La «coutume nuisible» des mariages forcés
Cent dix-neuf cas de mariages forcés impliquant des mineures ont été recensés en Suisse depuis le début de l’année. swissinfo.ch se penche sur ce phénomène qui fait de plus en plus parler de lui au sein de la Confédération.
Il est difficile de dire si le phénomène des mariages forcés a pris de l’ampleur en Suisse ces dernières années ou s’il y a simplement une plus grande conscience du problème au sein de la population, affirme Anu Sivaganesan, responsable du Centre de compétence en matière de lutte contre le mariage forcéLien externe.
Lorsqu’il a ouvert ses portes en 2005, le centre spécialisé devait faire face à «deux cas par mois». Au mois de juin de cette année, juste avant le début des vacances estivales, Anu Sivaganesan a reçu près de 9 dénonciations par semaine. Lorsque des mariages ont lieu à l’étranger, c’est en effet souvent durant la période estivale. Les personnes concernées cherchent de l’aide avant leur départ ou à leur retour, explique Anu Sivaganesan.
Un retour à la tradition
«L’étude menée sur cette question par le gouvernement suisse en 2012 montre que la plupart des personnes touchées par les mariages forcés sont originaires des Balkans, de Turquie et du Sri Lanka. Il y a malheureusement un lien avec la migration», affirme Anu Sivaganesan. Et d’ajouter: «Tous les pays ont leur propre coutume par rapport au mariage, mais les mariages forcés sont clairement une coutume nuisible et une violation des droits de l’homme».
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Une radiographie des mariages forcés en Suisse
Les statistiques officielles montrent également une tendance vers un «retour à la tradition» parmi la deuxième génération de migrants en Suisse. Ces personnes sont moins enclines à épouser une personne d’une nationalité différente de la leur que leurs parents. Ce phénomène marque un retour en arrière en ce qui concerne le libre choix du partenaire.
Ces dernières années, le problème a fait l’objet d’une attention toute particulière en Suisse, ce qui a incité de nombreuses victimes à demander de l’aide. «En 2007, le gouvernement suisse déclarait encore qu’il était difficile d’agir légalement à l’encontre des auteurs de mariages forcés. Mais en 2013, de nouvelles normes légales contre les mariages forcés ont été mises sur pied. Nous observons également une plus grande prise de conscience parmi les professionnels, qui peuvent apporter leur aide en cas de besoin».
Qui est touché?
Hommes et femmes
Pour chaque femme mariée de force, il y a également un homme, souligne Anu Sivaganesan. «Il s’agit toujours de mariage hétérosexuel… les hommes sont donc aussi des victimes.»
Victimes mineures
Sur les 119 cas de jeunes filles mineures recensées par le centre cette année, 26 ont moins de 16 ans. La plupart d’entre elles viennent d’Irak, de Syrie, d’Erythrée, d’Afghanistan et de Somalie. Ce nombre est cinq fois plus important que le total des victimes recensées entre 2005 et 2015.
Toutes les religions
«Il n’y a pas une religion particulière sur laquelle nous puissions nous focaliser», affirme Anu Sivaganesan. Les mariages forcés sont le résultat d’un mélange de nombreux facteurs complexes.
La situation juridique
Parmi les mesures légales introduites en 2013, la peine maximale de prison pour les personnes reconnues coupables d’avoir contraint autrui à un mariage forcée a été relevée à cinq ans. Une sentence qui vaut indépendamment du fait que le mariage a été convenu en Suisse ou à l’étranger.
En 2014 et 2015, deux cas de mariages forcés ont été instruits devant les tribunaux.
En Suisse, l’âge minimum pour le mariage est fixé à 18 ans. Lorsqu’une jeune fille est mariée à l’étranger à 15 ans et revient en Suisse à 16 ou 17 ans, le tribunal lui demandera si elle veut poursuivre ou non son mariage. Si elle vient en Suisse après ses 18 ans mais qu’elle a été mariée en étant mineure, ce cas ne représente plus un problème au regard du droit suisse.
La Suisse peut-elle en faire davantage?
Anu Sivaganesan estime que la Grande-Bretagne est un bon exemple à suivre en ce qui concerne la prévention des mariages forcés. Chaque personne impliquée dans un mariage forcé y est suivie individuellement, parfois même à l’extérieur des frontières nationales. «Si un mariage a lieu au Pakistan, l’organisme gouvernemental pour les mariages forcés interviendra si nécessaire».
La Suisse doit collaborer plus étroitement avec d’autres pays, estime Anu Sivaganesan. En tant que phénomène transnational, les mariages forcés auraient besoin d’un organisme doté de compétences à ce niveau, conclut-elle.
(Traduction de l’anglais: Samuel Jaberg)
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