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«Le CICR d’aujourd’hui est un paradoxe»

Reuters

Comme agence humanitaire, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) s'est taillé une place centrale par rapport à ses concurrents. Pour le chercheur américain David Forsythe, l'organisation peut révéler de nombreux paradoxes.

Ce qui semble à première vue contradictoire – une agence privée suisse avec un statut spécial en droit international public – fonctionne réellement bien, selon David Forsythe, auteur de deux livres sur le CICR. «Un autre paradoxe tient aux objectifs libéraux du CICR poursuivis par des moyens conservateurs», assure-t-il.

«Chercher à protéger la dignité humaine, c’est libéral. Mais le CICR procède lentement, prudemment, en essayant d’obtenir le consentement des Etats et d’autres acteurs importants. Le CICR essaie, au fond, d’agir dans le système étatique, tout en faisant progresser le bien-être des êtres humains.»

Professeur à l’Université du Nebraska-Lincoln aux Etats-Unis où il mène des recherches sur les droits humains et les organisations internationales, David Forsythe relève une autre caractéristique atypique: «Le CICR est soi-disant international, mais il est historiquement suisse, et toujours dirigé par un Suisse.»

Neutralité

Jakob Kellenberger, président de l’organisation pendant 12 ans, vient de laisser sa place à un autre diplomate suisse, Peter Maurer.

David Forsythe fait valoir que l’organisation fondée par le Suisse Henry Dunant en 1863 s’est créé un rôle particulier pour elle-même. Bien qu’il y ait maintenant d’autres organisations comme Médecins sans frontières et Amnesty International, le CICR a adopté une approche discrétionnaire qui lui permet de faire un type particulier de travail.

Médecins Sans Frontières, par exemple, a une définition différente de la neutralité et croit qu’il est possible de se livrer à la critique publique, tout en restant neutre.

«Le CICR estime, lui, que moins vous vous livrez à la critique publique, plus vous êtes susceptible d’être considéré comme neutre. C’est probablement une bonne chose qu’il y ait les deux types d’organisation», assure David Forsythe.

«Probablement, plus Amnesty International s’engage dans la critique publique, plus tel ou tel gouvernement permet au CICR de faire ses visites confidentielles des prisons.»

Confidentialité

De fait, le CICR est connu pour révéler peu de choses de ce qu’il voit sur le terrain.

«Ne pas donner d’informations est une pratique aussi vieille que l’organisation elle-même», rappelle l’ancienne cheffe du service juridique du CICR, Louise Doswald-Beck, aujourd’hui professeure de droit international à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève.

Quand elle était au CICR, elle a défendu avec succès l’exemption de témoigner devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie pour les délégués du CICR.

Le nœud du problème, c’est que les délégués du CICR, une fois qu’ils ont eu accès aux lieux les plus secrets du monde, ne peuvent partager leurs connaissances avec quiconque, sauf avec le siège de l’organisation et l’Etat concerné. Si quelque chose ne va pas, le CICR ne peut contraindre l’Etat en question, mais seulement lui rappeler ses obligations en regard du droit international humanitaire.

Si une telle politique de discrétion a ses usages, David Forsythe estime «que le secret et la diplomatie peuvent conduire trop loin. Ça peut devenir dysfonctionnel, parce que vous ne pouvez pas ainsi obtenir le soutien du grand public».

Selon le chercheur, le CICR est bien connu des gouvernements, beaucoup moins du grand public, en particulier aux États-Unis, où même les journalistes confondent les différents membres du mouvement de la Croix-Rouge (CICR, la Fédération de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, les organisations nationales), tout en ignorant les relations entre elles.

Et après?

Selon le chercheur américain, Jakob Kellenberger a été un «très bon» patron pour le CICR. Son budget croissant, le soutien continu des États-Unis et de la Russie et le recrutement de personnalités très brillantes sont des signes que sa direction a été largement positive, en dépit de sa grande discrétion. Il a également été reçu trois fois par le régime de Bachar el-Assad depuis le soulèvement de la population, en obtenant chaque fois un plus grand accès pour l’action humanitaire.

Ancien secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, Peter Maurer a également une expérience des institutions internationales, pour avoir été l’ambassadeur de la Suisse auprès de l’Organisation des Nations Unies à New York. Il est également connu pour être plus expansif que Jakob Kellenberger.

A un journaliste qui demandait à Jakob Kellenberger s’il avait été trop discret durant son mandat, l’ancien président du CICR a répondu: «J’ai toujours dit le maximum que je pouvais, tout en minimisant les effets néfastes de ces déclarations pour notre travail sur le terrain.»

Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge se consacre à prévenir et alléger les souffrances humaines en temps de guerre et dans les situations d’urgence telles qu’épidémies, inondations et tremblements de terre.

Le Mouvement comprend le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et les 188 Sociétés nationales.

Chacune de ces composantes a sa propre identité juridique et son propre rôle, mais elles sont toutes unies par sept Principes fondamentaux.

Ces principes sont les suivants : humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, unité et universalité.

Toutes les composantes du Mouvement sont tenues de les respecter et de les défendre.

Source: CICR

(Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand)

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