Une comédie raconte le combat des Suissesses pour le droit de vote
En Suisse, les femmes n'ont obtenu le droit de vote au niveau national qu'en 1971. Il n'y a pas de quoi rire. Vraiment? À l'occasion de la Journée internationale de la femme, la comédie «L'ordre divin» sort sur les écrans. Primée à Soleure, elle raconte le combat des femmes suisses pour le suffrage féminin.
«L’ordre divin» raconte, sur le ton de la comédie, l’histoire d’une mère au foyer qui se bat pour le droit de vote des femmes en Suisse. Il a été réalisé par Petra Volpe qui a également écrit le scénario.
En janvier, ce long-métrage a été le premier film de fiction dans l’histoire des Journées de Soleure à remporter le Prix de Soleure. Il est aussi considéré comme le grand favori des Prix du cinéma suisseLien externe qui seront décernés le 24 mars à Genève. Sa sortie en Suisse alémanique est agendée au 9 mars. La date de son arrivée sur les écrans romands devrait être connue à la mi-mars.
«En 1971, le monde bougeait», raconte la protagoniste en voix off sur des images de manifestations. Pour continuer, après une transition sur une idyllique bourgade suisse: «mais ici, chez nous, on avait l’impression qu’il s’était arrêté».
Les femmes ne peuvent pas travailler sans l’autorisation de leur époux, des jeunes filles sont internées pour un flirt et, en tant que chef de famille, l’homme peut disposer de l’argent à sa guise: la Suisse de «L’ordre divin» n’a rien d’un paradis. Le film sort en version originale sous le titre «Die göttliche Ordnung» dans les salles alémaniques. La date de sortie en Suisse romande devrait être fixée ce mois encore.
Il raconte l’histoire d’une mère au foyer qui, dans un petit village, milite pour le droit de vote des femmes. Les intrigues secondaires constituent une sorte d’histoire du patriarcat suisse et des souffrances qu’il a engendrées – pour tout le monde, femmes, hommes et enfants.
«Les femmes en politique, c’est contraire à l’ordre divin»
Difficile à croire, mais une bonne partie des événements racontés dans le film se sont réellement déroulés comme ça. L’internement de mineurs pour « mauvaises mœurs » ou « paresse au travail » s’est poursuivi jusqu’aux années 80 et fait partie des chapitres les plus sombres de l’histoire suisse.
La réalisatrice et scénariste Petra VolpeLien externe a mené des recherches approfondies avant d’écrire le scénario. Elle a rendu visite aux Archives sur l’histoire du mouvement des femmesLien externe, s’est entretenue avec des combattantes de l’égalité des droits des femmes et a également lu une thèse sur les femmes opposées au suffrage féminin, assez nombreuses en ces temps-là. Finalement, elle a soumis son scénario à une historienne pour «s’assurer que l’atmosphère du film était la bonne».
Une atmosphère que Petra Volpe décrit en un mot: «étroite». Les rôles de l’homme et de la femme était strictement définis. «Une femme en politique, c’est contraire à l’ordre divin», affirme dans le film une opposante au suffrage féminin. Cette affirmation, qui donne son titre au film, est une citation originale de l’époque.
En Appenzell, il a même fallu que la justice s’en mêle
La sortie du film à l’occasion de la Journée internationale de la femme est un symbole important pour la réalisatrice. Le 8 mars célèbre l’égalité entre les femmes et les hommes. Et l’accomplissement le plus important de cette journée qui a plus de cent ans est certainement l’introduction du suffrage féminin dans la plupart des démocraties du monde.
Dans la majeure partie des pays occidentaux, les femmes ont obtenu le droit de vote au cours de la première moitié du XXe siècle. En Suisse, cela a pris un peu plus de temps. Au niveau fédéral, les femmes peuvent participer aux élections et aux votations depuis 1971. Mais en Appenzell Rhodes-Intérieures, ce droit ne leur a été reconnu au niveau cantonal qu’en 1991 et uniquement sur injonction du Tribunal fédéral.
Très conservateur
Les observateurs extérieurs ont souvent peine à comprendre pourquoi le suffrage féminin a été introduit si tard en Suisse. Petra Volpe a sa propre explication: «La Suisse est un pays très conservateur. Les changements y rencontrent de fortes résistances».
Dans de nombreux pays, c’est le gouvernement qui a décidé de donner le droit de vote aux femmes. En Suisse en revanche, il a fallu que les hommes l’approuvent dans les urnes. Ce n’est toutefois pas une excuse, estime Petra Volpe. «Alors que les femmes pouvaient voter depuis longtemps dans les pays environnants, les politiciens suisses continuaient à ne pas les prendre au sérieux. Les pétitions et les motions disparaissaient tout simplement dans les tiroirs du Conseil fédéral».
La réalisatrice est convaincue que les Suissesses auraient obtenu ce droit plus tôt si l’attitude du gouvernement avait été différente. «En Suisse, on n’aime vraiment pas le changement. C’est aujourd’hui encore évident quand il y a des votations».
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Le film ne s’adresse pas seulement à un public suisse. La réalisatrice a la double nationalité suisse et italienne. Elle vit à Berlin et aux États-Unis. Par conséquent, elle s’efforce de porter un regard extérieur sur son sujet. «Je voulais raconter ce problème très suisse de manière à ce que tout le monde puisse s’y intéresser.»
Apparemment, elle y est parvenue. Une société de distribution danoise a vu le film et estimé que l’histoire pouvait être commercialisée dans le monde entier. Il a déjà été vendu en Chine et dans d’autres pays.
La réalisatrice pense que «L’ordre divin» peut intéresser un public étranger parce qu’il ne traite pas seulement du suffrage féminin. «Il parle aussi de courage civil, de démocratie, d’égalité et de la lutte pour la justice – ces sujets sont à nouveau d’une actualité brûlante suite aux élections américaines!»
Et en Suisse? Petra Volpe n’hésite pas: «Il y a encore énormément à faire. Les femmes dans ce pays continuent à gagner moins que les hommes. Ça commence là. Mais le problème le plus important est que nous avons tous intériorisé un très fort sexisme».
Trois questions à la réalisatrice Petra Volpe
swissinfo.ch: Pourquoi un film sur le suffrage féminin?
Petra Volpe: L’idée vient de mon producteur. Elle a trouvé en moi un terreau fertile.
swissinfo.ch: Pourquoi avoir fait une comédie et non un film documentaire ou un drame, comme le film britannique «Les suffragettes»?
P.V.: Les femmes suisses n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1971. C’est si absurde que ce ne pouvait être autre chose qu’une comédie. En tant que femme, vous avez besoin d’une bonne dose d’humour noir.
swissinfo.ch: Les personnes qui ne connaissent pas la question pourraient avoir l’impression que le film exagère ou se nourrit de clichés.
P.V.: C’est ce qu’on dit souvent face aux préoccupations des femmes. C’est exagéré! Ce sont de vieilles histoires! Mais dans ce film, de nombreuses réparties des personnages sont des citations originales venant de l’époque.
Le long chemin des Suissesses vers les urnes
1868: Lors d’une révision de la constitution cantonale, des Zurichoises tentent en vain de faire inscrire le droit de vote et d’éligibilité pour les femmes.
1957: Le gouvernement suisse veut introduire l’obligation de servir pour les femmes dans la protection civile. Les organisations féminines s’y opposent en faisant valoir l’absence de droits politiques. Pour sauver son projet, le Conseil fédéral en élabore rapidement un autre prévoyant l’introduction du suffrage féminin.
1959: Le suffrage féminin est rejeté en votation populaire par 67% des citoyens.
1963: La Suisse devient membre du Conseil de l’Europe, mais ne peut pas encore signer la Convention européenne des droits de l’homme parce que les femmes sont privées de droits politiques. Le Conseil fédéral décide en 1969 de clarifier la situation par une nouvelle votation populaire.
1971: Le suffrage féminin est accepté en votation populaire par 66% des votants lors d’un scrutin auquel les femmes n’ont pas le droit de participer.
1990: Contraint par le Tribunal fédéral, le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures devient le dernier canton suisse à accorder le droit de vote aux femmes au niveau cantonal.
Selon vous, pourquoi les femmes suisses ont-elles dû attendre si longtemps pour avoir le droit de voter? Votre avis nous intéresse.
(Traduction de l’allemand: Olivier Hüther)
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