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Le Fonds Bruno Manser s’en prend à la corruption

Le style de vie des Penan reste en danger. AFP

Après deux décennies vouées à la défense des Penan, une ethnie de Malaisie, le Fonds Bruno Manser élargit ses activités à la lutte contre la corruption qui sévit au Sarawak et contribue, selon lui, à la déforestation.

Le Fonds Bruno Manser (BMF) est l’une des rares organisations non-malaisiennes à agir au nom des Penan, peuple indigène vivant dans l’une des forêts à la biodiversité la plus riche du monde, le Sarawak, sur l’île de Bornéo. Deux tiers des forêts ont déjà été détruites pour des exploitations forestières ou pour construire des plantations d’huile de palme. Le BMF s’attaque désormais aux politiciens ayant permis cette évolution.

 

L’organisation, qui a son siège à Bâle, se bat depuis onze ans pour perpétuer l’héritage de son charismatique fondateur, Bruno Manser, un activiste pacifiste suisse qui a vécu six années (1984-1990) avec les Penan et tenté de stopper la déforestation en bloquant l’accès routier aux forêts menacées. Le Bâlois a disparu au Sarawak en 2000. «Le 10 mars 2005, la Cour civile du canton de Bâle-Ville a officialisé sa disparition», précise le site Internet du BMF.

«Nous avons fait des progrès en vingt ans, malgré la disparition de larges pans de forêt, explique le directeur du BMF Lukas Straumann, interrogé par swissinfo.ch. Nous avons continué à protester au Sarawak contre les compagnies forestières et poursuivi notre aide aux communautés indigènes. Nous leur apprenons à s’organiser et à défendre leurs droits».

Ainsi, outre la réalisation de cartes du pays et la construction d’écoles et d’officines médicales, le BMF a aidé les Penan à porter plusieurs cas d’occupation de leur terre devant des tribunaux locaux. Les actions du Fonds ont aussi contribué à susciter une prise de conscience en Europe. «Mais face à des règles ressemblant à celles d’une dictature, cela n’a pas suffi à provoquer un changement significatif», admet le directeur du Fonds.

Régime «kleptocratique»

«Le gouvernement en place n’a pas changé depuis trois décennies. Les règles familiales en cours en Malaisie relèvent d’une gouvernance kleptocratique, où la corruption domine», ajoute Lukas Straumann.

Selon le directeur, la famille du Premier ministre Abdul Taib Mahmud contrôle ainsi la politique, l’économie et les médias. Or le Premier ministre est aussi en charge des finances et de la planification.

Le site Internet du BMF livre régulièrement des comptes-rendus sur des cas de corruption au Sarawak. En février dernier, il a lancé une campagne contre Abdul Taib Mahmud en publiant une liste noire de 48 sociétés collaborant avec le Premier ministre. La semaine dernière, une nouvelle liste contenant le nom de 332 compagnies liées aux Taib en Malaisie a été publiée. On y trouve les noms de nombreux directeurs ou d’actionnaires de sociétés. 101 autres entreprises ont leur siège hors de Malaisie.

Le BMF tire ses informations des archives et des registres des sociétés. Il a ainsi trouvé les liens de quatre enfants de Taib avec 342 entreprises situées dans le monde entier. «Ils contrôlent tout l’Etat», déclare le directeur du BFM. L’organisation accuse aussi la famille de détenir de nombreux avoirs illégaux à l’étranger. Des enquêtes sur des biens d’origine illégale sont en cours en Suisse et en Grande-Bretagne.

Eliminer la corruption

Le BMF estime que le temps est venu d’élargir son approche. «Nous pensons que la corruption est une des causes principales de la destruction environnementale en cours sur l’île de Bornéo et qu’il n’en va pas différemment dans d’autres pays, affirme Lukas Straumann. Il est très important pour nous, en tant que groupe de défense des droits de l’homme et de l’environnement, d’avoir une vision la plus large possible du phénomène.»

«Nous protestons depuis vingt ans et nous devons nous demander pourquoi nous n’avons pas eu de succès sur le plan local. Le gouvernement malaisien et celui du Sarawak n’ont pas cédé un pouce. C’est ainsi que nous avons mis le doigt sur le problème de la corruption», explique le directeur du Fonds Bruno Manser.

Abdul Taib Mahmud nie avoir perçu des pots-de-vin et dissimulé des fonds à l’étranger. Selon lui, la déforestation répond à des besoins vitaux. Selon Lukas Straumann, Bruno Manser avait essayé de se mesurer à Taib, mais il s’était rendu compte que l’homme était trop puissant.

Le rôle des ONG

L’année prochaine, le BMF poursuivra sa campagne anti-corruption. Il entend aussi passer à la loupe 12 projets de barrages au Sarawak, dont il craint qu’ils inonderont de nombreux villages et annihileront encore un peu plus le style de vie des Penan.

En 2010, lors de la commémoration des dix ans de la disparition de Bruno Manser, Saskia Ozinga, une biologiste hollandaise luttant contre la déforestation, avait déploré le manque d’organisations soutenant les Penan. Après avoir suscité un grand intérêt dans les années 80 et 90, la cause du peuple penan avait disparu de l’actualité en raison du manque d’unité des organisations non gouvernementales (ONG) malaisiennes.

L’activiste estimait aussi que les ONG européennes avaient peut-être trop insisté sur les forêts et pas assez sur les droits de l’homme. «Les problèmes du Sarawak étant causés par un gouvernement incompétent et corrompu, je pense qu’il est tout à fait judicieux que le BMF se concentre sur la corruption», déclare aujourd’hui la fondatrice de l’organisation FERN, qui coordonne les campagnes de défense des forêts. «Des associations comme le BMF sont extrêmement importantes pour des peuples indigènes souvent marginalisés ou ignorés», déclare de son côté l’antenne suisse de la Société pour les peuples menacés (SPM).

«Je suis sûr que sans Bruno Manser, personne ne connaîtrait le destin des Penan, affirme Christoph Wiedmer, directeur de la SPM suisse. Il est très important d’apporter un soutien positif qui ne se retourne pas contre les intérêts des peuples indigènes. Le BMF et d’autres organisations jouent un rôle essentiel en alertant les Nations unies, en faisant pression sur les gouvernements et les entreprises et en aidant les peuples à se défendre eux-mêmes sur le plan légal. Elles contribuent aussi à lancer des projets socio-économiques sur place.»

Les Penan forment l’une des 24 tribus vivant au Sarawak, le plus grand Etat malaisien, situé sur l’île de Bornéo. Il y a 50 ans encore, quelque 100’000 Penan vivaient en nomades ou semi-nomades, chassant et cueillant dans la forêt.

Aujourd’hui, on compte encore 200 Penan nomades ou semi-nomades.

La déforestation est considérée comme la plus grande menace pour les Penan. Les entreprises forestières ont également contaminé les eaux potables et provoqué l’érosion du sol.

Moins de 10% de la forêt primitive originale est aujourd’hui intacte, selon le Fonds Bruno Manser. Les Penan et d’autres peuples indigènes demandent depuis des années la reconnaissance de leur droit à vivre dans les forêts du Sarawak.

Bruno Manser est né le 25 août 1954 à Bâle. Après des études gymnasiales, il a travaillé plusieurs années sur des alpages suisses. Animé par le désir de vivre sans argent, il est parti dans la forêt pluviale de Bornéo à l’âge de 30 ans, afin de «s’instruire auprès d’un peuple vivant encore très près de ses origines».

Manser a passé six années (1984-1990) auprès des Penan. Mais le paradis découvert par Manser était déjà en danger. A cette époque-là, des sociétés locales d’exploitation du bois commencèrent à exploiter sans scrupules les forêts vierges situées sur le territoire des Penan.

Bruno Manser attira l’attention des médias internationaux et aida les Penan à se défendre en bloquant pacifiquement les accès à leur forêt.

Après son retour en Suisse, Manser fonda le Bruno-Manser-Fonds avec l’aide de quelques amis (1991), et publia le livre Stimmen aus dem Regenwald («Voix de la forêt tropicale», 1992).

En 1993, il chercha à obtenir l’arrêt des importations de bois tropicaux et l’introduction d’une déclaration obligatoire pour le bois par une grève de la faim de 60 jours devant le Parlement fédéral à Berne. En 1999, il a survolé la résidence du Premier ministre du Sarawak en ULM.

Bruno Manser a aussi réalisé des dessins détaillés, des enregistrements sonores et écrit de nombreuses notes et comptes-rendus. Il a aussi pris plus de 10’000 photos.

Le dernier témoignage de sa présence dans la forêt pluviale date du 25 mai 2000. Diverses expéditions de recherche sont demeurées infructueuses. Le 10 mars 2005, la Cour civile du canton de Bâle-Ville a officialisé sa disparition.

Le Fonds Bruno Manser est financé par des dons, des fondations et certaines entreprises. Les autorités cantonales et communales soutiennent des projets particuliers.

(Source: Fonds Bruno Manser)

(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)

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