L’avantage des classes séparées pour les requérants d’asile
A Zurich, un projet pilote teste une procédure accélérée pour les requérants d’asile, soit en moins de 140 jours. Mais qu’en est-il de l’enseignement pour les enfants de ces familles exilées? Reportage au centre d’asile de Juch.
«Bär, Bärrrrr.» Trois enfants assis les jambes croisées à même le sol de la classe, regardent l’image d’un ours avec leur professeur. Ils apprennent à dire le mot qui désigne l’animal en allemand, leur langue maternelle étant l’arabe.
Ces enfants ont rejoint pour cinq mois environ les classes spéciales mises sur pied au centre d’asile Juch, dans une zone industrielle à la périphérie de ZurichLien externe.
Les élèves dépendent d’une procédure d’asile accélérée lancée à Zurich en janvier 2014. L’objectif est de traiter les demandes simples dans les 140 jours.
Un galop d’essai pour réduire le temps d’application
Depuis janvier, un projet pilote du gouvernement teste la possibilité de réduire le temps de traitement des demandes d’asile à 140 jours.
Pour faciliter ce processus, les demandeurs d’asile reçoivent des conseils juridiques gratuits pour les aider à préparer leur dossier et obtenir les preuves et les documents requis.
Début juin, le gouvernement a donné une évaluation des progrès réalisés jusqu’ici. Plus de cas que prévu ont été traités: 669 cas ont entamé cette procédure plus rapide et les décisions ont été prises pour 319 d’entre eux. L’asile a été accordé dans 44 cas.
En 2013, les autorités suisses ont reçu 21’465 demandes, selon l’Office fédéral des migrations.
Le projet pilote doit se poursuivre jusqu’en septembre 2015. S’il est jugé positivement, il pourrait être utilisé par le gouvernement pour réduire le temps de traitement des dossiers à l’échelle nationale.
L’objectif pour les enfants de ce centre est d’essayer de poursuivre leur éducation, mais aussi de s’habituer au fonctionnement d’une classe en Suisse, si la demande de leurs parents est acceptée.
«Ils n’ont pas tous été à l’école avant, ils ne savent pas tous écrire et certains ont déjà six ou sept ans. Ils doivent s’y mettre lentement» explique à swissinfo Gynna Zuberbühler, l’une des deux enseignantes du centre, en feuilletant un livre d’images animalières avec le groupe des plus jeune élèves.
Si les enfants des requérants d’asile sont placés dans une classe à part plutôt que dans les écoles locales, c’est précisément à cause du court délai d’attente avant la décision des autorités, au regard d’une année scolaire
Cela dit, les classes mises sur pied dans un centre de requérants d’asile existent depuis les années 1990. Mais elles restent relativement rares.
Selon la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfantLien externe, ils doivent avoir accès à l’éducation, quelle que soit la formule proposée.
«Le cursus scolaire des enfants peut être perturbé, s’ils ont été jetés sur les routes de l’exil pendant un certain temps, s’ils ont vécu dans un pays en guerre, comme la Syrie en ce moment», rappelle Hélène Soupios-David, chef de projet au Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (CERELien externe).
Une classe qui leur est propre
Selon Markus Truniger, chef de la section des sciences interculturelles de l’éducation pour les écoles primaires du canton de Zurich, les enfants reçoivent le même enseignement que tout autre enfant ne parlant pas allemand dans une école locale: «Ils ont 28 heures de cours par semaine, comme tous les autres enfants.»
Markus Zuberbühler assure que les enfants sont heureux de venir dans leur école de fortune: «Certains apprécient la structure régulière qu’elle offre. D’autres aiment les sorties à la campagne organisée par l’école. Et la classe est vraiment leur espace, non celui de leurs parents.»
«Il n’y a pas de routine», ajoute Markus Zuberbühler, en expliquant que chaque jour est différent en raison des vastes différences culturelles et de la composition de la classe qui change fréquemment. Les élèves sont toujours divisés en deux groupes selon l’âge. La classe a un horaire fixe, avec un ensemble d’activités pour chaque jour, comme une visite à la bibliothèque, le vendredi matin.
Classes séparées
La question de savoir où prodiguer l’enseignement pour des enfants qui ne peuvent être en Suisse que pour un court laps de temps, provoquent un certain nombre de divergence.
«En Suisse, il y a un débat pour savoir si ces enfants doivent être intégrés à l’école le plus tôt possible. Beaucoup de spécialistes estiment que c’est la meilleure solution. Mais le projet pilote suit un modèle différent», relève Claudio Bolzman, professeur de sociologie à l’Université de Genève.
Ce spécialiste souligne que ne pas envoyer ces enfants dans les écoles locales est «en contradiction avec la politique générale de l’intégration que les autorités veulent développer pour les enfants de migrants, en particulier s’ils peuvent rester ici pour longtemps.»
Mais l’utilisation de classes séparées pour acclimater les enfants peut être bénéfique et même recommandé dans un premier temps.
«Si vous avez un enfant qui n’a jamais ou rarement été à l’école, vous ne pouvez pas simplement le jeter dans le système scolaire normal où il ne comprendra pas un traître mot», souligne Hélène Soupios-David.
Préparer les enseignants
Déménager dans un nouveau pays, en laissant derrière soi maison et amis, s’habituer à un nouveau pays peut être le moindre des problèmes de ces jeunes. «Les enfants de demandeurs d’asile ont souvent subi un traumatisme, soit à la maison ou sur la route de l’exil», souligne Hélène Soupios-David.
Le centre d’asile de Juch a des psychologues pour aborder ces questions en dehors de la classe. Beaucoup de réfugiés viennent de pays comme l’Érythrée ou la Somalie. Ils ont voyagé pendant des semaines dans des conditions dangereuses, dormi dans des chambres surpeuplées. Ils ont lutté pour se nourrir. Ils sont marqués par la pauvreté et les impacts de la guerre civile et de la répression.
«Les enseignants ne sont pas des thérapeutes. Ils ne peuvent être à la fois enseignant et médecin. Ce n’est pas leur travail. Leur tâche est d’offrir un environnement adapté aux enfants et leur donner l’occasion d’apprendre », précise Markus Truniger.
L’objectif de la classe est le plus souvent l’enseignement de l’allemand. Les enseignants ont les compétences requises pour enseigner l’allemand à des locuteurs non germanophones.
«Une partie du cours consiste à comprendre les nombreuses différences entre les langues des élèves, comment respecter et reconnaître les questions qui concernent l’apprentissage interculturel et la façon de développer l’autonomie des élèves», déclare Jörg Keller, chef de l’unité d’allemand comme langue étrangère à l’Université de Zurich des sciences appliquées.
Comme pour les cours similaires dans d’autres institutions, aucun accent particulier n’est mis sur les demandeurs d’asile.
Markus Truniger reconnait qu’il serait avantageux pour les enseignants d’avoir un aperçu des problèmes psychologiques des enfants demandeurs d’asile afin de mieux travailler avec eux.
«Pendant la guerre au Kosovo, nous avons eu certains cours qui allaient dans ce sens. Mais aujourd’hui, il n’y en a pas.»
Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand
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