L’œil de Nestlé chez les altermondialistes d’Attac
La société de surveillance Securitas a infiltré les militants de l'association Attac pour le compte de la multinationale Nestlé en 2003. Une révélation de la télévision romande qui suscite des réactions scandalisées.
Attac a annoncé vendredi le dépôt de plaintes civile et pénale contre X. Ces actions visent la «taupe» dans cette affaire et toute personne de Securitas et de Nestlé qui aurait agit contrairement au droit.
Une multinationale qui fait espionner ses détracteurs par une société privée. C’est peut-être banal en Colombie, en Inde ou aux Etats-Unis. Ça l’est un peu moins en Suisse.
Et pourtant: pendant plus d’un an, la section vaudoise de l’association Attac a été infiltrée par un agent de Securitas pour le compte de Nestlé, a révélé jeudi le magazine «Temps présent» (1).
En marge du sommet du G8
L’affaire remonte à 2003, lorsque l’organisation du Sommet du G8 à Evian met en émoi tout le Bassin lémanique (région située entre Montreux et Genève).
Le déferlement annoncé des altermondialistes inquiète certaines grosses entreprises installées en terre vaudoise, qui mandatent alors Securitas pour surveiller réunions et rassemblements de divers groupes politiques.
Les forces de l’ordre cantonales ont d’ailleurs bénéficié des informations collectées par le leader suisse de la sécurité privée, confirme dans le reportage leur porte-parole, Jean-Christophe Sauterel.
Pour l’un des clients, cependant, l’espionnage se prolonge. Dans la ligne de mire de Nestlé se trouve Attac. L’association «pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens» prépare à cette époque un ouvrage collectif (2) consacré au géant mondial de l’agroalimentaire, ainsi qu’un forum à Vevey sur le même thème.
Au cœur des activités d’Attac
Securitas envoie alors l’une de ses employées au charbon. Travaillant sous le faux nom de Sara Meylan, cette agente pénètre au cœur des activités d’Attac. Elle participe à la rédaction du livre, se rend à des réunions au domicile privé de militants et accède à un certain nombre de données sensibles (e-mail, etc.). A l’été 2004, cette activiste modèle disparaît sans laisser de traces.
Face à la caméra de «Temps présent», les dirigeants de Securitas ne nient pas. Oui, l’entreprise possède un service de renseignement et d’enquête. Oui, une cellule spéciale a été montée pour le G8. Oui, certains agents sont amenés à opérer sous une fausse identité. Seuls le nom des clients et celui des entités ou personnes espionnées sont des sujets que l’entreprise refuse d’aborder.
Pour Securitas, ces pratiques sont tout à fait légales si l’agent s’abstient d’enregistrer, de filmer ou de photographier, explique à la TSR Reto Casutt, le secrétaire général de l’entreprise.
«Des mesures appropriées»
De son côté, Nestlé n’a pas souhaité s’exprimer dans l’émission. Par écrit, la multinaltionale se borne à confirmer avoir pris, à l’occasion du G8, des «mesures appropriées, en étroite collaboration avec Securitas (…) et la Police cantonale vaudoise». «Il va de soi que ces mesures reposent sur le plus strict respect de la loi», précise Nestlé.
Tel n’est pas l’avis de Jamil Soussi, interrogé par «Temps présent». Aux yeux de l’avocat genevois, les agissements de Securitas constituent bel et bien une infraction à la loi sur la protection des données. Les personnes concernées auraient obligatoirement dû être informées puisqu’il y a eu collecte de données personnelles.
L’affaire ne manquera pas de rebondir prochainement sur les terrains judiciaire et politique. «J’espère que notre enquête suscitera un débat sur la privatisation croissante des tâches de sécurité et les dérives que cela implique», a commenté jeudi le journaliste Jean-Philippe Ceppi.
swissinfo, Olivier Chavaz/Le Courrier
1 «Securitas, un privé qui vous surveille», de Jean-Philippe Ceppi et Mauro Losa (rediffusion le 16 juin à 10 h 50 et 15 h 20 sur TSR2)
2 «Attac contre l’empire Nestlé», préface de Susan George, 2004
Membre fondateur d’Attac et sénateur vert au Parlement suisse, Luc Recordon a déposé une interpellation parlementaire.
Le Vert demande au gouvernement s’il était au courant des faits et s’il pense que ce type d’espionnage privé repose sur des bases légales suffisantes.
«Il y a lieu pour le moins de les contrer et de les faire cesser, estime le sénateur. L’image de la Suisse en est sérieusement atteinte».
Luc Recordon se dit choqué par la méthode et juge «ridicule» le fait que Nestlé recoure à des «barbouzes» pour espionner une association telle qu’Attac.
Le plus grave à ses yeux est le «rôle trouble» joué par la police vaudoise, qui a admis avoir eu connaissance des procédés d’infiltration utilisés par Securitas.
Attac annonce un meeting le 24 juin prochain à Lausanne pour dénoncer ce qu’elle qualifie de «pratique choquante et scandaleuse» de la part de Securitas et Nestlé.
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