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La «dalaï-mania» est à double tranchant

Le dalaï-lama a quitté sa capitale Lhassa il y a déjà 50 ans. swissinfo.ch

Les apparitions du chef spirituel et politique tibétain suscitent de fortes allergies chez les dirigeants chinois et une grande fascination en Occident. Mais la médiatisation qui le projette en plein «star system» n'est pas du goût de tous.

«Beaucoup de Tibétains nés en Suisse ne connaissent rien du Tibet, ils sont aveugles. Le dalaï-lama? Je n’ai aucun intérêt pour lui, mais il est intelligent», déclare cette Chinoise de Suisse.

«C’est surtout un bon acteur, renchérit cette autre. Mes amis sont fâchés et ont même parlé d’aller manifester à Lausanne. Nous ne comprenons pas cette idéalisation d’un personnage si peu démocratique», ajoute-t-elle.

Tout en admettant que «c’est de la propagande politique», les deux jeunes femmes expliquent qu’elles ont appris à l’école que «le peuple tibétain a toujours été pauvre et à la botte du riche haut-clergé bouddhiste».

Elles estiment que «ce système qui mélange politique et religion est dépassé» et, surtout, que «le dalaï-lama ne cherche qu’à retrouver son royaume».

La première ajoute que «la Chine a beaucoup investi pour développer le Tibet. Et la seconde que «les Chinois ont d’autres priorités que la question tibétaine: se développer eux-mêmes».

Nationalisme et incompréhension

«Ces commentaires sont significatifs, car les Chinois sont très nationalistes et incapables de comprendre cet engouement occidental», explique un sinologue genevois qui (comme nos interlocutrices chinoises) souhaite rester anonyme.

«La question Chine-Tibet est aussi vaste que celle de l’Alsace-Lorraine au 20e siècle et repose la question de l’Etat-nation, ajoute cet expert. Par ailleurs, la fascination de l’Occident pour le bouddhisme tibétain (plutôt que les autres) me laisse particulièrement songeur: je ne me l’explique que par l’appel d’air créé par notre propre vide ambiant.»

Pour Jean-Marc Falcombello, les attentes créées par la crise spirituelle de l’Occident se nourrissent de l’image parfaite du dalaï-lama: «Son image – et non pas lui-même – est pratique car elle répond aux attentes, si bien qu’il devient une sorte d’acteur d’un film dont il n’aurait pas écrit le scénario.» Ce reporter, connaisseur de l’Asie et bouddhiste, se refuse à préciser si le dalaï-lama est une victime consentante ou l’organisateur du battage médiatique.

Au-delà de la réalité, cette image crée une confusion des genres. «L’idée que la puissance de l’image du dalaï-lama est un soutien puissant à la cause tibétaine ne tient pas debout, car si c’était le cas, la situation du Tibet aurait avancé vers une solution, ce qui n’est manifestement pas le cas», regrette-t-il.

En cinquante ans, aucun Etat occidental n’a en effet reconnu le gouvernement tibétain en exil, dirigé par le dalaï-lama. Lors de ses 21 visites en Suisse, le Prix Nobel de la paix n’a jamais été reçu officiellement par la Confédération. Pour sa 22e visite, il devra se contenter de la présidente de la Chambre basse, ce qui a suscité la controverse des nombreux défenseurs de la cause tibétaine.

Confusion des genres

Claude Levenson, journaliste et auteure de plusieurs livres sur ces questions, déplore «l’organisation un peu trop professionnelle» de ces deux jours d’enseignement qui ressemble plus au concert d’une pop star que d’un maître spirituel.

«Mais les récentes émeutes dans l’ouest de la Chine ont montré que les Ouïgours dérangent moins Pékin que les Tibétains, poursuit-elle. Résultat, ces derniers bénéficient d’une oreille plus attentive dans l’opinion et certains milieux politiques qui, cependant, mettent en balance leur sort politique et la réalité des rapports de forces politiques et économiques.»

Claude Levenson relève qu’«il y a des jeunes qui ressentent beaucoup de frustration et remettent en question l’approche pacifiste du dalaï-lama mais qui ne remettent pas en question la validité du comportement de celui-ci, c’est toute la contradiction.»

Personne ne peut nier en effet que la médiatisation du maître spirituel empêche la souffrance du peuple tibétain de tomber dans l’oubli. Mais, paradoxalement, la confusion des genres entre religieux et politique facilite la position de Pékin, selon Jean-Marc Falcombello. Lequel relève par ailleurs cette «ironie» qui impose au parti communiste chinois d’avoir à se mêler des affaires religieuses tibétaines.

Ce qui compte, ce sont les gens

«Quant à la population chinoise, elle sait fort bien que les Tibétains ne sont pas Chinois mais elle est tout aussi fascinée que les Occidentaux par cette ‘terre pure’ très prisée par les touristes chinois.»

Pour S.H., dissident chinois à Hongkong, la question n’est pas l’indépendance ou non du Tibet. «Ce qui est important, ce sont les gens. Les Hans (majorité chinoise) et les Tibétains sont voisins, ils doivent trouver une solution s’ils ne veulent pas payer un prix trop sanglant.»

Pour ce syndicaliste, l’essentiel est de faire progresser les droits en Chine comme au Tibet. «En cela, je respecte le dalaï-lama, parce qu’il place les êtres humains au centre de sa vision spirituelle.»

Le plus urgent est que les Tibétains préservent leur culture et leur religion sans attendre une indépendance politique. «Quand quelqu’un saigne, il faut arrêter immédiatement l’hémorragie, même avec de faibles moyens», conclut le dissident.

A entendre certains sinologues, des historiens chinois commencent à reconnaître que l’idée de grande nation chinoise n’existait pas avant 1911 et avant l’arrivée des communistes. «C’est un grand pas en avant et ce n’est peut-être que le premier», souhaite Jean-Marc Falcombello.

Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch

Le dalaï-lama est à Lausanne les 4 et 5 août pour dispenser des cours et une conférence publique devant plus de 12’000 personnes.

Il doit rencontrer le président du gouvernement vaudois Pascal Broulis et d’autres personnalités.

Le 6 août, il rencontrera la présidente de la Chambre basse, Chiara Simoneschi-Cortesi, le gouvernement fédéral ayant renoncé à le recevoir officiellement.

Il s’exprimera ensuite lors d’une conférence réunissant à Genève plus de 100 intellectuels chinois et tibétains.

1935: naissance dans une famille paysanne de l’Himalaya.

1937: reconnu 14e dalaï-lama, soit la réincarnation d’Avalokitesvara (dieu bouddhiste de la compassion). Il est le chef spirituel du bouddhisme tibétain et le chef temporel du Tibet.

1959: fuit à Dharamsala (Inde) la répression chinoise après l’invasion de 1950 et y crée le Gouvernement tibétain en exil qu’il dirige.

1989: prix Nobel de la Paix.

Le premier moine bouddhiste (d’origine allemande) et arrivé à Lausanne en 1910.

Avec environ 4000 personnes, la suisse abrite la 1ère communauté tibétaine en Europe et la 3e dans le monde.

En 2000, la Suisse recensait 0,3% de bouddhistes (52% de Suisses et 63% de femmes).

L’Union suisse des bouddhistes regroupe une centaine d’associations.

La Suisse soutient le dialogue entre les autorités chinoises et les chefs religieux tibétains, y compris le dalaï-lama.

La Suisse reconnaît le Tibet en tant que région autonome de Chine, transformée en province chinoise en 1951. Mais elle ne reconnaît pas le gouvernement tibétain en exil basé à Dharamsala (Inde) et n’a pas de relations officielles.

En 1991, la Suisse a été le 1er pays occidental à institutionnaliser le dialogue sur les droits de l’homme avec la Chine. La 10e ronde de discussions s’est tenue à Pékin en juillet 2008 et la 11e doit avoir lieu cet été.

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