et de sport automobile, l’artiste suisse Jean Tinguely s’était lié d’amitié avec Jo Siffert. Le célèbre sculpteur a créé une fontaine en hommage à son ami disparu.
Les résultats sportifs n’expliquent pas à eux seuls que le souvenir de Jo Siffert perdure. Il faut aussi prendre en compte le facteur humain. «Il s’était pris de passion pour la course automobile lorsque son père l’avait amené au GP de Berne, en 1948, raconte Jacques Deschenaux. L’histoire de ce gamin pauvre qui a surmonté toutes les épreuves pour réaliser son rêve de devenir pilote, alors qu’il n’avait qu’une chance sur 100’000 d’y parvenir, a contribué à forger sa légende.»
«Et puis, il faut aussi prendre en compte l’époque, poursuit-il. Beaucoup de ces pilotes étaient des gens totalement hors-norme qui flirtaient continuellement avec la mort. Dans ces années-là, on perdait trois à quatre pilotes par année. Le fait que Jo Siffert soit mort en course a encore contribué à renforcer son mythe.»
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