La Suissesse de Fukushima
Née dans les Grisons, Rosa Marie Sato vit à Fukushima depuis 30 ans. Au lendemain des catastrophes en série de mars 2011, elle et son mari décidaient de rester. Un an après, la vie a repris son cours à peu près normalement. Mais le traumatisme est profond et la menace bien réelle.
«Je ne me sens pas tellement comme une femme émancipée». C’est ainsi que se décrit Rosa Marie Sato, en précisant qu’elle se «soumet assez volontiers», et qu’à la maison, c’est «plutôt mon mari qui commande». Voilà qui explique peut-être, selon elle, pourquoi beaucoup de ses proches la trouvent «plus japonaise que les Japonais», dans un pays où la condition féminine répond encore parfois à des traditions souvent jugées archaïques en Occident.
Pourtant, il a jadis fallu un caractère bien trempé et une bonne dose d’émancipation à cette adolescente d’Igis-Landquart pour quitter les Grisons, partir à Genève, puis pour Londres, avant de gagner le Japon. Voici 30 ans qu’elle vit à Fukushima – unique citoyenne suisse à être restée fidèle à la région -, et cette alerte quinquagénaire ne laisse rien transparaître de sa prétendue soumission, bien au contraire.
«Je reste!»
Mais son bonheur japonais, évidemment, connaît un gros revers avec les calamités qui se sont abattues sur sa région d’adoption, à partir du 11 mars 2011.
«Je reste!», avait-elle dit au lendemain des catastrophes. Elle le répète un an plus tard, tout en reconnaissant que l’idée de fuir lui a effleuré l’esprit, au plus fort de la crise. Lorsque l’ambassade de Suisse l’avait appelée pour lui offrir un siège dans le prochain avion pour Zurich, elle avait hésité un moment. «Mais ils ont téléphoné vers 11h00 pour un vol l’après-midi, c’était de toute façon impossible, les autoroutes étaient impraticables.» Et la Japonaise d’adoption d’ajouter qu’elle ne pouvait pas abandonner son mari, sa belle-mère, ses animaux, sa maison.
Les premiers jours, c’est calfeutrés chez eux à Fukushima ville que les Sato ont observé la situation. «La famille appelait de Suisse pour que je rentre immédiatement. Nous suivions les nouvelles à la télévision et sur internet, surtout les médias étrangers. Nous entendions aussi les déclarations rassurantes du gouvernement japonais. Mais quand les Américains ont imposé une zone d’exclusion de 80 km autour de la centrale à leurs concitoyens, mon mari et moi sommes aussi partis, pour une semaine, dans une station thermale, pour nous mettre à l’abri.»
«Ma vie n’a pas beaucoup changé»
Les Sato se sont tout de suite équipés en dosimètres, qui leur ont permis de mesurer les niveaux de radiation. «La première semaine, on a atteint des pics de 26 microsieverts par heure [soit presque cinq fois la dose à partir de laquelle l’apparition de cancers est prouvée après une année d’exposition], mais ils sont retombés à 16 dès la deuxième semaine. Et ça a continué de baisser progressivement.» Au final, «ma vie n’a pas beaucoup changé», constate Rosa Marie, même si elle avoue que le «stress mental, voir le traumatisme» sont bien réels, et sont là pour rester.
Quelques changements tout de même: elle ne sort plus sans masque de protection, évite de respirer la poussière, et veille à la provenance des aliments. «Au début, j’achetais des produits locaux pour soutenir les producteurs d’ici. Maintenant je fais plus attention».
Quant aux cinq élèves particuliers à qui elle enseignait les langues, «ils ne viennent plus … les enfants doivent éviter de trop sortir, et beaucoup de gens ont quitté la région.» Mère de deux grandes filles, Rosa Marie Sato reconnaît que si ses enfants étaient aujourd’hui en bas âge, elle ne resterait pas à Fukushima. «Ma fille cadette qui a 22 ans va partir en stage en Suisse ce printemps. ça me rassure, j’espère même qu’elle y restera.»
Angoisse et colère
A l’angoisse, au stress, à cette menace sournoise qui plane sur la ville vient s’ajouter la colère contre l’opérateur de la centrale Tepco. «On est furieux», dit Rosa Marie Sato, qui pense pouvoir parler au nom de tous les Japonais. Idem pour le gouvernement, qui «n’a pas dit la vérité, c’est difficile à avaler», surtout que les révélations sur les manquements de l’opérateur comme des autorités se multiplient.
Mais de là à affirmer que la catastrophe va fondamentalement modifier l’attitude des Japonais face au nucléaire, la Suissesse est loin d’en être convaincue. Pas sûr que les Japonais soient vraiment disposés à y renoncer.
Alors, vivre à Fukushima, c’est l’enfer? «Non, l’enfer, c’est pour quelques-uns, ceux qui ont tout perdu, ceux qui ont été évacués, mais pas pour nous, la vie continue plus ou moins normalement», estime cette Suissesse si japonaise dont l’époux a hérité d’un commerce florissant. Reste à savoir s’il y a un avenir pour Fukushima. «On ne sait pas. Est-ce qu’ils résoudront les problèmes? Est-ce qu’il y aura un nouveau tremblement de terre, une nouvelle explosion? Est-ce que la radioactivité va remonter? On ne sait pas. Et c’est ça qui est très très stressant.»
Née à Igis-Landquart, Rosa Marie Sato quitte les Grisons pour effectuer un apprentissage de buraliste postale à Genève. C’est là qu’en fréquentant un club de judo, elle s’initie aux arts martiaux et aux cultures asiatiques.
Elle part ensuite travailler à Londres, où elle épouse un Japonais de Fukushima, héritier d’une entreprise immobilière et d’un commerce de pachinko (jeux de hasard japonais).
Le couple Sato s’installe au Japon, où Rosa Marie apprend la langue, puis à Fukushima dès 1982. La Suissesse y enseigne le français, l’anglais et l’allemand, et donne naissance à deux filles.
Située à une soixantaine de kilomètres de la centrale nucléaire accidentée, la ville de Fukushima survit tant bien que mal aux conséquences de la catastrophe.
Les niveaux de radiation y sont plus élevés que la normale, mais considérés comme sans danger pour les habitants. Beaucoup d’entre eux ont toutefois quitté la région, notamment les mères avec leurs enfants en bas âge.
Les travaux de décontamination lancés l’automne dernier vont durer des années, et leur efficacité est contestée.
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