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La lutte suisse, monument fabriqué de l’identité nationale

deux lutteurs dans la sciure
Les lutteurs Joerg Abderhalden (bas) et Kilian Wenger lors de la Fête fédérale de lutte suisse de 2010 à Frauenfeld. Keystone

Quelque 400'000 personnes sont attendues entre vendredi et dimanche à Pratteln (canton de Bâle-Campagne), pour la Fête fédérale de lutte. Cette tradition apparemment ancestrale n'a pourtant été «fabriquée» qu'au 19e siècle, rappelle l'historien Gil Mayencourt.

La Fête fédérale de lutte, organisée tous les trois ans, est l’une des principales fêtes populaires de Suisse. L’une de ses grandes particularités est qu’il n’y a ni médaille, ni coupe, ni prix en argent. Cette tradition «remonte aux premières fêtes fédérales à la fin du 19e siècle», a rappelé l’historien Gil Mayencourt vendredi dans la Matinale de la RTS.

La remise uniquement de prix en nature, comme un taureau pour le vainqueur, était destinée à préserver la charge folklorique traditionnelle des jeux nationaux. «C’est né à un moment où le tourisme se développe, et notamment le tourisme alpin. Le folklore devient alors un produit d’appel économique comme un autre», a expliqué le docteur en histoire de l’Université de Lausanne.

>> L’interview de Gil Mayencourt à la RTS:

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Des sports nationaux littéralement fabriqués

Gil Mayencourt travaille sur un projet du Fonds national suisse (FNS) consacré à la fabrique des sports nationaux (comment sont apparus les sports nationaux comme la gymnastique, la lutte ou le football au 19e siècle). Le chercheur parle de l’invention d’une tradition des sports nationaux. «Il y a quelque chose de volontairement provocateur», reconnaît-il. «Mais au-delà, je crois que c’est vraiment pertinent de parler d’invention.»

«On a des formes de lutte à la culotte, qu’on va appeler ensuite lutte suisse, au Moyen-Age et au-delà dans ce qu’on appelle l’ancienne Confédération helvétique», relève l’historien. Mais la réelle valorisation des jeux nationaux comme la lutte, le lancer de pierre ou le hornuss, ne date que du 19e siècle: «C’est là qu’on va avoir l’institutionnalisation de ces pratiques sous la forme de fêtes fédérales et surtout leur invention en tant que sport national».

Le besoin d’un récit national pour la Suisse de 1848

Il faut se rappeler que l’Etat fédéral est né en 1848, souligne Gil Mayencourt. «Et c’est à ce moment-là que la Suisse va devenir une nation, qu’il va falloir mettre ensemble des cantons, des identités culturelles, politiques, très différentes, plusieurs langues et le fossé ville-campagne».

Pour créer du lien, on va donc écrire un récit national. «On va l’inventer en grande partie et ces symboles que sont les jeux nationaux font partie intégrante de l’écriture de ce récit».

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La lutte, sport national suisse

Ce contenu a été publié sur Texte : extrait du poème «Les Alpes» d’Albrecht von Haller, 1729. Photos : Fête fédérale de lutte et de jeux alpestres, Aarau, les 25 et 26 août 2007, Thomas Kern.

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Un sport encore excessivement masculin

Il n’y a aucune femme en compétition à Pratteln, pour une raison simple: elles sont interdites de compétition. «Il y a une certaine mixité dans les clubs à l’échelle locale mais les faîtières sont séparées: on a une association fédérale masculine et une association fédérale féminine fondée en 1992», rappelle Gil Mayencourt.

Les hommes brandissent souvent l’argument d’un monde traditionnel masculin, supposément ancestral, qui risque de s’effondrer. «Mais on l’a vu», souligne l’historien, «il s’agit de traditions relativement récentes, fabriquées, donc l’argument ne tient pas».

La différence de popularité entre la Suisse alémanique et la Suisse romande, elle, est liée au fait que les principaux berceaux historiques de la lutte à la culotte en Suisse sont presque exclusivement alémaniques. Il y a ainsi 2000 lutteurs dans la fédération romande, mais 20’000 dans la plus grande sous-association alémanique, celle du nord-est.

Une gigantesque infrastructure temporaire

La plus grande arène sportive de Suisse, montée dans le canton de Bâle-Campagne, permet d’accueillir 50’900 spectateurs. Sur 15’000 m2, soit deux terrains de football et demi, sept surfaces rondes recouvertes de 245 m3 de sciure attendent 280 des meilleurs lutteurs des quatre coins de la Suisse. Compte-tenu de l’éloignement entre lutteurs et public, des écrans géants sont disposés sur le site.

Les compétitions ont commencé vendredi en fin de matinée. La journée décisive pour l’attribution du titre de roi des lutteurs est agendée au dimanche, de 7h45 à 17h00. Le vainqueur gagnera notamment un taureau. D’autres attractions et festivités en tous genres sont également organisées sur le site.

L’événement est retransmis en direct à la télévision alémanique SRF, et ponctuellement sur les chaînes des autres régions linguistiques de la SSR, la maison-mère de SWI swissinfo.ch.

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