L’islam fait son entrée à l’université
L’Université de Fribourg accueillera bientôt le «Centre suisse pour l’islam et la société», vœu du Parlement helvétique. Face aux critiques de certains politiciens, son recteur Guido Vergauwen affirme que l’intégration de l’islam à l’université est le meilleur moyen de lutter contre le fondamentalisme.
A Fribourg, la création du «Centre suisse pour l’islam et la société» ne fait pas l’unanimité. Des politiciens ont ainsi dénoncé le mauvais usage de fonds publics et craignent la perte du caractère chrétien de l’Université des catholiques suisses. Le recteur Guido Vergauwen répond à ces préoccupations.
Apic: Le cursus prévu est-il une «formation pour les imams»?
Guido Vergauwen: L’expression «formation des imams» est réductrice car l’offre s’adresse à un vaste public. Nous pensons aux personnes qui ont des charges dans la communauté musulmane. Ce sont bien sûr des imams, mais aussi des travailleurs sociaux, des enseignants ou encore des aumôniers d’hôpitaux. Aux imams qui veulent améliorer leurs compétences, nous proposerons par exemple d’étudier le droit suisse des religions.
En principe, cette formation s’adresse à tous, y compris aux Suisses désireux d’améliorer leur connaissance de l’islam, par exemple pour savoir comment accompagner des personnes de religion musulmane. La formation s’adresse naturellement aux étudiants musulmans de deuxième ou troisième génération qui souhaitent approfondir leur foi, ou encore aux théologiens qui veulent étudier l’islam sur la base d’enseignements de «première main». Elle est bien évidemment ouverte sans distinction aux hommes et aux femmes.
Né en Flandre en 1944, Guido Vergauwen est depuis 1985 professeur ordinaire de théologie fondamentale et directeur de l’Institut d’études oecuméniques de l’Université de Fribourg.
Vice-recteur depuis 2003, le dominicain en est devenu le recteur depuis 2007. Il accomplit actuellement son 2e mandat à la tête de la haute école fribourgeoise.
Quels sont les types de contenu qui seront enseignés?
Il s’agit naturellement de la connaissance du Coran. Mais nous devons encore clarifier de quelle manière cela peut se faire sans connaissance de la langue arabe. Toute une palette de thèmes interdisciplinaires complèteront cette formation, comme le droit des religions, la pédagogie, la sociologie, les problèmes d’intégration, les questions des musulmans de 2e ou 3e génération. Le tout construit de manière modulaire. En outre, des manifestations autour du dialogue interreligieux pourront être organisées en lien avec la Faculté de théologie dans une perspective d’éthique sociale et de convivialité au quotidien.
Il s’agit donc d’une formation pour toutes les personnes en contact avec l’islam. Quelles seront les conditions pour y accéder?
Il y aura trois niveaux de formation: un certificat, un diplôme et un Master of advanced studies (MAS). Les deux premiers sont accessibles à tous. Pour le MAS, il faut avoir accompli un master universitaire. Nous espérons pouvoir introduire les trois niveaux par étapes.
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«Dans notre tradition de tolérance et de transparence»
Comment les musulmans ont-ils été intégrés dans ce projet d’enseignement ?
Dans le groupe de travail convoqué par le Secrétariat d’Etat à la formation de la Confédération, des imams et des croyants musulmans étaient présents. On a recherché des personnes représentatives qui ont la charge de communautés musulmanes. Il s’agit de personnes provenant de l’Office fédéral des migrations et du milieu académique. En revanche, les organisations islamiques officielles n’étaient pas représentées dans le groupe de travail.
Après la journée du 13 mars (voir encadré), au cours de laquelle le concept du centre sera présenté, nous rencontrerons les représentants des organisations islamiques. Je suppose qu’elles demanderont assez rapidement un droit de co-décision s’il s’agit d’amener à Fribourg des enseignants islamiques. Elles voudront certainement des personnes qu’elles considèrent comme authentiques et crédibles. Ce sont deux mots qui, pour les organisations islamiques comme pour les membres musulmans du groupe de travail, ont une forte signification.
Auront-elles dès lors un droit de co-décision?
Non. Choisir les enseignants reste le droit et le privilège de l’Université. Mais nous pouvons consulter les musulmans et effectuer soigneusement le choix afin de garantir précisément l’authenticité et la crédibilité des enseignants.
La crainte existe dans la population que des «prédicateurs de la haine» puissent ainsi avoir accès aux universités suisses. Comment y répondez-vous?
Le meilleur moyen de lutter contre le fondamentalisme est de donner à la théologie un caractère plus académique. Le christianisme l’a appris au XIIIe siècle. L’islam devrait aussi probablement faire cette expérience. Les «prédicateurs de la haine» ne se laissent pas intégrer dans le monde académique. Cela vaut aussi pour les fondamentalistes catholiques qui ne fréquentent pas non plus l’université. L’intégration académique d’une religion et la rationalisation des connaissances constituent la meilleure défense contre le fondamentalisme.
Comment le projet est-il financé?
Le projet répond à une intervention parlementaire de 2009. La Confédération veut donc ce centre. C’est pourquoi nous avons obtenu un financement fédéral à court terme. Ensuite, dans un délai de 6 à 10 ans, cette formation continue devrait être intégrée à l’offre de la Faculté de théologie. Nous voulons en outre collaborer avec d’autres institutions suisses compétentes dans ce domaine et nous espérons également qu’elles contribuent au financement.
Le groupe de travail nommé par le Secrétariat d’Etat à la formation présentera son concept de «Centre suisse pour l’islam et la société» lors d’une journée d’études le 13 mars 2014 à l’Université de Fribourg. Cette conférence nationale se tiendra de 9h à 18h à l’aula Joseph Deiss (F 130) à l’Université de Pérolles II.
Elle accueillera notamment comme invités les professeurs Emre Öktem d’Istanbul, Ali Caksu, d’Istanbul / Sarajevo et le Père Claudio Monge, prieur du couvent des dominicains d’Istanbul.
Des politiciens ont émis des critiques quant au financement de la formation des imams avec l’argent des impôts.
Avec les précisions que je viens d’apporter, c’est précisément le cas. Mais cela vaut de même pour les théologiens catholiques ou réformés. Aussi longtemps qu’on a des facultés de théologie au sein des universités d’Etat, l’argent des impôts ira dans ce type de formation. Mais en comparaison avec les grands projets dans les facultés des sciences, cela représente peu de chose.
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent de mettre en péril le caractère chrétien de l’Université de Fribourg?
L’Université de Fribourg n’est pas une université catholique, mais «l’université des catholiques suisses». Le terme catholique ne désigne pas seulement une confession, il signifie aussi «universel». Nous cherchons à développer la tradition d’une Faculté de théologie ouverte aux défis de la société et du temps, par exemple par l’œcuménisme et le dialogue interreligieux. Cela appartient à cette catholicité. Si catholique signifie uniquement regarder à l’intérieur de sa propre tradition, alors nous ne sommes plus «catholiques» au sens propre du terme. C’est ma conviction en tant que théologien catholique.
Pourquoi l’Université de Fribourg a-t-elle été choisie comme lieu de cette formation?
Le plurilinguisme a certainement été un argument. L’enseignement doit être donné en allemand, en français et en italien. L’Université de Fribourg dispose également de compétences en droit des religions, en travail social, en politique social, en pédagogie et naturellement en théologie. Les membres musulmans du groupe de travail voulaient la théologie et pas seulement la science des religions. Un discours totalement distancé sur la religion est quelque chose d’absolument étranger pour un musulman. Ils veulent être reconnus comme des partenaires à égalité. Je pense que nous devons prendre cela au sérieux.
(Traduction de l’allemand: Maurice Page)
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