«L’artiste de la survie s’en va, et c’est bien ainsi»
Les commentaires de la presse helvétique sont à la mesure de la surprise causée par l’annonce de la démission de Sepp Blatter, généralement attribuée à la pression exercée par la justice américaine. Les éditorialistes s’accordent aussi pour dire que le futur patron de la FIFA aura fort à faire pour nettoyer les écuries d’Augias.
«Fin de partie pour Sepp Blatter», «Vaincu par le scandale», «Le roi quitte son trône», «Sepp Blatter se met hors-jeu», «Le FIFAgate sonne la fin de l’ère Blatter», «La justice américaine a fait chuter Sepp Blatter», «Le roi est mort, vive le roi!» «Dans le cul-de-sac», «Platini grand favori pour la succession»: la presse suisse s’en donne à cœur joie ce mercredi matin.
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La vie haute en couleur de Sepp Blatter
«C’est le choc, la surprise qu’on n’attendait plus, tant on s’était habitué à voir l’inamovible Sepp Blatter résister à tout», écrit «Le Temps». «Il n’avait pas su combattre à temps et avec assez de force les dérives nées du système lucratif qu’il avait créé.» En résumé, le quotidien estime qu’il s’agit d’«un départ trop tardif et d’un aveu d’échec.»
«Tout ça pour ça»
«La Liberté» se réfère au «New York Times» pour préciser que «la justice américaine viserait en effet le premier cercle de Sepp Blatter en la personne du Français Jérôme Valcke, son bras droit, l’homme de l’ombre (qui) aurait supervisé le versement de 10 millions de dollars à Jack Warner, ancien vice-président de la FIFA. L’homme a été inculpé comme huit autres responsables de la FIFA pour corruption par la justice américaine.»
«Tout ça pour ça», se désole «Le Matin», qui se dit soulagé. «Certes, le Haut-Valaisan n’avait pas (encore?) à répondre personnellement d’une accusation pénale. Mais il cristallisait toutes les tares d’un système qui s’était développé durant les 17 ans de son règne. (…) Pour qu’il cède, il aura fallu une élection un peu moins soviétique que d’habitude. Avec moins d’obstination et d’arrogance, on aurait pu s’éviter une semaine de crise aiguë, dont le football ne sort pas grandi.»
A l’étranger
ABC affirme que le FBI enquête directement sur Joseph Blatter, dans le cadre des investigations qui ont mené aux arrestations de la semaine passée: «Maintenant que tout le monde est en train d’essayer de sauver sa peau, il y a probablement une course à celui qui dénoncera Blatter en premier».
Pour «USA Today» au contraire, «le futur ex-patron de la FIFA coopérait déjà avec les services américains».
Pour le «Guardian, il aura fallu seulement quatre jours de réflexion, et certainement une âpre discussion à huis clos, pour donner raison aux conseils les plus sages».
Le «Times» cite Blatter quand il a déclaré chérir la FIFA plus que tout pour commenter: «C’était bien son problème, il chérissait l’institution qu’il avait construite plus que le football. Il avait transformé la FIFA en royaume à son image, servant surtout de facilitateur et de bénéficiaire du colossal cash-flow généré par le sport le plus populaire du monde.»
«Sacré Blatter, il nous aura fait rigoler jusqu’au bout: Que vont penser les 133 patrons de fédération qui ont voté pour lui? On en pleure pour eux», commente «Libération».
De même, «Kommersant» craint que ce «retrait soit une mauvaise nouvelle pour la Russie, qui était un de ses alliés les plus fidèles dans la lutte pour le fauteuil de président».
«Sovietski Sport» estime pourtant que «tant que rien de sérieux ne s’ébruitera contre la Russie, le retrait de Blatter ne devrait pas avoir de conséquence fatale pour notre championnat du monde en 2018.»
Pour «Die Zeit», «la démission du Roi-Soleil ne change rien. Les structures de la FIFA qu’il a laissé se transformer en libre-service restent les mêmes.»
Convaincu que «ce n’est pas une surprise», le «Blick» avance quelques hypothèses. «C’est pratiquement sûr que ce sont les Américains qui ont chassé Blatter. Ils agissent selon un scénario bien connu, qui avait déjà été appliqué aux banques suisses et qui consiste à faire monter la pression chaque jour un peu plus.» Le quotidien de boulevard suppose également que «les sponsors pourraient avoir contribué à la pression: des multinationales comme Coca-Cola, McDonald’s ou Adidas ne veulent rien avoir à faire avec la corruption». Enfin, le «Blick» estime que Blatter pourrait avoir voulu épargner sa famille.
«De la lâcheté, pas du courage»
«Ce n’est pas du courage mais de la lâcheté». La «Basler Zeitung» relève que la nouvelle vient 13 ans trop tard: «Depuis la faillite de la société de marketing sportif ISL en 2002, alors que Blatter avait manifestement connaissance de dessous de table, il a perdu toute crédibilité. (…) Le courage aurait consisté à renoncer à sa réélection vendredi, mais il était encore trop amoureux du pouvoir pour cela.» Le quotidien bâlois estime enfin que «les plus grands perdants sont les représentants des fédération d’Asie, d’Amérique du Sud et d’Afrique qui ont voté pour lui alors qu’elles couraient après un hypocrite.»
La «Berner Zeitung» n’est pas aussi catégorique, estimant que Blatter se montre «tacticien jusqu’au bout». «On ne peut pour l’heure que spéculer sur les raisons profondes qui l’ont poussé à la démission. Y a-t-il de nouveaux reproches de corruption encore inconnus du public? La justice américaine aurait-elle menacé de l’arrêter au cas où il se rendrait au Canada pour le championnat du monde de football féminin? On n’en sait encore rien, mais ce qui est clair, c’est que la pression est montée il y a une semaine avec l’arrestation de sept hauts-fonctionnaires de la FIFA à Zurich.»
«L’artiste de la survie s’en va, et c’est bien ainsi», lance la «Neue Zürcher Zeitung». «Il y a toujours eu des adversaires de l’intérieur et de l’extérieur qui ont déployé toutes les feintes pour l’éjecter de son trône. Mais Blatter a toujours été plus habile, ce qui est manifeste à voir le petit nombre actuel de papables. Cependant, il s’était mis à réagir trop tardivement et avec trop d’hésitation, alors qu’il devenait de plus en plus clair que beaucoup de membres exécutifs choisis par lui s’enrichissaient de manière malhonnête et que l’image de la FIFA s’aggravait fortement, en tout cas en Occident. Au final, Blatter était devenu un poids. Son successeur peut être accueilli, certes, comme porteur d’espoir, mais sa tâche sera herculéenne: la fédération ne pourra pas être nettoyée dans ses structures actuelles.»
«Le Temps» estime «qu’à son niveau, la Suisse peut contribuer à cette œuvre de purification. Jusqu’à aujourd’hui, elle a tardé à enquêter avec sérieux et fermeté sur les dérives corruptives du football international. Cela aussi doit changer.»
«Quid de la succession?»
Si surprenante qu’elle soit, la «Berner Zeitung» juge que «cette démission vient au bon moment. A partir de maintenant et jusqu’à son départ définitif, Joseph Blatter peut travailler à rendre la fédération plus transparente. Maintenant, les candidats potentiels qui se dégonflaient à l’idée d’un duel électoral contre le puissant Blatter peuvent entrer dans la course relativement sans risques. On cherche des personnalités dignes de confiance venant de préférence d’une des grandes nations de football. En clair: le cercle ne devrait pas être très large.»
«Quid de la succession du Haut-Valaisan?», s’interroge «La Liberté». «La FIFA devrait avoir un nouveau patron d’ici à mars 2016, nommé lors d’un congrès qui devrait se tenir entre décembre 2015 et mars 2016. Maintenant que l’ombre tutélaire de Blatter n’est plus là, son ancien allié et désormais rival Michel Platini, président de l’UEFA, devrait se profiler. Le prince jordanien Ali a aussi annoncé qu’il serait à nouveau candidat.»
«Il y a encore le président de la fédération hollandaise Michael van Praag et l’ancien footballeur portugais Luis Figo», ajoute la «Sankt-Galler Tagblatt», laquelle mise sur Platini. «La semaine dernière, le Français avait fait mauvaise figure en proférant des menaces précipitées. Jouant le rôle du challenger direct, il était le grand perdant du congrès à Zurich puisque Blatter a bénéficié d’environ deux tiers des voix. Mais Platini savait qu’il n’avait aucune chance dans le système électoral actuel.» Platini ou non, ce qui est sûr, conclut le quotidien saint-gallois, «c’est que le successeur sera un candidat de l’UEFA».
Chronologie
1981: Joseph Blatter devient secrétaire général de la FIFA (dès 1990 il a le statut de directeur exécutif).
1998: il est élu président, succédant au Brésilien João Havelange.
2000: après l’attribution du championnat du monde en 2006 à l’Allemagne, le comité exécutif introduit le principe de rotation et l’Afrique du Sud reçoit en 2004 le championnat de 2010.
2002: suite à la faillite de la société de marketing sportif ISL, il s’avère que João Havelange et son gendre Ricardo Teixeira ont touché des dessous de table à hauteur de plusieurs millions. Les reproches se portent aussi sur Blatter mais il n’y a pas de preuve contre lui. La même année, il est réélu et il prolonge la durée du mandat à cinq ans.
2007: réélu sans aucun opposant.
2010: l’attribution du championnat du monde à la Russie (2018) et au Qatar (2022) provoque des accusations de corruption contre le comité exécutif (Blatter n’a pas voté pour le Qatar mais pour les Etats-Unis).
2011: deux jours avant l’élection, le challenger de Blatter, Mohammed Bin Hammam, retire sa candidature, reconnu coupable par la commission d’éthique de la FIFA d’avoir acheté les voix de déléguées caribéens. Blatter est à nouveau réélu sans opposant. Il promet que ce sera son dernier mandat
2014: le congrès de la FIFA à São Paulo annonce que Blatter briguera un 5e mandat.
29 mai 2015: malgré l’arrestation de 7 hauts-fonctionnaires de la FIFA, Blatter gagne l’élection contre le prince Ali bin Al-Hussein avec 133 contre 73 (au 2e tour).
2 juin: Joseph Blatter annonce sa démission à Zurich. Il reste en place jusqu’aux prochaines élections en hiver 2015/2016.
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