La Suisse se prépare à un désastre
Des secouristes de trois pays se sont livrés à un exercice sur le scénario d'un séisme majeur au nord-ouest de la Suisse, avec 6000 morts, 30'000 disparus et 60'000 blessés à la clé. Un scénario qui, comme en Italie, peut devenir réalité.
Du 8 au 10 mai dernier, l’Office fédéral de la protection de la population (OFPP) a réuni à Liestal, chef-lieu de Bâle-Campagne, des centaines d’experts et de membres d’états-majors de crise pour leur demander de mobiliser leurs forces et leurs capacités de réaction à ce qui serait une catastrophe majeure pour cette région à cheval sur la Suisse, la France et l’Allemagne: un tremblement de terre.
Cette simulation s’est tenue deux semaines avant les secousses qui ont endeuillé et dévasté le nord de l’Italie, soulignant une fois de plus la nécessité pour les services de secours d’avoir des moyens d’intervention suffisants.
L’endroit n’a pas été choisi au hasard. C’est dans cette région que le séisme le plus dévastateur d’Europe centrale s’est produit, en 1356, avec une magnitude de 6,5 à 7 sur l’échelle de Richter. Selon les sismologues, un séisme d’une telle amplitude peut se répéter tous les 1000 ans.
Nommé «SEISMO 12», l’exercice a été basé sur la catastrophe du 14e siècle. Des figurants civils et des soldats y ont participé. Au total, plus de 1600 personnes de Suisse, de France et d’Allemagne ont ainsi simulé l’une des plus grandes catastrophes que la région pourrait devoir affronter.
«Les premières forces d’intervention, la police et les pompiers, sont très bien préparées à réagir aux situations d’urgence, estime le directeur de l’opération Hans Guggisberg, interrogé par swissinfo.ch. Mais dans une crise de cette ampleur, plusieurs organisations auront à travailler ensemble en poursuivant le même objectif.»
«Or, pour travailler ensemble, l’organisation A devra faire confiance à l’organisation B et vice-versa. Or la confiance ne se construit pas durant une crise réelle. Elle doit d’abord être testée, exercée et améliorée. Ce type d’exercice interdisciplinaire permet à la confiance de se mettre en place», ajoute Hans Guggisberg.
Mort et destruction
Deux heures avant le début de l’exercice, le scénario de la catastrophe, terriblement effrayant, a été présenté aux participants. Comme celui de 1356, le tremblement de terre du scénario a une magnitude de 6,5 à 7 sur l’échelle de Richter. Il toucherait environ 6,2 millions de personnes dans la région trinationale, ferait 6000 morts, 18’000 blessés graves, 45’000 blessés légers et 30’000 disparus.
Le séisme laisserait 1,6 million de personnes sans abri et détruirait des centaines de milliers de bâtiments. Cependant, dans le scénario fictionnel, la catastrophe nucléaire a pu être évitée, car tous les réacteurs en Suisse et en Alsace voisine se sont automatiquement arrêtés. Il n’y a aucune trace de radioactivité.
Les équipes d’intervention des cantons suisses d’Argovie, de Bâle-Campagne, de Bâle-Ville et de Soleure sont réquisitionnées. En Allemagne, ce sont les spécialistes des districts de Brisgau – Haute Forêt Noire, de Lörrach et de Waldshut qui répondent à l’appel et interviennent dans leur propre région.
L’exercice commence après la catastrophe, «car vous ne pouvez pas vous entraîner pour la phase de chaos», explique l’Argovien Robert Hilty. Durant trois jours, 24 heures sur 24, l’homme a travaillé dans les bureaux de la protection civile de Liestal, siège de tout l’exercice. C’est à partir de ce quartier général que les directeurs d’exercice ont pris les décisions et décidé les détails du scénario qui ont ensuite été transmis à leurs équipes, travaillant sur leur site régional respectif.
Survivants ensevelis, ponts détruits, coupures de courant et incendies: les équipes ont dû réagir à un flot continu de problèmes et prendre des décisions très rapidement. Quelle est la chose la plus urgente? Combien de troupes faut-il envoyer? Quelle route doivent-elles emprunter?
Région à risque
«L’exercice est basé sur ce que nous savons du tremblement de terre du 14e siècle – même amplitude, même situation, même région», explique Stefan Wiemer, directeur du Service sismologique suisse (SED), abrité par l’Ecole polytechnique fédérale (EPF) de Zurich. Chargée de surveiller les séismes et le risque de tremblement de terre en Suisse, l’agence fédérale a contribué à développer des scénarios très détaillés pour chaque région participante.
Faite de nombreuses fissures, la région de Bâle est décrite comme une faille, à l’instar de la célèbre faille de San Andreas, en Californie. Elle part de Mannheim, en Allemagne, et s’étend sur environ 200 kilomètres, jusqu’à Bâle, suivant la tranchée du Rhin. Les tremblements de terre naissent ici, comme dans de nombreuses autres régions d’Europe, par la collision entre les plaques tectoniques africaine et eurasienne.
Selon les comptes-rendus historiques, entre 30 et 40 châteaux ont été détruits dans le séisme du 18 octobre 1356. «Après le tremblement de terre, nous savons que les cloches des églises ont sonné à Paris. Les textes de ce type nous aident à comprendre quel type de dommages ce genre de séismes provoqueraient aujourd’hui», ajoute Stefan Wiemer.
Etat d’alerte national
Depuis les grands tremblements de terre du Moyen Age, la faille est restée relativement calme. Au long des siècles, il y a eu quelques séismes modérés. Mais, depuis le 18e siècle, la région de Bâle n’a enregistré que des secousses de faible intensité, appelées aussi micro séismes.
Pourtant, les experts s’accordent pour dire que la région est une zone à hauts risques. «La croûte terrestre est très sollicitée, en permanence, du point de vue tectonique. Il y a de l’énergie en sous-sol. Nous ne savons juste pas quand elle se transformera en séisme», dit le directeur du SED.
En Suisse, le risque de séismes est qualifié de modéré à moyen et il est moins probable que dans d’autres zones à risques comme la Turquie. Mais, étant donné la densité de la population et les biens matériels présents dans la région de Bâle, un grave séisme est la menace de catastrophe naturelle la plus grande pour la région.
Selon l’OFPP, un séisme de magnitude 6,5 à 7 causerait entre 50 et 100 milliards de francs de dégâts. Depuis 2000, les autorités fédérales mettent en œuvre différentes mesures dans le cadre d’un programme pour «réduire, grâce à la prévention, les dégâts potentiels des tremblements de terre.» La mise au point de plans pour des états d’alerte et d’assistance nationale en cas de séisme important est l’une des mesures clés de ce programme.
Le dernier exercice avant SEISMO 12 s’était tenu en 2006 dans la même région et avait pour nom RHEINTAL 06. Le rapport final recommandait d’encourager la collaboration internationale et de répéter la simulation tous les cinq à sept ans. L’analyse détaillée de l’exercice qui vient d’être organisé devrait être disponible en octobre 2012.
La ville de Bâle a été secouée en 2006 par plusieurs tremblements de terre qui n’avaient toutefois rien à voir avec la tectonique des plaques. Ils ont été causés par des forages effectués dans le cadre d’un projet de géothermie profonde.
L’un des séismes a atteint 3,4 sur l’échelle de Richter et a causé des dégâts matériels. Le projet a été stoppé. Pour Stefan Wiener, directeur du Service sismologique suisse (SED), l’incident montre à quel point la zone de la faille bâloise est «en permanence mise sous pression».
(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)
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