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La société du spectacle fait halte à la fête fédérale de lutte

Le Bernois Matthias Sempach est le noveau roi de la lutte suisse. Reuters

Colosse au nom prédestiné, Matthias Sempach, nouveau roi de la lutte suisse, s’affiche en Une de pratiquement tous les quotidiens du pays ce lundi. Mais les éditorialistes se montrent également critiques face à ce méga-événement censé célébrer les valeurs traditionnelles helvétiques.

Le Bernois Matthias Sempach, 27 ans, est le nouveau roi de la lutte suisse. Il a été couronné dimanche après-midi lors des finales de la Fête fédérale de lutte et des jeux alpestres à Berthoud, devant son public. L’Emmentalois a battu un autre Bernois, le Seelandais Christian Stucki. Cet agriculteur et boucher de formation succède au tenant du titre Kilian Wenger, Bernois lui aussi. Ovationné par les 52’013 spectateurs présents dans l’arène emmentaloise, «Matthias Sempach a connu un week-end parfait en remportant ses huit combats», relève La Liberté de Fribourg.

Tout comme ses prédécesseurs Jörg Abderhalden et Kilian Wenger, il s’est vu remettre un taureau d’une valeur de 20’000 francs, baptisé «Fors vo dr Lueg». Mais surtout, il va désormais pouvoir capitaliser sur sa victoire auprès des sponsors. «Comme ce fut le cas pour Wenger, devenu une star outre-Sarine, Sempach a l’assurance que cette victoire changera sa vie. Aujourd’hui, les spécialistes du marketing ont flairé le filon de la lutte et savent faire fructifier les exploits de ces hommes aux bras noueux», écrit L’Express de Neuchâtel.

C’est que tous les projecteurs étaient braquées sur la Fête fédérale de lutte ce week-end. «Va-t-on bientôt se mettre tous au jodel et à la lutte à  la culotte? On pourrait le croire quand on voit la couverture de la Fête fédérale de lutte suisse par les médias alémaniques. Suppléments spéciaux, comptes rendus en direct à la télé et sur Internet, l’événement de ce week-end a vampirisé l’actualité», résume la Tribune de Genève. Le quotidien de boulevard alémanique Blick est le plus prolifique d’entre tous. Dans un supplément de douze pages, Matthias Sempach, 27 ans, 1,94m, 110 kg, s’affiche sous pratiquement toutes les facettes de sa vie quotidienne.

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«Une mise en scène des clichés helvétiques»

«Cette fête est une mise en scène des clichés helvétiques. Le Suisse (allemand) y célèbre avant tout ses particularités culturelles, comme pour rappeler au visiteur ‘qu’ici c’est la Suisse’, et la vraie. On dirait un îlot de résistance, grand comme un rond de sciure, le dernier, à l’heure où les valeurs fondamentales du pays sont mises à rude épreuve sur la scène internationale», écrit Le Matin. Pour le quotidien de Lausanne, pas certain cependant que les Romands célèbreront avec autant de ferveur cette Suisse si «vraie et authentique, mais tellement éloignée de la réalité de notre société actuelle», lors de la prochaine Fête fédérale, qui se déroulera dans trois ans à Estavayer-le-Lac. Sur un plan purement sportif, les Romands n’ont d’ailleurs pas brillé, puisqu’aucun n’ a pris part à la remise des couronnes fédérales. «Il y a donc encore beaucoup de travail d’ici 2016», souligne La Liberté.

L’éditorialiste de la Tribune de Genève se montre un peu plus nuancé: «Il est parfaitement stupide de dénigrer la Fête fédérale en la dépeignant  comme une relique du passé célébrée par des crétins des Alpes incapables d’évoluer dans le monde moderne (…) Mais il est tout aussi embarrassant de tomber dans l’excès inverse. La Fête fédérale est un événement populaire mais elle n’a pas à être mise pareillement sur un piédestal, à être utilisée comme le mythe du Paradis perdu. Elle véhicule des valeurs d’une Suisse conservatrice, parfaitement respectable, mais qui ne représente qu’une partie du pays».

Keystone

Le Tages-Anzeiger estime quant à lui que la Fête fédérale a réussi à conserver son noyau archaïque, «sa violence des origines», même si depuis 2004 «la culture de la lutte a été commercialisée avec véhémence». La crise identitaire qui a suivi le 11 Septembre et le grounding de Swissair ont peut-être joué un rôle dans cette évolution, mais c’est surtout la diffusion des compétitions en direct par la télévision suisse qui a changé la donne, relève encore le quotidien zurichois:  «La nostalgie d’une certaine suissitude produit les mêmes effets que le tourisme de masse: les nombreux citoyens des villes qui veulent échapper à l’urbanité transforment la lutte fédérale un méga-événement. Et ils emmènent avec eux les grandes entreprises et leurs départements marketing».

L’intérêt très volatile du grand public

La Fête fédérale n’est plus seulement un rendez-vous sportif, mais un événement qui génère un immense intérêt, observe également la Neue Zürcher Zeitung. «En déduire que la lutte suisse est populaire serait toutefois erroné. Car la société événementielle fonctionne comme une caravane. Ce week-end, elle a focalisé son intérêt sur la lutte; elle se déplace, tirée par l’intérêt des médias: au tournoi de tennis de Bâle, aux courses de ski du Lauberhorn, lors d’un opéra à la gare de Zurich. A la fête fédérale, on pouvait se faire tatouer les logos de la manifestation. Dans quelques jours, ils disparaîtront. Tout comme l’intérêt du grand public».

«La lutte suisse court-elle aujourd’hui à sa perte?», questionne pour sa part la Basler Zeitung. «La communauté des lutteurs semble le craindre». Mais si la Fête fédérale est devenue assurément plus qu’un simple événement sportif, elle n’est pas non plus le lieu où toute la nation se retrouve, estime le quotidien bâlois: «La lutte reste fondamentalement une passion de la Susse rurale. Lorsque l’engouement qui entoure ‘les mauvais garçons’ sera passé, la Suisse des paysans et des artisans se retrouvera à nouveau entre elle».

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